Pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, guerre entre Israël et le Hamas, attentats terroristes, assassinats d’enseignants, crise climatique, intensification du rythme scolaire et de travail – la santé mentale des jeunes, exposés à ces évènements violents, semble au plus bas et a rarement autant été un objet de débat public.
Que sait-on réellement des difficultés psychologiques des adolescents et jeunes adultes en France ? Quels sont les groupes les plus à risque ? Quelles peuvent être les raisons de cette dégradation ? Que faire pour que les choses s’améliorent ?
Avant même le Covid, un risque de dépression élevé chez les collégiens et lycéens français
Grâce à un appareil statistique robuste, la santé mentale des collégiens et des lycéens en France est documentée depuis plus de 20 ans. Mais la plupart de ces données restent méconnues du grand public.
L’étude Enclass, qui fait partie du dispositif d’enquête européen Health and Behavior in School-Aged Children (HBSC) et qui a interrogé environ 11 000 jeunes a montré qu’en 2018, 32 % des élèves de 4e et 3e étaient à risque de dépression, en particulier les filles (41 % vs. 23 % des garçons). Respectivement 13 % et 5 % des filles et des garçons avaient des symptômes nécessitent des soins.
Au lycée, le risque de dépression augmente, avec 36 % des jeunes (45 % des filles et 27 % des garçons) concernés et, respectivement, 18 et 8 % des garçons et des filles ayant un trouble dépressif nécessitant une prise en charge médicale.
Ces indicateurs se sont dégradés dans le temps, la proportion de jeunes rapportant des signes de nervosité et d’irritabilité ayant augmenté entre 2010 et 2018 (de 21 à 28 % pour la nervosité et de 22 à 27 % pour l’irritabilité, chez les collégiens concernés). De la même manière, la proportion d’adolescents indiquant avoir des difficultés à s’endormir a également connu une hausse (de 31 à 37 % entre 2010 et 2018).
Un mal-être en augmentation aussi chez les jeunes adultes
Ces niveaux de mal-être psychologique sont élevés par rapport à ceux observés dans d’autres pays européens. Chez les jeunes adultes, la tendance est similaire. Le Baromètre Santé, une enquête réalisée par Santé publique France auprès d’un échantillon représentatif de la population française, montre qu’entre 2005 et 2021, la prévalence de la dépression est passée de 9 % à 20 % chez les 18-24 ans et de 8 % à 15 % chez les 25-34 ans. Aucun autre groupe de la population ne connaît une dynamique si délétère ni une santé mentale aussi dégradée.
Des symptômes qui perdurent même après le Covid
La détérioration de la santé mentale des jeunes a été particulièrement marquée à partir de la crise sanitaire liée au Covid-19, qui a causé plus de 116 000 décès.
En 2020, d’après les données de l’étude ÉpiCov, menée conjointement par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche et des études statistiques (Drees) du ministère des Affaires sociales auprès d’un échantillon représentatif de plus de 100 000 personnes, 22 % des 15 à 24 ans déclaraient des symptômes de dépression (par rapport à 13 % dans l’ensemble de la population), c’est-à-dire un taux deux fois plus élevé qu’avant la pandémie de Covid-19.
La prévalence de la dépression chez les jeunes a ensuite baissé entre 2020 et 2021, mais dans une moindre mesure comparé au reste de la population. Fin 2021, 14 % des 15-24 ans participant à EpiCov déclaraient des symptômes correspondant à un trouble dépressif.
L’enquête Coviprev, menée par Santé publique France auprès d’un échantillon de 2 000 personnes entre mars 2020 et décembre 2022, a aussi montré des taux élevés de symptômes d’anxiété (43 %) et de dépression (22 %) chez les 18-24 ans, qui ont perduré après la fin de la pandémie de Covid-19.
Ces tendances sont confirmées par les données médicales qui montrent une augmentation des recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires chez les 11-24 ans depuis 2021 et qui restent à des niveaux élevés en 2023.
L’adolescence, une période charnière pour la santé mentale future
Les troubles psychiatriques fréquents, dont la dépression, les troubles anxieux et les troubles liés à l’alcool ou aux drogues, touchent au total une personne sur quatre au cours de la vie et représentent 15 % de la morbidité totale au sein de la population. Dans près de 50 % des cas, ces troubles surviennent au moment de la transition entre l’adolescence et l’âge adulte et, dans près d’un cas sur deux, ils persistent au cours de la vie.
L’adolescence et le moment de l’entrée dans la vie adulte, où se jouent également le devenir scolaire, professionnel ainsi que l’insertion sociale des personnes sont des périodes charnières, au cours desquelles une dégradation de la santé mentale peut avoir des effets irrémédiables sur la santé future mais aussi sur le devenir des individus.
