Suite au communiqué « lunaire » de la direction du festival de BD d'Angoulême annonçant la déprogrammation d'une exposition consacrée à Bastien Vivès, de très nombreuses autrices, des responsables d'associations et quelques politiques expliquent ici les raisons de la mobilisation qui a conduit à cette annulation. « L'art n'est pas exempt d'une responsabilité sociétale, pas plus que celles et ceux qui comptaient mettre en avant une œuvre faisant l'apologie des violences sexuelles sur mineur·e·s. » Les institutions publiques doivent prendre « leurs responsabilités ».
Hier, le Festival international de BD d'Angoulême a annoncé la déprogrammation d'une exposition consacrée à Bastien Vivès. Cette annulation fait suite à une large mobilisation de survivant·e·s, victimes, activistes féministes, professionnel·les de la protection de l'enfance, élu·e·s autour d'une pétition lancée par le mouvement BeBraveFrance qui a récolté en cinq jours plus de 100.000 signatures.
Pourquoi cette mobilisation?
Une partie de l'œuvre de Bastien Vivès représente des enfants subissant des faits d'inceste. Or le fait de dessiner des mineur·e·s dans une scène pornographique est interdit par la loi (article 227-23 du Code pénal). À cela s’ajoute, les propos tenus par Bastien Vivès dans différentes interviews. Par exemple, à Madmoizelle en 2017 :
« Moi déjà, l'inceste ça m'excite à mort. Pas celui de la vraie vie, mais celui raconté, je trouve ça génial. Tous ces trucs-là font des histoires incroyables. Quand tu transgresses, quand tu fais quelque chose que t'as pas le droit de faire, c'est agréable à lire. »
Au-delà de l'interdiction légale, le fait d'avoir envisagé de consacrer une exposition à cet auteur dans un des festivals de BD les plus connus en Europe revenait tout bonnement à banaliser et à promouvoir l'inceste. Une décision éminemment politique intolérable.
Hier, la direction du festival s'est fendue d'un communiqué aussi long que lunaire dans lequel elle a assuré que la principale raison justifiant l'annulation de l'exposition étaient « les risques » qui pesaient sur l'auteur en raison de « menaces physiques » à son encontre.
Si toutes formes de menaces sont inacceptables et condamnables, peu ont été dupes de la pirouette consistant à mettre principalement en avant les « menaces » afin d'éluder opportunément ses torts ou de répondre aux questions de fonds soulevées par une telle exposition.
Tout juste, la direction du festival a-t-elle elle reconnu la « sensibilité et l'engagement » d’« internautes » à « la cause de l'enfance et des femmes ». Et d'expliquer de manière pour le moins alambiquée : « avoir entrepris de se concerter avec ses partenaires afin d'envisager de prendre en compte » ces points de vue.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? Pas tant de « la cause de l'enfance et des femmes » mais bien de représentations illégales d'inceste et de pédocriminalité, de violences sexuelles sur des enfants. Appeler un chat un chat est-ce si difficile que ça pour la direction du festival d'Angoulême?
Explications.
L'inceste touche plus de 6 millions de Français.e.s, c’est à dire deux enfants par classe. Les violences sexuelles affectent chaque année en France 165.000 enfants.
Les conséquences de l'inceste et de la pédocriminalité sont connues : impacts psychotraumatiques, tentatives de suicide, déscolarisation, marginalisation, précarité, addictions, auto mutilations, troubles alimentaires... etc. Sans compter que ces violences sexuelles sur les enfants affectent avant tout les plus vulnérables. Ces crimes s'accompagnent désormais de production d'images et de vidéos pédocriminelles largement diffusées sur internet, ce qui cause un double traumatisme aux victimes.
Depuis des années, nous nous battons pour une meilleure prise en compte des violences sexuelles contre les enfants et la réalité reste sombre : impunité massive de ces crimes. Seules 4% des victimes de viols sur mineur.e.s portent plainte. Moins de 1% aboutit aux Assises. L'absence de soins adaptés et de professionnel·le·s formé·e·s au psychotraumatisme est criant en France. L'absence de moyens pour mener une politique de prévention efficace l'est tout autant.
Face à ce problème majeur de santé publique dont les conséquences sont gravissimes, les réponses publiques adaptées tardent à venir malgré la mise en place de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE).
C'est de la responsabilité à banaliser ces crimes sexuels via une exposition « carte blanche » dont il aurait fallu parler. Non par des circonvolutions pathétiques mais par une prise de position publique franche et utile.
Au lieu de cela, la direction du festival s'est retranchée derrière la « liberté d'expression » en évoquant aussi l'éternelle « censure ».
