Suite aux propos du chef de l'État sur les violences urbaines, la Cnape, fédération des associations de protection de l'enfant, refuse un discours présidentiel qui « assigne » les enfants suivis en protection de l’enfance « à une trajectoire de violence ».
Le discours d'Emmanuel Macron sur les émeutes urbaines qui ont secoué le pays, fin juin, suite à la mort du jeune Nahel, fait grincer des dents les acteurs du champ de l'enfance et de la jeunesse (lire notre article). La Cnape (Convention nationale des associations de protection de l'enfant) réagit, à son tour, dans un communiqué du 26 juillet, aux propos du chef de l'État qui établit un lien entre les violences urbaines et les jeunes suivis par l’aide sociale à l'enfance (ASE).
Évoquant le profil des 5 à 600 jeunes déférés pour leur participation aux violences urbaines, le Président de la République a parlé « de jeunes qui, pour une écrasante majorité, ont un cadre familial qui est fragilisé, soit parce qu’ils sont dans des familles monoparentales – ils sont élevés par un seul de leurs parents – soit parce qu’ils sont à l’aide sociale à l’enfance », lors de son intervention télévisée du 24 juillet diffusée sur TF1 et France 2 depuis la Nouvelle-Calédonie.
Ce discours présidentiel contribue, « sous l’apparence de livrer des corrélations statistiques » à « assigner » les enfants suivis en protection de l’enfance « à une trajectoire de violence, de "violence de pillages" », déplore la principale fédération nationale des associations de protection de l'enfant. Il établit « une relation de causalité entre une vulnérabilité familiale et une perte de repères moraux et un affranchissement de nos lois et normes sociales qui pourraient expliquer qu’ils en viennent à "brûler des écoles, des mairies, des gymnases, des bibliothèques" », poursuit-elle.
Déjouer le déterminisme de l’échec
La fédération appelle d'autant plus à la vigilance que la stigmatisation est, depuis des années, un boulet au pied des enfants et jeunes confiés à l'ASE.
« Instables, incasables, inaptes, bombes à retardement, livrés à eux-mêmes : ces préjugés les privent d’emblée de leur chance de connaître un développement épanouissant, de réparer et de soigner les négligences, maltraitances, injustices qu’ils ont souvent subies, de trouver leur place dans la société, de réussir leur passage à la vie d’adulte », déplore-t-elle.
Pour mémoire, début 2023, la Cnape et son comité Espoir pour la protection de l’enfance (EPE) - qui rassemble depuis 2021 des volontaires de 18 à 25 ans ayant fait ou faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance - avaient lancé une campagne de communication pour « briser les idées reçues sur les jeunes qui sont protégés ou l’ont été » parmi lesquelles celle de la délinquance systématique (lire notre article). Des préjugés qu'elle ne souhaite donc pas voir relayés par des responsables politiques. « Et le discours présidentiel pèse lourd », insiste la fédération.
La Cnape rappelle aussi le rôle essentiel des milliers de travailleurs sociaux qui accompagnent « au quotidien » les enfants confiés à l'ASE. Des professionnels « qui luttent sans relâche, à leurs côtés, pour déjouer le déterminisme de l’échec qu’on fait peser sur eux », félicite-t-elle.
"Il n’existe pas de modèle familial garant de l’ordre républicain", assène la Cnape.
Au cours de son interview télévisée, le chef de l'État a insisté sur la « responsabilité des familles » dans les émeutes urbaines. « La leçon que j'en tire, c'est l'ordre, l'ordre, l'ordre », a-t-il martelé. « Notre pays a besoin d'un retour de l'autorité à chaque niveau et d'abord dans chaque famille. Le problème doit être traité à la cause, on doit responsabiliser certaines familles, aider les autres ». Emmanuel Macron a annoncé vouloir ouvrir à la fin de l'été, « le chantier de l'autorité parentale ». « En associant les profils des enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance et ceux vivant en famille monoparentale, le propos du Président de la République sous-entend, à rebours des connaissances sociologiques et de la réalité du vécu de millions d’enfants, que la violence procède de l’unique responsabilité parentale et d’un défaut d’ordre familial, représenté en creux par la figure tutélaire du père et de la mère », reproche la fédération des associations de protection de l'enfant. « Il n’existe pas de modèle familial garant de l’ordre républicain », assène la CNAPE.
Reconnaissance et la valorisation des professionnels
La fédération invite donc Emmanuel Macron à revenir à son appel, le 6 janvier 2022, lors de son discours à l’ouverture du congrès national de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), dans lequel il défendait l'idée de « réhumaniser la protection de l’enfance en cessant de donner l’impression à ses enfants qu’ils sont en quelque sorte de trop dans notre société ».
Elle souhaite que « la protection de l’enfance bénéficie de la promesse de [sa] fin d’interview de "réinvestir majoritairement sur notre jeunesse pour lui redonner un cadre", ce qui doit passer, selon elle, par la reconnaissance et la valorisation des professionnels qui leur fournissent ce cadre au quotidien ».
Pour conclure sa réaction, la Cnape salue « les efforts considérables conduits par les associations de terrain, intervenant directement auprès des enfants et des jeunes les plus en difficulté, [les] services de prévention spécialisée en particulier, qui ont été en première ligne, jour et nuit, pour désamorcer les tensions survenues à la suite de la mort de Nahel et prévenir la propagation des violences ».