Quatre associations de protection de l'enfance et de lutte contre les violences sexuelles demandent des "sanctions disciplinaires" contre le Dr Paul Bensussan et son retrait de la liste des experts judiciaires pouvant être missionnés dans des dossiers de violences sur mineur. Explications.
Le CDP-Enfance, le Collectif féministe contre le viol (CFCV), Innocence en danger et REPPEA (Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence) ont saisi, le 8 avril, le Procureur général de la cour d'appel de Versailles et le Conseil national de l'ordre des médecins afin de faire constater que le Dr Paul Bensussan « ne respecte pas, lors de ses expertises, ses obligations en tant que médecin comme en tant qu’expert judiciaire ».
Expert psychiatre près la Cour d’appel de Versailles depuis 1996 et expert psychiatre agréé par la Cour de cassation depuis 2007, Paul Bensussan est un ardent défenseur des concepts controversés d’ "aliénation parentale" et de " syndrome d’aliénation parentale".
Appuyant leur requête sur 9 expertises menées par le Dr Bensussan, les associations dénoncent des « manquements récurrents » de l'expert psychiatre qui « aboutissent systématiquement à nier la parole de l’enfant » et « doivent amener à des sanctions disciplinaires ainsi qu’au retrait de ce médecin de la liste des experts judiciaires ».
La méthode de travail de l'expert critiquée
Premier point en ligne de mire : la méthode de travail de l'expert lors de ses auditions des enfants ayant dénoncé des faits de maltraitance. Alors que les experts préconisent un entretien a minima de 30 minutes pour recueillir la parole de l'enfant, le Dr Benssussan, dans certains des cas d'expertises citées, n'entend l'enfant que 20 minutes, ou encore 10 minutes dans un autre dossier. Dans un autre cas, le Dr Bensussan s'abstient même de rencontrer l'enfant, ce qui ne l'empêche toutefois pas de conclure que les allégations de violences sexuelles de ce dernier doivent être prises « avec la plus grande prudence » et que leur fiabilité était « faible ». « Il est impossible d’imaginer un recueil sincère et complet de la parole de l’enfant […], avec un temps d’audition aussi restreint (quand il existe !), spécialement lorsque cet enfant est potentiellement victime de violences sexuelles. Et tirer des conclusions sur l’absence de fiabilité de la parole des enfants entendus dans ces conditions est tout aussi présomptueux que contraire à l’exigence de compétence et de diligence attendus d’un professionnel du soin », critiquent les associations.
Les requérantes pointent également du doigt l'absence de formation du Dr Paul Bensussan en pédopsychiatrie, en psychotrauma ou encore en recueil de la parole de l’enfant victime de violences. Or, la conférence de consensus, établie à la suite de l’affaire Outreau, recommandait dès 2007 que tout expert « désigné pour évaluer un mineur possède une compétence en pédopsychiatrie ou en psychiatrie de l’adolescent attestée par sa formation et par une pratique régulière de la spécialité ».
Absence de neutralité et d’indépendance
Autre argument avancé par les associations : « l’absence de neutralité et d’indépendance attendues d’un expert judiciaire et d’un médecin ». Pour les associations requérantes, le Dr Bensussan conclut « invariablement que les dénonciations de l’enfant sont peu fiables et voit dans tous les dossiers qui lui sont soumis des manifestations du syndrome d’aliénation parentale (SAP) ou des influences ou manipulations maternelles ». Et d'ajouter : « De même, les actions militantes du Dr Bensussan afin que le syndrome d’aliénation parentale soit intégré au DSM V [manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ndlr] remettent en cause son indépendance et son impartialité dans les expertises dont il a la charge ».
Enfin, les associations insistent sur le fait que le Dr Bensussan se fonde, dans ses expertises, sur le syndrome d’aliénation parentale, un concept qui n'est pas validé scientifiquement. Dans son CV, le Dr Paul Bensussan liste, d'ailleurs, dans ses thématiques de recherche, "les abus sexuels sur mineurs" ainsi que "le syndrome d’aliénation parentale".
Interdire l'utilisation du SAP dans les procédures judiciaires
Pour rappel, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), dans un avis en date du 27 octobre 2021, a appelé à proscrire le recours à la théorie du syndrome d'aliénation parentale. Dans une résolution sur « les conséquences des violences conjugales et des droits de garde sur les femmes et les enfants », le 6 octobre 2021, le Parlement européen s’est également prononcé contre l’utilisation de ce concept d'aliénation parentale. Il souligne notamment que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tout comme l’American Psychological Association (APA) rejettent son usage dans la mesure où il peut « être utilisé comme stratégie contre les victimes de violence en remettant en cause les compétences parentales des victimes ». L'institution européenne ajoute que ce concept d’aliénation peut « nuire aux femmes victimes de violences conjugales » et qu’il « met en péril les droits et la sécurité de la mère et des enfants ». Par conséquent, le Parlement européen invite « les États membres à ne pas reconnaître le syndrome d’aliénation parentale dans leur pratique judiciaire et à décourager voire interdire son utilisation dans les procédures judiciaires, notamment lors d’enquêtes visant à déterminer l’existence de violences ».
Au-delà du cas du Dr Bensussan, l’association CDP-Enfance appelle de ses vœux, dans un communiqué, « une véritable réflexion » sur les expertises civiles qui amènent à « des décisions judiciaires mettant en danger des enfants », et « aboutissent « au régime de quasi-impunité » des agresseurs.