De la prévention des violences sexistes ou sexuelles à la lutte contre les discriminations, les enjeux de l’éducation à la sexualité dispensée dans le cadre scolaire sont nombreux. Véronique Poutrain, Chercheuse au laboratoire TELEMMe, Aix-Marseille Université (AMU) revient sur les évolutions de cet enseignement alors qu’un nouveau projet de programme a été publié.


Le Conseil supérieur des programmes a publié en mars 2024 un projet de programme d’éducation à la sexualité allant de la maternelle à la terminale. Intitulé « Éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité », il reprend certaines « idées-forces » d’un rapport publié en 2021, pointant les faiblesses de l’éducation à la sexualité à l’école.

Les enjeux de cette éducation sont nombreux. Il s’agit notamment de contribuer à la prévention des violences sexistes ou sexuelles, de sensibiliser les élèves aux formes de harcèlement ou d’emprise pouvant leur être associées, de lutter contre toutes les discriminations de sexe, de genre ou d’orientation sexuelle.

Le programme s’ordonne selon trois questions suivies et approfondies tout au long de la scolarité : comment vivre et grandir, sereinement avec son corps ? Comment construire avec les autres des relations respectueuses et s’y épanouir ? Comment trouver sa place dans la société, y devenir une personne libre et responsable ?

Les enjeux sont énormes même s’ils ne sont pas nouveaux, notamment si l’on se base sur la conclusion du dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité parue en janvier 2024 : le sexisme ne recule pas, bien au contraire, tout comme l’homophobie ou la transphobie. Par ailleurs, selon le ministère de la Justice, près d’une affaire sur deux de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs traitée par les parquets en 2020 implique un mineur auteur.

Il y a donc urgence à développer une éducation qui permette à chacun d’évoluer dans une société qui garantisse le respect des élèves, de leur intimité corporelle et psychique, de leur rythme de croissance et de développement, de leurs différences et de leurs singularités ; l’égalité de considération et de dignité ; la vigilance par rapport à toutes les discriminations de sexe, de genre, ou d’orientation sexuelle.

L’éducation à la sexualité : une longue gestation et une obligation légale depuis 2001

L’éducation à la sexualité n’est pas récente, toutefois elle a arboré des visages différents selon les époques et les contextes. Le terme apparaît au début du XXe siècle. Trois catégories de personnes investissent alors ce domaine : les médecins qui veulent prévenir les maladies vénériennes, les prêtres soucieux d’arrêter la divulgation des méthodes contraceptives et les féministes, dans le souci de protéger filles et femmes contre la séduction, le viol et l’avortement. Le discours sur l’éducation sexuelle est alors placé sous l’influence de la morale traditionnelle en continuant de préconiser l’abstinence sexuelle des adolescents.

Le plan Langevin-Wallon, vaste plan de réforme de l’Éducation nationale mis en place à la Libération, envisage l’introduction de l’éducation à la sexualité dans les écoles mais celle-ci est réduite à une information biologique afin de normaliser les pratiques. L’objectif est alors notamment « d’éviter les perversions, les refoulements et l’homosexualité ». Bien que la France soit un des premiers pays à abolir les infractions réprimant l’homosexualité en 1791, le régime de Vichy les rétablit en 1942 et ce n’est qu’en 1982 que l’homosexualité sera dépénalisée avec la loi Forni.

Il faut attendre 1973 pour que la circulaire Fontanet vienne préciser officiellement le contenu de l’éducation à la sexualité. Il s’agit alors essentiellement de canaliser les débordements d’une jeunesse perçue comme en perdition depuis la loi Neuwirth qui a légalisé la contraception en 1967.

L’éducation sexuelle au collège, mode d’emploi (Archive INA, 1973).

L’introduction de cette circulaire provoque de vifs débats, notamment dans la presse. Si nul ne s’oppose à une information sur la sexualité, la question de l’éducation à la sexualité reste entière. D’ailleurs, cette dernière, dans la circulaire de 1973, demeure facultative. L’éducation à la sexualité reste avant tout une affaire familiale.

Les années 1980 sont fortement marquées par l’apparition du sida mais il faut attendre 1998 pour voir apparaitre une circulaire qui s’intitule « Éducation à la sexualité et prévention du sida » et la loi Aubry du 4 juillet 2001 pour que l’éducation à la sexualité en milieu scolaire devienne une obligation légale.

Désormais une information et une éducation à la sexualité doivent être dispensées dans les écoles, collèges et lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupe d’âge homogène. Mais, faute d’avoir prévu des moyens pour la faire appliquer, elles sont dispensées de manière inégale sur l’ensemble du territoire.

Des contenus qui font débat

Les contenus de l’éducation à la sexualité évoluent avec les époques. La circulaire de 1998 généralise les actions sur la prévention des risques liés au sida mais celles-ci adoptent encore souvent une tournure morale greffée sur le cours de biologie.

