Depuis la loi de 2005, qui pose les bases d’une société inclusive, tout enfant en situation de handicap doit pouvoir trouver une place dans l’école de son quartier. Si elle a progressé, la scolarisation d’élèves présentant des besoins éducatifs particuliers est loin d’être encore automatique, et inscription ne rime pas toujours avec inclusion. Quelques éclairages.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est une loi majeure touchant, entre autres, la question de la scolarisation des élèves en situation de handicap. Elle dit que
« tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école ou dans l’un des établissements […] le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence. »
Par cet article 19, elle a lancé une politique dite de scolarisation inclusive reconnaissant que chaque élève a le droit à une scolarisation ordinaire, comme n’importe qui.
Ce principe supposait une modification en profondeur de l’école en demandant à celle-ci de s’adapter aux élèves et non plus l’inverse. Cette loi de 2005 sera suivie de multiples textes législatifs et décisions pour soutenir ce paradigme.
Vingt ans après l’instauration de cette loi, ses objectifs ont-ils été atteints ? Sur le terrain, où en est vraiment l’inclusion des élèves en situation de handicap ?
Une qualité d’accueil encore très hétérogène
Les élèves en situation de handicap étaient au nombre de 468 250 à la rentrée de septembre 2024, ce qui représente environ 3,7 % des effectifs scolaires. Si l’on met ce chiffre face à celui de 2006 (155 361), les progrès quantitatifs de l’inclusion apparaissent comme indéniables. Si l’on peut évidemment s’en réjouir, il faut aussi reconnaître que ce nombre est « l’arbre qui cache la forêt ».
En effet, être comptabilisé en tant qu’élève ne veut pas dire être inclus au sens voulu par le Code de l’éducation. L’inclusion ne suppose pas seulement que les enfants en situation de handicap soient « là », avec les autres, mais aussi de s’assurer qu’ils aient les mêmes opportunités d’apprentissage dans leur quotidien à l’école. Sur ce plan-là, il reste du chemin à parcourir et le rapport récent de la Cour des comptes ainsi que certains travaux de recherche conduits dans le contexte français sont riches d’enseignement.
En substance, pour les élèves qui bénéficient d’un dispositif d’appui à leurs parcours de scolarisation (c’est-à-dire du support d’une Unité localisée pour l’inclusion scolaire, Ulis), les partages du temps entre ce dispositif et la classe de référence (par exemple le CM2 si cela correspond à la classe d’âge de l’élève) sont très hétérogènes. Par ailleurs, lorsque les élèves concernés sont dans leur classe de référence, les apprentissages leur sont souvent encore trop peu accessibles, avec des pratiques pédagogiques qui n’ont pas encore suffisamment évolué.
Attention à ne pas faire porter pour autant la responsabilité de la situation sur les seuls enseignants. De multiples facteurs qui expliquent cet état de fait, tant au niveau de la classe qu’au niveau global du système éducatif à travers son organisation, son financement et même ses valeurs.
Une difficile transformation du système éducatif
L’inclusion supposerait que tous les élèves en situation de handicap aient une place dans l’école proche de leur domicile. Mais on en est encore loin et les saisines régulières de la Défenseure des droits en témoignent, tout comme les campagnes menées par les associations de parents. Il y a en outre des disparités territoriales comme le pointe également le rapport de la Cour des comptes que nous évoquions précédemment.
L’intégration des enfants handicapés dans le système scolaire (INA, 2019).
Ces difficultés rendent compte de la difficile transformation de notre système scolaire. Cela pose la question des moyens mais aussi, encore une fois, de ce qu’est notre système éducatif. Sur le premier point particulièrement, si des chiffres de financements sont disponibles (par exemple, 3,7 milliards d’euros en 2022), leur utilisation n’est pas toujours transparente.
Nous savons par exemple qu’une partie non négligeable est destinée à financer les accompagnantes et accompagnants d’élèves en situation de handicap dans une logique de compensation laissant à penser que la scolarisation d’un élève est conditionnée par la présence de ces professionnels (ce que ne dit pas la loi).
La compensation humaine est certes nécessaire, voire indispensable, pour permettre la scolarisation de certains élèves. Seulement, dans certaines situations, elle n’est pas la réponse la plus optimale. Il serait probablement souhaitable que des investissements soient aussi faits davantage dans une logique d’accessibilité afin de soutenir la transformation des pratiques d’enseignements.
Mieux connaître le vécu des familles et des élèves
Des travaux de recherche ont été menés au niveau international sur l’évaluation des effets de cette politique d’inclusion tant sur les apprentissages que sur le vécu des élèves. Dans le contexte français, ces travaux, notamment sur les apprentissages, sont plus rares. C’est une difficulté que relève la Cour des comptes :
« Il faut également relever le manque de travaux qui permettraient d’analyser en quoi la scolarisation des élèves en situation de handicap est bénéfique pour eux en termes de réussite scolaire et, plus largement, éducative, ainsi que l’impossibilité de distinguer les parcours ou les dispositifs les plus efficaces et efficients. »
Toutefois, des études ont posé quelques jalons. Ainsi, Françoise Guillemot et ses collaboratrices, dans une enquête auprès de parents d’enfants en situation de handicap, notaient que le niveau de bien-être des élèves est particulièrement dépendant de trois facteurs :
- les caractéristiques des élèves (les parents d’enfants avec un trouble du spectre de l’autisme, un trouble déficitaire de l’attention ou un trouble spécifique des apprentissages sont ceux qui estiment le niveau de bien-être et d’inclusion social comme le plus faible) ;
- la relation enseignant-parents (plus celle-ci est jugée positive, plus les parents estiment que leur enfant est heureux et inclus) ;
- la satisfaction à l’égard de la mise en place d’aménagements (plus les parents sont satisfaits des aménagements mis en place, plus ils estiment que leur enfant est heureux et inclus).
Coopération, formation, moyens : encore de nombreux défis
Vingt ans après la loi de 2005, les défis sont malheureusement beaucoup trop nombreux pour pouvoir tous être cités. Si nous devions en choisir quelques-uns, nous pourrions commencer par rappeler que les acteurs de la communauté éducative ne sont pas assez formés sur la question de la scolarisation inclusive.
Toutefois, cette formation n’est pas la seule garantie de la réussite de cette politique éducative. Il faut aussi prévoir des espaces et du temps pour permettre aux professionnels impliqués de se rencontrer et partager des pratiques dans une logique de coopération afin de limiter les ruptures de parcours pour les élèves. Il faut également développer des ressources avec un double souci : que celles-ci soient pensées avec et pour les enseignants tout en témoignant de leur efficacité dans des travaux de recherche expérimentaux.
Enfin, il faut noter que nous n’avons parlé ici que des élèves en situation de handicap dans le cadre de l’anniversaire de la loi de 2005, mais il faut comprendre que la scolarisation inclusive, dans sa définition la plus stricte, dépasse ce public et concerne l’ensemble des élèves, qu’ils aient des besoins éducatifs particuliers ou non. L’école de demain n’est pas l’école des élèves ordinaires et l’école des élèves en situation de handicap, c’est une seule et même école pour toutes et tous.
Mickaël Jury, Maître de conférence en psychologie à l'INSPÉ Clermont Auvergne - Membre junior de l'Institut Universitaire de France, Université Clermont Auvergne (UCA) et Caroline Desombre, Professeure de psychologie sociale, Université de Lille
