La délinquance des mineurs non accompagnés (MNA) est un serpent de mer politique. Quelle est la réalité du phénomène ? Quelles en sont les causes ? Éléments de réponse avec Olivier Peyroux, sociologue, spécialisé sur les questions des migrations des mineurs et de la traite des êtres humains, enseignant à Sciences Po et cofondateur de l’association Trajectoires.
Lors de sa conférence de presse du 12 juin, le président de la République a déclaré vouloir « la reprise par l'État et le meilleur contrôle de la question des mineurs non accompagnés qui dans tant de villes sont un problème de sécurité ». Selon un rapport parlementaire de 2021, 10% des mineurs isolés étrangers avaient commis des actes de délinquance. De quels chiffres dispose-on aujourd'hui ?
Olivier Peyroux. Les trois principaux pays de provenance des mineurs non accompagnés sont la Guinée, le Mali et la Côté d'Ivoire. Ils représentent chaque année environ 2/3 des prises en charge au civil, par les services de l'aide sociale à l'enfance. On retrouve très peu de ces jeunes issus d’Afrique de l’Ouest en détention. Beaucoup d'employeurs, par exemple en boulangerie, cherchent à les recruter en contrat d'apprentissage. Ces jeunes sont très appréciés et volontaires car il est très difficile de trouver des mineurs français qui acceptent de commencer à travailler à 4 heures du matin.
La nationalité des jeunes MNA en détention renseigne sur le type de réseaux de criminalité organisée qui va les exploiter comme "petites mains". Jusqu'en 2015-2016, la majorité des mineurs étrangers en milieu carcéral étaient des jeunes roumains utilisés comme pickpockets par des réseaux claniques et familiaux. Le phénomène de traite des êtres humains s'est accentué à partir de 2018 sur les jeunes provenant du Maroc et de l'Algérie.
Il semblait assez improbable que des mineurs ne connaissant ni le pays, ni la langue puissent commettre des cambriolages au fin fond des Yvelines par exemple, sans être guidés et recevoir des instructions. Aujourd’hui, le nombre de mineurs non accompagnés écroués a drastiquement chuté. Il y a quelques années, dans certaines maisons d'arrêt, les MNA représentaient 50% de la population carcérale mineure. Si on se réfère à présent au nombre des incarcérations de mineurs, moins de 5-6% sont des MNA.
Comment expliquer cette baisse ?
O.P. Un travail d'identification de ces jeunes a été mené avec les parquets et les consulats du Maroc et d'Algérie, ce qui a conduit un certain nombre à être reconnus comme étant majeurs. Une partie de ces jeunes a également été invisibilisée par un changement d'activité délinquante. C’est la raison principale pour laquelle une grosse partie d’entre eux n’est plus déférée. Jusqu’alors les mineurs étrangers en errance étaient interpellés par les services de police pour des vols à l'arraché. Aujourd’hui, ces adolescents sont utilisés dans le trafic de stupéfiants notamment pour faire les guetteurs à Paris, Marseille, Lyon, Grenoble…
Il y a vraiment eu un changement important. Avec cette ubérisation du trafic de stupéfiants, les réseaux ont recours à des publics encore plus précaires pour servir de main d'œuvre. Les mineurs isolés étrangers ne connaissent ni les quartiers ni l'organisation et en cas d'enquêtes policières, ils ne risquent donc pas de mettre en danger le trafic par leurs témoignages. Qu’ils soient français ou étrangers, des jeunes sont contraints, menacés, violentés s’ils n'occupent pas leur poste de guetteurs. Hélas, la France est l’un des seuls pays en Europe à ne pas disposer d'un service d'enquête spécialisé sur l'ensemble des formes de traite des êtres humains, les contraintes à commettre des délits ou d'autres formes d'exploitation. Le seul service existant est l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) spécialisé dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des personnes. Pourtant, il serait intéressant d'avoir des enquêtes de police qui montrent que l'économie des stupéfiants a recours à la traite des êtres humains. La justice pourrait ainsi condamner les trafiquants également pour traite des êtres humains.
Est-ce que la plupart des faits de délinquance des MNA sont commis dans le cadre de la traite des êtres humains ?
O.P. Dans le droit pénal français, la traite des êtres humains comprend l'exploitation sexuelle, l'exploitation économique mais aussi la contrainte à commettre tout crime ou délit. Tous les mineurs étrangers en errance ne sont pas victimes de traite des êtres humains, en revanche, la plupart a été initiée par ces réseaux. Ensuite, certains s’affranchissent et vont poursuivre leur activité délictueuse pour leur propre compte. Ce schéma est très classique dans la traite des êtres humains. Dans l'exploitation sexuelle, des femmes anciennes victimes deviennent proxénètes. En janvier dernier, lors du procès des "enfants voleurs du Trocadéro", plusieurs hommes ont été condamnés à de la prison ferme pour avoir poussé des mineurs isolés marocains et algériens à se droguer et à voler. Ce procès a confirmé que ces adolescents étaient des victimes avant d’être des délinquants alors qu’il y avait vraiment un déni des pouvoirs publics. Il est très facile d’avoir un discours sécuritaire et d’attribuer les causes de cette délinquance au fait que ces jeunes soient des étrangers mais ce positionnement est complètement en décalage avec la réalité et surtout complètement inefficace. Les autorités doivent comprendre que ces mineurs sont de la main-d'œuvre exploitée par des têtes de réseaux et qu’il faudrait renforcer les services d'enquête et de police judiciaire plutôt de faire juste du maintien de l'ordre public. Ces jeunes en errance sont sur le territoire national, qu'on le veuille ou non, il faut s'en occuper. S'ils ne sont pas pris en charge, les dégâts seront importants, y compris pour la sécurité des uns et des autres. Il est intéressant de s'inspirer des prises en charge plus protectrices de ces mineurs adoptées dans les autres pays européens telle que la Suède ou les Pays-Bas.
Le procès des "enfants voleurs du Trocadéro" a également mis en lumière le mécanisme d'emprise chimique pour contraindre ces mineurs à commettre des délits.
O.P. Oui, une des techniques pour mettre ces jeunes sous emprise chimique est l'utilisation de médicaments tels que le Rivotril ou le Lyrica. Ces psychotropes très puissants ont la particularité de créer des dépendances physiques en une semaine seulement. Au départ, ces médicaments sont donnés aux jeunes gratuitement. Quand la dépendance est installée, ils vont devoir les payer, ce qui créé des besoins financiers quotidiens. Les mineurs deviennent alors faciles à manipuler pour les utiliser comme "petites mains". Ces médicaments sont par ailleurs désinhibants et procurent un sentiment de toute puissance. Certains mineurs témoignent « quand je prends du Rivotril je suis prêt à braquer une banque, je ne sens plus rien, je peux tout faire ». Des phénomènes comparables d'emprise chimique existent avec des adolescentes françaises contraintes de se prostituer. Cette problématique est une tendance générale sur l'enfance en danger.
Pour lire la suite, rejoignez notre communauté d’abonnés
Je découvre les offresVos avantages
- L’accès illimité à tous les articles, décryptages, dossiers et interviews de la rédaction
- Une information vérifiée, analysée et documentée
- Un média indépendant et animé par des journalistes spécialistes du secteur social et médico-social