La délinquance des mineurs est en baisse mais les incarcérations explosent. Analyse de ce paradoxe par Jean-Pierre Rosenczveig.

Jean-Pierre Rosenczveig est magistrat honoraire, président d’Espoir-CFDJ et de LaVita, co-président de la commission enfances-familles-jeunesses de l’Uniopss, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), et co-président de la commission Ultramarins – Expert Unicef. Retrouvez tous les billets de Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog.

Les récentes annonces gouvernementales en réaction à l’accumulation sur quelques jours de faits particulièrement dramatiques mettant en cause des adolescents ont pu dérouter par leur contenu.

On se propose un durcissement des réponses pénales, répressives et éducatives à l’égard des mineurs deux ans à peine après l’entrée en vigueur du code de justice pénale voté par cette majorité et présenté comme l’outil ad hoc pour y faire face. Et bien évidemment quand on entend sanctionner foncièrement et pénalement les parents démissionnaires, les pères notamment (voir billet 883).

Tout cela sent fort la campagne électorale avec le souci de s’inscrire sur le registre régalien. Déjà - en tordant le bras aux faits - on avait imputé la responsabilité imputée aux mineurs qui échappaient à leurs parents les émeutes particulièrement dévastatrices de l’été 2023.

Le tout en surfant sur l’émotion relayée et alimentée à longueur de journée par certains médias et réseaux sociaux sensationnalistes.

En tout état de cause une fois les flonflons de la campagne éteint les annonces appellent à des rendez-vous qu’il va falloir honorer au risque de se ridiculiser.

Il faut donc revenir aux données dont nous disposons tant sur les chiffres de la délinquance juvénile que sur les réponses d’ores et déjà mise en en œuvre. On y trouve matière à satisfaction, mais aussi de réelles inquiétudes.

Le chiffre des mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie ne cesse de diminuer depuis plus de dix ans en France selon les données fournies par l’Intérieur et la Justice.

Les faits d’abord avec la bonne nouvelle.

Plus que jamais pas question de nier la réalité de cette délinquance juvénile, y compris dans ce qu’elle a de plus grave, mais de raisonner sur des faits par-delà l’émotion qui elle-même doit être prise en considération.

Après avoir sensiblement cru quantitativement et relativement depuis 1980 et s’être avérée bien plus souvent violente, il est acquis que le chiffre des mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie ne cesse de diminuer depuis plus de dix ans en France selon les données fournies par l’Intérieur et la Justice.[1]

Tous types d’actes confondus, du vol à la tire à l’homicide, il avait grimpé de 100 000 par an au début des années 1990 à 210 000 en 2011 avec notamment pour cause de delictualisation de certains comportements contraventionnels jusque-là. Ces dix dernières années, il a fortement diminué pour revenir à 121 000 mineurs poursuivables en 2023. Mieux, la part des crimes et délits commis par les mineurs qui avait cru des années 1990 à 1999 passant de 14% à 21%, elle a chuté franchement à compter et 2005 pour revenir à 12 % en 2023.

Voilà bien une bonne nouvelle qu’on a tue.

Autre constat (relativement) surprenant, mais rassurant : pour le ministère de l’Intérieur le nombre de mineurs mis en cause pour coups et blessures est stable (20 600 en 2023 pour 21 800 en 2016). Sur cette même période, la part des mineurs dans l’ensemble de ces actes a nettement baissé, de 13 % à 8 %. « Au bout du compte, dixit le Centre d’observation de la société, aucune statistique ne permet de parler de croissance de la violence des mineurs, contrairement à ce qui a été relevé par de très nombreux médias et élus.»

Comment expliquer ces constats partagés ?