Plusieurs remarques peuvent être formulées à cet endroit : s’il s’agit de comprendre par exemple qu’il puisse y avoir « des comportements sexuels variés », la circulaire ne mentionne pas l’homosexualité ni la bisexualité par exemple. De la même manière, si la circulaire indique qu’il faut développer « l’esprit critique à l’égard des stéréotypes en amenant notamment les élèves à travailler sur les représentations idéalisées, irrationnelles et sexistes », la circulaire ne parle pas explicitement de pornographie ou de l’image de la femme souvent dégradée dans les médias.

La lutte contre l’homophobie n’est pas non plus exprimée explicitement alors que la dépénalisation de l’homosexualité date du 4 août 1982 et que l’homosexualité fut retirée de la liste des maladies mentales de l’OMS en 1991. La circulaire de 1998 précise en revanche qu’il s’agit d’apprendre à « analyser la relation à l’autre dans ses composantes personnelles et sociales, à partir de connaissances précises de chaque sexe » ce qui, finalement, participe « à la construction de l’individu ». Malgré l’existence de cette circulaire, l’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires ne semble pas être très développée.

L’éducation sexuelle à l’école : un besoin ! (SQOOL TV, 2022)

En 2013, un programme pour lutter spécifiquement contre les stéréotypes de genre au sein des écoles est mis en place : ce sont les ABCD de l’égalité, visant une information à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte contre les préjugés sexistes et à la lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi qu’aux violences commises au sein du couple. Très vite un groupe hétéroclite s’y oppose, orchestré par des catholiques réactionnaires cherchant une nouvelle croisade après l’adoption du mariage pour tous (2013), et des militants d’extrême droite. À la fin de l’année scolaire, malgré un bilan encourageant, le programme est abandonné et remplacé par un autre dispositif.

Vers de nouveaux programmes

L’éducation à la sexualité dans les établissements scolaires, telle que nous la connaissons aujourd’hui, se fonde désormais sur la circulaire de 2018 intitulée « L’éducation à la sexualité ». Vingt ans se sont écoulés entre la circulaire de 1998 et celle de 2018.

Il s’agit d’une démarche « éducative transversale et progressive, qui vise à favoriser l’estime de soi, le respect de soi et d’autrui, l’acceptation des différences, la compréhension et le respect de la loi et des droits humains, la responsabilité individuelle et collective, la construction de la personne et l’éducation du citoyen ». Son approche globale et positive doit être adaptée à chaque âge et à chaque niveau d’enseignement.

L’éducation à la sexualité est ainsi placée à l’intersection de plusieurs champs :

  • le champ biologique, qui comprend tout ce qui est de l’ordre de l’anatomie, la physiologie, la reproduction et ce qui en découle, en termes de contraception, de prévention des infections sexuellement transmissibles (IST) et du VIH-sida ;
  • le champ psycho-émotionnel, qui permet d’aborder la question de l’estime de soi, des compétences psychosociales, des relations interpersonnelles, des émotions et sentiments, et d’inviter ainsi les jeunes à développer leur propre réflexion et à échanger avec leurs pairs, tout en respectant leur sphère privée ;
  • le champ juridique et social, qui a pour objectif de sensibiliser les élèves sur des questions sociétales, les droits et devoirs du citoyen, les mésusages des outils numériques et des réseaux sociaux, les risques liés à une exposition aux images pornographiques, l’exploitation sexuelle, les violences sexistes et sexuelles, l’égalité femmes-hommes, etc. Il s’agit de combattre les préjugés, notamment ceux véhiculés dans les médias et sur les réseaux sociaux à l’origine de discriminations, stigmatisations et violences.

Le nouveau projet de programme n’est pas révolutionnaire mais reprend ces thématiques en les développant et précise comment les différents enseignements peuvent s’y rattacher. Depuis l’obligation légale de 2001 de dispenser trois séances annuelles et par niveau, il est aussi précisé que tous les enseignants (et pas seulement les professeurs de SVT ou d’éducation civique et morale) doivent s’emparer de ces thématiques.

Cet enseignement, qui a considérablement évolué au cours de l’histoire, est en passe désormais de jouer un rôle global concernant la vie scolaire en reliant des champs jadis séparés. Il inscrit dans une formation maitrisée les valeurs que l’école de la République est censée véhiculer, mais ancrée dans la réalité vécue par les enfants ou les adolescents, en prenant aussi en compte l’impératif de déconstruction qu’impose aujourd’hui, au niveau de la sexualité, l’influence des réseaux sociaux numériques.

Il est donc l’aboutissement et la clef de voûte de toute une conception de la laïcité et de l’école comme éducation de l’individu et du citoyen. Seule la connaissance peut, en effet, permettre à l’individu de s’extraire de préjugés susceptibles de conduire à des dérives comme l’homophobie, la transphobie et toute forme de sexisme ou de violence à caractère sexuel. Il serait donc dommage que des controverses idéologiques empêchent la mise en place concrète de ce projet car les valeurs ici défendues devraient transcender, dans un état de droit, toutes les oppositions politiques.


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