Rechercher un logement : les étudiants face aux inégalités

Si la crise du logement étudiant fait régulièrement la « une » des médias, on manque cruellement de statistiques pour établir un diagnostic complet de la situation en France. Les données que commencent à produire les observatoires territoriaux du logement étudiant (OTLE) nous offrent peu à peu les bases d’une compréhension plus précise des enjeux, tout comme les enquêtes menées par d’autres organismes tels que l’Observatoire de la vie étudiante, l’AFEV ou la Fondation Abbé Pierre.

Se pencher sur un territoire où il y a peu de tension au niveau du marché du locatif, comme c’est le cas du Havre, permet de mettre en lumière d’autres aspects de la recherche de logement. Quels sont les critères privilégiés par les jeunes pour vivre en sécurité et avec plénitude leur vie étudiante ?

Plusieurs enquêtes qualitatives menées par les étudiants du master HALIS – Habitat, logement, ingénierie sociale d’Université Le Havre Normandie – nous aident à répondre à cette question et à aller au-delà des questions d’accessibilité.

La pyramide de l’accès au logement

Le Havre est un territoire où le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, attirant notamment de plus en plus d’étudiants étrangers. Ainsi lors de la rentrée 2021-2022, sur 13 650 étudiants, 10 % venaient d’autres pays que la France, représentant 110 nationalités, ce qui s’explique par une offre diversifiée de formations portés par plusieurs structures (Université le Havre Normandie, École de Management de Normandie, École Nationale Supérieure Maritime, École Supérieure d’Art et Design Le Havre Rouen, Institut de Formation d’Éducateurs de Normandie, etc.).

Même dans les territoires sans tension résidentielle particulière, la recherche d’un appartement ou d’une chambre tient d’un parcours du combattant où les inégalités sociales se cristallisent. Certains étudiants effectuent ces recherches seuls, sans accompagnement, sans garant et avec peu de moyens, alors que d’autres sont aidés par leurs familles. Les sites proposent parfois des annonces qui ciblent une population étudiante sans réseau et/ou étrangère à laquelle ils proposent des logements dégradés. Illan, 23 ans, remarque :

« C’est beaucoup de démarches, beaucoup de paperasse, beaucoup de documents à remplir. C’est ça qui est trop pesant, trop stressant, c’est maintenant que je comprends pourquoi la majorité préfère rester chez leurs parents. »

Katia, 22 ans, en master, ajoute :

« Financièrement c’était un peu compliqué dans ma tête au début. Je devais racheter des meubles, payer à nouveau les ouvertures de compteurs, la caution, le loyer d’avance… Ça fait pas mal d’argent à avancer sachant qu’on perd les APL le 1er mois. »

Trouver un garant

Une fois le logement trouvé, il s’agit pour les étudiants étrangers, européens ou français sans garant de trouver une solution. Une grande partie des propriétaires n’acceptent pas la garantie Visale, seuls 1 million de ménages sont logés en France grâce à ce dispositif. Certaines associations (CHLAJ76, Association partageons un Havre…) aident les jeunes quitte à parfois les loger chez l’habitant de façon provisoire. D’autres permettent de repérer les logements de qualité labellisés.

En ce qui concerne les logements du CROUS, les résidences les moins chères privilégieront les étudiants à plus faible revenu, souvent étrangers. A l’autre extrême, les résidences privées accueillent les plus favorisés. Ainsi dans les territoires en tension locative, il peut arriver qu’on vous demande de payer dès juillet pour une rentrée en septembre avec des tarifs très élevés, de l’ordre de 1 000 euros pour 18 m2 en région parisienne. Ces résidences modernes se sont adaptées à cette jeunesse qui aime moins la solitude que par le passé, en développant des espaces collectifs.

La recherche d’un logement représente beaucoup de démarches. © Getty Images

Une nouvelle problématique est la mobilité des alternants. Certains jonglent entre leur logement et un lit chez des amis ou de longs trajets au quotidien. Plusieurs dispositifs existent (Avance loca pass, Mobili jeunes) mais comportent des limites notamment en termes de visibilité. L’alternance oblige parfois à avoir deux logements, ce qui demande un taux d’effort trop important aux apprentis, notamment parce que les APL ne peuvent être attribuées à logements pour une même personne.

La sécurisation des parcours est aussi à repenser. Les jeunes qui sont en échec professionnel ou dans leur formation se voient obligés de retourner vivre chez leurs parents puisqu’ils se retrouvent sans filet.

Construire un chez-soi

Les jeunes des premiers cycles retournent souvent chez leurs parents, considérant qu’ils retournent chez eux. Ils vont progressivement s’approprier leur logement étudiant. Il est important pour eux de s’y sentir bien. Pour cela ils ajoutent des touches personnelles. Feriel, étudiante en master de 23 ans, raconte :

« J’ai installé ma télé, j’ai posé une grande peluche à côté de mon lit, j’ai accroché un rideau qui sépare mon lit et la grande pièce de vie. J’ai posé des photos partout sur les murs, sur mon frigo. »

Florence, étudiante en licence de 21 ans, montre l’importance d’être chez elle :

« En sécurité, car c’est très important. J’étais dans une zone très agréable à vivre donc ce qui fait que, même dans mon studio, j’étais très bien, j’étais dans mon élément comme on peut dire chez moi, dans mon logement, j’avais un sentiment de bien-être. »

Les étudiants souhaitent habiter un quartier près de leur lieu de formation pour économiser les frais de transport et parfois de nourriture. La sécurité du quartier est recherchée, de jour comme de nuit. Or certains étudiants ne connaissent pas forcément le territoire au moment de la signature du bail, et se retrouvent dans des quartiers au sein desquels ils ne sont pas rassurés la nuit.

La ville du Havre adapte les transports pour favoriser la mobilité nocturne. Le service Lia de nuit permet un transport à la demande du lundi au dimanche toute l’année entre tous les arrêts des communes desservies par ce service. Katia, 22 ans en master, précise :

« Mon quartier est assez riche en opportunités. Déjà j’ai le tram à 5 min à pied, la plage et le square St-Roch à même pas 10 min à pied chacun, et je suis entourée de tous types de commerces et activités. »

L’ensemble de ces éléments invitent à penser la problématique du logement étudiant de façon globale. Au-delà de l’accès au logement, il s’agit pour les jeunes d’habiter son quartier et de vivre sa vie d’étudiant ou d’étudiante.


Cet article a été co-écrit par Sandra Gaviria, professeure de sociologie, et Kisito Friday Dziwonou, étudiant en master HALIS à l’Université Le Havre-Normandie

Sandra Gaviria, Professeure de sociologie, Université Le Havre Normandie