Déjà une prudence s’impose qui amène à un élément de réponse : ces chiffres traduisent la délinquance révélée c’est-à-dire mise à jour par les services de police et de gendarmerie ; pas nécessairement la réalité. Le chiffre noir reste conséquent. Aussi la délinquance des mineurs peut avoir baissé comme l’efficacité policière somme toute déjà faible sous la barre des 30% – peut s’être s’effondrée. Où est la poule, où est l’œuf ? On peut même penser que la plus grande présence ces dernières années – attentats oblige – de force de police dans les rues et les contraintes des confinements ont pu impacter à la baisse les passages l’acte.

On peut quand même retenir l’hypothèse d’une baisse conséquente objectif de la délinquance juvénile eu égard à l’ampleur de l’évolution enregistrée. Tout en s’en réjouissant faudrait alors s’attacher à quantifier et surtout expliquer ce recul surprenant.

En tout cas on voit les précautions dont il faut faire preuve pour éviter d’en inférer des conclusions hâtives quand régulièrement des affaires dramatiques défraient la chronique – et encore aujourd’hui – mettant en cause de jeunes enfants ou des adolescents.

Relativiser ne veut pas dire estompera fortiori nier :  comme on pouvait l’imaginer voici 10 ans, nombre de jeunes sont aujourd’hui fortement préoccupant, souvent pour avoir grandi dans la toute-puissance faute notamment d’adultes responsables près d’eux, privés de perspectives – no future !-  sinon celles offertes par les mafieux ou les ayatollahs. Ils ne connaissent que la violence pour gérer les frustrations ou les résistances dont la vie fourmille. Comme le disait JP Chevènement ces « sauvageons » sont souvent dans un autre un univers, celui du virtuel où la vie et la mort sont des chances informatiques, mais privées de sens réel.

S’agissant de ces jeunes les plus inquiétants on introduire la comparution immédiate qui permettrait à l’instar de ce qui se pratique pour les adultes de les condamner dans la fouée de leur arrestation et du déferement au tribunal, Bien évidemment, au regard de la nature des faits – souvent violents sans être pour autant criminels – et la proximité de la commission de ces faits, on en attend une peine de prison ferme immédiatement exécutoire.

On entend aussi réduire les possibilités de bénéficier pour le plus de 16 ans de l’excuse atténuante de minorité » qui veut qu’à acte égal l’auditeur de moine 18 ans encourt une peine de la moitié de celle encourue par un adulte à fait égal.

Laissons de côté – pour l‘instant s’entend ! – que ce dispositif accentuerait le rapprochement engagé depuis 1997 de la justice pénale des mineurs de celle des majeurs.  Le Comité des droits de l’enfant s’inquiète déjà au fil de ses Observations et Recommandations de la régression en engagée. En arrière fond l’idée – avancée par Nicolas Sarkozy et Éric Ciotti – d’abaisser la majorité pénale à 16ans pour revenir à l’avant … 1906. Ne rappelons pas la position du Conseil constitutionnel qui veut que l’atténuation de responsabilité soit l’un des piliers non négociables  du droit pénal des mineurs. Observons simplement sur le plan juridique :

1° que d’ores et déjà le tribunal ou la cour d’assises peuvent retirer au mineur de 16 ans au moment des faits le bénéfice de l’excuse atténuante de minorité au regard de son développement psychique au moment des faits mais encore tout simplement déjà la nature des faits … par définition graves si la question se pose. Il sera alors jugé comme un adulte. Avec discernement, les juridictions ne s’en privent pas allant parfois jusqu’à condamner plus sévèrement le mineur que l’adulte impliqué dans la même affaire.

2° qu’il est aussi possible de prendre très rapidement une mesure de détention garantissant  la  présence de l’intéressé devant la justice, mais encore sa non-réitération (à court terme).

Si on est en matière criminelle le juge d’instruction saisi sur déférement peut après mise en examen renvoyer vers le JLD pour l’incarcération immédiate. Ce qui a été fait dans toutes les affaires récentes.

