Tribune : Les assistantes sociales scolaires, grandes invisibles de l’Éducation nationale
Les organisation syndicales appellent les assistants et conseillers techniques des services sociaux de l'Éducation nationale et de l'enseignement supérieur à une journée de mobilisation nationale le 22 mars à Paris. Dans une tribune, une conseillère technique de service social d'une Académie de la région parisienne (anonymat souhaité) revient sur l'importance du rôle des assistantes sociales scolaires dans la protection de l'enfance et leurs attentes en terme de reconnaissance.
Lors de son discours, notre Premier ministre, Gabriel Attal, a souligné le travail essentiel des infirmières scolaires pour lesquelles il a annoncé une revalorisation salariale à effet immédiat.
Cette annonce, bien que méritée, a provoqué un sentiment d'invisibilité, de mépris et de colère parmi les assistantes sociales scolaires, restées dans l’ombre, qui voient ainsi un écart se creuser encore davantage avec leurs collègues.
À l’heure où la parentalité, l'éducation, l'enfance, la santé mentale sont présentées comme de grandes causes mises en lumière par nos dirigeants, le service social scolaire, au premier rang de ces enjeux majeurs, se sent totalement oublié.
Au-delà des représentations, les assistantes sociales scolaires sont un maillon essentiel du système éducatif. Elles favorisent le bien être psycho-affectif et la construction identitaire des futurs adultes de demain.
Une approche globale
Le service social scolaire est un service spécialisé. Conseillères de l'institution, les assistantes sociales apportent leur regard et leur expertise dans bon nombre de situations très complexes rencontrées par les équipes pédagogiques, les chefs d'établissement, les infirmières et les psychologues scolaires.
Nos missions sont tournées vers le bien être des jeunes au sens large. Nous œuvrons chaque jour en nous intéressant à tous les aspects de leur quotidien, en tenant compte de leur environnement social, familial, relationnel dans une globalité.
L'inclusion des élèves en situation de handicap, la lutte contre le harcèlement et l'absentéisme scolaires, les dangers des réseaux sociaux, les conduites à risque, les violences intra-familiales ou sexuelles sont au centre de nos métiers. Nous menons des actions de sensibilisation auprès des jeunes et des personnels. Nous intervenons dans le repérage des élèves qui manifestent un mal être ou des difficultés et leur proposons un accompagnement psycho-social individualisé.
Étant un service accessible sans accord parental, nous sommes souvent les premières dépositaires des confidences des élèves : leur vécu, leurs conditions de vie, leurs angoisses et leurs besoins. Notre rôle consiste à comprendre les rouages de leurs situations, activer des leviers et mobiliser des partenaires pour les aider.
Actrices incontournables de la protection de l’enfance, nous soutenons les parents dans leur rôle éducatif et participons à protéger les enfants victimes. Nous portons leur parole et pansons leurs blessures de vie afin qu’ils retrouvent une vie la plus sereine possible.
Des conditions d’intervention insatisfaisantes
Malgré leur engagement et leur investissement, les professionnelles sont cependant épuisées et découragées. Elles ont le sentiment de se battre continuellement pour défendre leur place. Leur insuffisance quantitative nécessite qu’elles interviennent sur plusieurs établissements en même temps. Or la parole d’un jeune ne se libère qu’après un nécessaire temps de mise en confiance. L’évolution des situations demande pour les familles un travail de cheminement.
Ce manque d’effectifs entrave ainsi la possibilité d’un suivi social personnalisé dans de bonnes conditions. Sans cette proximité de l’assistante sociale auprès des élèves, les situations sont amenées à se dégrader, devenant parfois irréversibles. Le service social scolaire ne peut se satisfaire de n’intervenir que dans l’urgence alors que son rôle est si crucial en termes de prévention.
Par ailleurs, de très nombreux établissements scolaires ne bénéficient d’aucune présence d’assistante sociale. Dans toute la France, le service social en faveur des élèves compte environ 3 200 professionnelles pour 6 950 collèges et 3 750 lycées.
On parle de près de 6 millions d’élèves uniquement dans le second degré ! Une situation qui interpelle.
Comment expliquer également que si peu d’entre elles interviennent auprès des étudiants ? A l’heure où beaucoup se retrouvent dans des situations de précarité extrême, ayant du mal à se nourrir et à se loger au quotidien…
Comment expliquer leur absence quasi totale des écoles primaires et maternelles (plus de 6,5 millions d’élèves) ? Là où les jeunes sont les plus vulnérables et ont besoin des codes pour se préparer à la vie dans une société qui les dépassera très vite…
Dans un monde idéal, la présence du service social serait nécessaire dès le plus jeune âge pour éviter que les situations ne s’enkystent. Lorsqu’ils arrivent au collège, il est déjà très tard pour protéger certains enfants.
L'invisibilité de ces professionnelles pose aussi une question plus profonde : celle du regard et de l’attention portés par la société à tous ces jeunes et ces familles qui en ont besoin, celle de la place accordée à l’enfance, à la jeunesse, celle de leur propre invisibilité.
Permettre une présence réelle du service social scolaire dans chaque établissement serait une main tendue indispensable à chacun de ces jeunes : un accompagnement digne et à la hauteur des espoirs qu’ils méritent.
Les assistantes sociales scolaires sont bien trop peu nombreuses et leur charge de travail ne cesse de croître à moyens constants. Sous prétexte de couvrir de plus larges territoires, elles sont amenées à apporter leur conseil par téléphone ou à se déplacer davantage. Tout en ayant la lourde responsabilité de ne pas passer à côté d'une situation d’élève délicate, elles jonglent tant entre leurs multiples missions qu’entre leurs divers établissements.
Malgré leur rôle indispensable et cet investissement sans faille, elles ne se sentent pas reconnues à leur juste valeur. Au sein du même ministère et à diplômes équivalents, il est insupportable qu’elles ne bénéficient pas de grilles salariales au moins équivalentes à celles de leurs collègues infirmières. Bien que cadre A, elles perçoivent déjà des rémunérations bien inférieures aux autres corps de la fonction publique.