Autant d'arguments qui s'inscrivent dans une « culture du viol », une « culture du déni » encore bien ancrées où tous les prétextes sont bons pour continuer à minimiser les violences sexuelles en accusant celles et ceux qui dénoncent cette complaisance indécente de « bigoterie » ou de « moraline ».
Or, l'art n'est pas exempt d'une responsabilité sociétale, pas plus que celles et ceux qui comptaient mettre en avant une œuvre faisant l'apologie des violences sexuelles sur mineur·e·s. Ils doivent dès lors répondre de leur choix politique.
Pour les survivant·e·s, victimes et leurs allié·e·s, briser le tabou de l'inceste c'est avant tout affronter une réalité qui a détruit et continue à détruire des générations entières en France. Ignorer cette réalité, c'est en être complice.
L'inceste n'est pas de l'art mais un crime. Nous souhaitons en finir aussi avec la « culture de la pédocriminalité ».
Ces derniers jours ni le Conseil Régional de la Nouvelle Aquitaine, ni le Département de la Charente en charge de la protection de l'enfance, ni la mairie d'Angoulême, partenaires financiers de l'évènement n'ont pris un positionnement clair au regard de la loi sur ce projet d'exposition. Pas davantage que la ministre de la Culture ou la Secrétaire d'état en charge de l'enfance
Nous leur demandons de prendre leurs responsabilités, en cohérence avec la décision du président de la République d'ériger la lutte contre l’inceste et la pédocriminalité, comme grande cause du quinquennat.
Signataires :
Charlotte Arnould, comédienne
Kildine Bataille, adjointe (SD) au maire de Dijon en charge de l’égalité femmes hommes et de la petite Enfance
Jean-François Belmonte, auteur
Olivier Bereziat, secrétaire général de CDP-Enfance
Andréa Bescond, autrice réalisatrice
Hélène Bidard, adjointe PCF à la maire de paris en charge à l’égalité femmes hommes, la jeunesse et l’éducation populaire
Adélaïde Bon, autrice
Dre Catherine Bonnet, psychiatre d'enfants et d'adolescents, auteure de L'enfant Cassé, l'inceste et la pédophilie, L'enfance muselée, un médecin témoigne
Claire Bourdille, fondatrice du Collectif Enfantiste
Natacha Butzbach, psychologue et thérapeute ICV
Pascal Cussigh, avocat et président de CDP-Enfance
Typhaine D, artiste et féministe
Fabienne El-Khoury, porte-parole d'Osez le Féminisme
Emma Étienne, présidente et fondatrice de l'association SPEAK!
Aude Fiévet, psychosociologue, vice présidente Le Monde à Travers un Regard
Arnaud Gallais, co-fondateur de BeBraveFrance
Héloïse Junier, psychologue, spécialiste du jeune enfant, docteure en psychologie, formatrice et conférencière
Alexandra Lamy, actrice, réalisatrice
Kamila Glazewska, responsable Association Epapi
Aurore Le Goff, autrice et conférencière
Françoise et Laurence Le Goff, fondatrices de EnfantsDevenusGrands
Tadrine Hocking, actrice
Xavier Iacovelli, sénateur (RDPI) des Hauts de Seine
Mié Kohiyama, co-fondatrice BeBraveFrance
Elsa Labouret, porte-parole d’Osez le Féminisme
Corinne Leriche, militante féministe mère de Julie
Clémence Lisembard, responsable des opérations de la Fondation de France
Marine Manard, neurospychologue, Docteure en sciences psychologiques et de l’éducation, directrice du magazine parentalité sans tabou
Nathalie Provost, responsable Association Epapi
Céline Quelen, présidente de fondatrice de StopVEO
Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone des femmes autistes
Michèle Rannou, vice-présidente du Monde à Travers un regard
Sandrine Rousseau, députée EELV
Dre Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie
Isabelle Santiago, députée (PS), vice-présidente de la Délégation aux Droits de l’enfant
Homayra Sellier, Présidente et fondatrice de Innocence En Danger international
Nora Tirane Fraisse, fondatrice association Marion la main tendue et auteure jeunesse.
Anne-Lucie Viscardi, Art-thérapeute-Réalisatrice-Créatrice du blog La Génération qui parle
Shirley Wirden, adjointe PCF au maire de Paris centre en charge de l’égalité femmes-hommes, des solidarités, de la lutte contre l’exclusion, des affaires sociales et de la protection de l’enfance.
Sonia Laffargue, vice-présidente Le Monde à Travers un regard
Sokhna Fall, anthropologue, victimologie, thérapeute familiale
Tadrine Hocking, actrice