Les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés davantage affectés
Dans ce domaine, comme vis-à-vis d’autres problématiques de santé, les jeunes issus de groupes sociaux défavorisés ont un risque élevé d’avoir des problèmes de santé mentale et, en même temps, ce sont ceux qui rencontrent le plus de difficultés pour accéder à des soins de qualité. Ceux dont les parents n’ont pas d’emploi ou ont des revenus faibles sont les plus concernés par des difficultés émotionnelles et psychologiques, surtout si leur famille connaît une situation de précarité aiguë telle que le fait de ne pas avoir de logement fixe. Or l’accès aux soins de santé mentale spécialisés est moins fréquent pour les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés.
Depuis la pandémie de Covid-19, on se soucie, à juste titre, de la santé mentale des étudiants. Mais les données de l’étude EpiCov indiquent que, parmi les jeunes adultes de 18 à 24 ans, ce sont ceux qui ne sont ni en formation ni en emploi qui souffrent des taux de dépression les plus élevés, tandis que chez les 25-30 ans, il s’agit de ceux qui sont au chômage.
Pauvreté, pression scolaire, Internet… des facteurs de risque en augmentation
La survenue et la persistance des problèmes de santé mentale sont multifactorielles. Elles traduisent à la fois des mécanismes génétiques, des expositions et facteurs de risque spécifiques à l’individu (par exemple l’exposition à des situations de violence, à des évènements de vie adverses, etc.), ainsi que des facteurs collectifs (par exemple une crise sanitaire, politique ou économique).
Une augmentation de la prévalence des symptômes d’anxiété et de dépression chez les adolescents et jeunes adultes, telle qu’observée au cours des vingt dernières années, ne peut pas être expliquée par des facteurs génétiques qui n’évoluent pas dans le temps – elle ne peut traduire que des changements dans le repérage des problèmes de santé mentale ou une augmentation de la fréquence des facteurs de risque. Il n’est pas exclu qu’il soit plus facile aujourd’hui qu’hier d’identifier et de rapporter des problèmes psychologiques dans une enquête, de se confier à des proches ou de se tourner vers un soignant pour cette raison.
Si, comme le suggèrent certaines études, la littératie en santé mentale – c’est-à-dire les connaissances sur la santé mentale de la population et la capacité à repérer les difficultés psychologiques – s’améliore et la stigmatisation des problèmes de santé mentale recule, on ne peut que s’en réjouir, car il s’agit d’étapes nécessaires pour pouvoir prendre soin de soi et demander de l’aide à son entourage ou à un soignant.
Néanmoins, il semblerait également que la fréquence de certains facteurs de risque ait cru : proportion de familles monoparentales, niveau de pauvreté, inégalités sociales, pression scolaire, auxquels s’ajoutent de nouvelles expositions telles que l’utilisation importante d’Internet (notamment des jeux vidéo et des réseaux sociaux).
La répétition d’évènements violents également dommageable
La survenue d’évènements violents tels que des attentats terroristes peuvent aussi avoir un impact sur la santé mentale des jeunes, y compris parmi ceux qui ne sont pas directement victimes. En effet, la survenue de violences peut fragiliser les personnes sur le plan psychologique, causer des symptômes d’anxiété, les amener à se couper des autres. La répétition de ce type d’évènements, par nature imprévisibles, semble particulièrement dommageable.
La pédopsychiatrie à bout de souffle
Face à l’augmentation de la fréquence des problèmes de santé mentale des jeunes, le système de santé – à bout de souffle comme le rappellent de multiples tribunes et éditoriaux sur la pédopsychiatrie et la Cour des comptes en 2023 – ne peut pas tout.
La prévention et le repérage des difficultés psychologiques des enfants et adolescents reposent principalement sur d’autres acteurs dont les parents, mais aussi les adultes présents à l’école, à l’université ou travaillant dans des associations culturelles et sportives qui accompagnent des millions de jeunes dans des activités de loisirs au quotidien.
Multiplier les dispositifs d’accompagnement
La diffusion des connaissances et l’amélioration de la littératie en santé mentale sont nécessaires pour mieux repérer les jeunes en souffrance. De même, la multiplication des dispositifs facilement accessibles peut favoriser l’accompagnement voire l’accès aux soins avant la survenue d’une crise sévère qui conduit à l’hôpital telle qu’une tentative de suicide : lignes téléphoniques, à l’image de Fil Santé Jeunes qui fait référence, sites Internet permettant d’avoir des informations fiables sur la santé mentale, applications smartphones ou autres programmes d’e-santé permettant d’accéder à des programmes brefs, notamment de mentalisation, relaxation ou méditation, aidant à gérer les symptômes de stress.
Mal-logement, familles monoparentales, violences… agir sur les déterminants sociaux
Cependant, une véritable politique de prévention des problèmes de santé mentale des jeunes nécessite des efforts intersectoriels pour modifier des déterminants au-delà du système de santé : lutte contre la pauvreté et le mal-logement, accompagnement renforcé des familles monoparentales, prise en charge des problèmes de santé mentale des parents et prévention des violences – dans le contexte familial, à l’école et sur Internet – ainsi qu’une remise en question du système de compétition scolaire auquel les jeunes sont confrontés de plus en plus tôt.
Maria Melchior, épidémiologiste, Directrice de recherche, Inserm