Il est aussi possible avec le CJPM de saisir de saisir le tribunal pour enfants pour un jugement en audience unique et d’ici là de mobiliser le JLD sur une mise en détention provisoire pour déboucher sur une audience au plus tard dans le mois. [2]

Et des inquiétude  majeures

Là-encore les données à disposition sont éclairantes devant le procès en laxisme fait aux magistrats. Une mérite toute notre attention et ne fait également l’objet d’aucune publicité malgré » sa gravité : 

Paradoxalement alors que les procédures baissent, le nombre de mineurs détenus atteint un chiffre record pour la période moderne… De 638 en juin 2022, il est monté ce mois-ci à 888 soit +35%, largement supérieur au « meilleur score » des années 2015.

Et ce malgré ce qui nous avait été dit des effets à attendre du CJPM et … la baisse des affaires poursuivables.

De quoi inquiéter. D’autant que si les détentions provisoires sont plus courtes - environ 1 mois pour 3 auparavant - les peines prononcées sont plus longues.

Les jugements de condamnation interviennent plus rapidement que par le passé. Apparemment au bénéfice des victimes. On s’en réjouira, mais quid de la mise en œuvre des mesures éducatives qui aux termes de la loi doit intervenir dans les 5 jours ? Avec quels effets sur le cours de la vie des jeunes concernés ? Le taux de réitération et de récidive demeure important après la première interpellation, voire une condamnation. Mais comment pourrait-on prétendre y échapper, sauf à méconnaitre la réalité de la délinquance juvénile ? Pour autant c’est bien à une trajectoire de vie qu’il faut s’attacher par-delà les actes posés. Cela peut prendre du temps si on s’y attache mais en tout état de cause: il ne suffit pas d’interpeler un jeune ou même de le condamner pour avoir changé le cours de sa vie.

D’autres données récentes sont préoccupantes ou en tout état de cause doivent être intégrées au raisonnement

D’abord le taux de classement sans suite sec du parquet qui avait chuté à 6 % en 2006 (alors à 12% pour les adultes) est remonté à 10,6 % en 2023. Certes on est loin de 40 à 60% (selon la nature de l’infraction) des années 60. Mais une régression s’est amorcée alors que d’expérience il est contre-indiqué de laisser un jeune ayant violé la loi sans la moindre mise en garde officielle, voire sans se voir supporter un remontage de bretelles. Manque de moyens pour tenir le rythme de la révolution des années 90 ? Politique pénale revendiquée ?

En tous cas le taux d’intervention du seul parquet dans les procédures ne varie pas : seules 35 % des affaites jugeables sont transmise à un juge, dont 1800 à un juge d’instruction.

Cette donnée doit être rapprochée d’une autre fournie là-encore par les études du ministère de la Justice : s’il est vrai que récemment les procédures pénales ont chuté, de 2009 à 2019 le nombre de procédures d’assistance éducative devant les juges des enfants à l’inverse ont cru de 45%.  Sachant que la nouvelle procédure pénale issue du CJPM est chronophage les juges des enfants ont-ils vraiment le temps de « travailler « les situations pour s’attacher à la personne plus qu’au dossier ?

Il y a bien matière à perplexité et à interrogations quand des politiques énoncent en quelques jours un programme clé en mains anti-violence des jeunes en passant outre aux réalités concrètes et en négligeant le fonctionnement de instruments déjà disponibles  au risque de passer à côté d’évolutions positives ou préoccupantes

D’où l’intérêt de re-mettre une planche commune sous les pieds de chacun.


[1] Infostat Justice 2022, n°186 2000-2020 un aperçu statistique du traitement pénal des mineurs

Les chiffres clé de la justice 2022 et 2023

Centre d’observation de la société, juin 2024

Etant précise que si ces chiffres donnent des ordres de grandeur à la marge ils varient d’un document à l’autre voire dans le même document !

[2] Sous le couvert de l’ordonnance de 1945 la Procédure de présentation immédiate permettait de juger à la première audience utile l’enfant déjà connu de 13 ans si une peine de 5 ans était encourue, de plus de 16 ans s’il en courrait 3 ans à condition de renoncer au délai de 10 jours