En France, afin de protéger un enfant en danger, il est possible de le confier à un proche. Ce type d’accueil, encore minoritaire, est plus développé dans les départements et les territoires d’outre-mer et présente un certain nombre d’avantages.

Gilles Séraphin, Professeur des universités en sciences de l'éducation et de la formation, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

En France, afin de protéger un enfant en danger, il est possible de le confier à un proche. Au niveau judiciaire (une mesure judiciaire en protection de l’enfance est imposée aux détenteurs de l’autorité parentale, avec recherche de leur adhésion), la mesure de « confiage » à un membre de la famille ou à un « tiers digne de confiance » est mise en œuvre depuis 1958 (article 375-3 du code civil).

Au niveau administratif (une prestation administrative en protection de l’enfance repose sur l’accord formalisé des détenteurs de l’autorité parentale), la prestation de « tiers durable et bénévole », est créée en 2016 (article L 221-2-1 du CASF). Les conditions d’application sont précisées par les décrets n° 2016-1352 du 10 octobre 2016 et n° 2023-826 du 28 août 2023.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics semblent redécouvrir ce dispositif et favorisent le placement d’un enfant en danger chez un proche bénévole plutôt qu’en établissement ou en famille d’accueil professionnalisée.

Depuis la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dans le cadre de l’assistance éducative judiciaire, le magistrat doit préalablement analyser les possibilités de recours à un membre de la famille ou à un tiers avant de confier l’enfant à l’Aide sociale à l’enfance.

Une tradition de confiage dans les départements et régions d’outre-mer

Les raisons de ce regain d’intérêt sont multiples. Selon une revue de littérature conduite par l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) :

« Lorsque les institutions administratives ou judiciaires sont impliquées, plusieurs éléments plaident en faveur du développement de ce dispositif de prise en charge : l’accueil par un proche semble être l’option “préférée” par les enfants, les parents et les proches, lorsque les premiers doivent être retirés du domicile parental ; ce dispositif favorise le maintien de l’enfant dans son environnement, voire dans son cercle familial élargi, en conformité avec le droit international et européen qui garantit le droit de l’enfant à vivre dans sa famille. »

Ce type de dispositif aurait des résultats « au moins équivalents, sinon légèrement meilleurs, que ceux d’autres dispositifs de protection de l’enfance ». En outre, il a l’immense avantage d’être bénévole, donc peu onéreux, le département ne versant qu’une indemnité d’entretien mensuelle pour l’enfant.

Toujours selon l’étude de l’ONPE, fin 2022, « la part des placements chez les tiers dignes de confiance parmi l’ensemble des mineurs accueillis au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) s’élève ainsi à 8 % – contre 40 % pour les prises en charge en famille d’accueil et 36 % pour les accueils au sein d’établissements habilités. L’accueil par un proche demeure donc très minoritaire.

Cependant, les départements et régions d’outre-mer (DROM) ont davantage recours à cette modalité d’accueil. Les prises en charge par un tiers digne de confiance comptent en effet pour 19 % de l’ensemble des placements de mineurs dans ces territoires (hors Mayotte) ».

Cette surreprésentation semble avoir des raisons historiques puisque ce mode d’accueil y est ancien. À La Réunion, par exemple, il était de tradition de confier le dernier-né à une sœur qui n’avait pas (encore) d’enfants, pour une durée indéterminée. En outre, des enfants pouvaient être éduqués, parfois sur une longue période, par des proches plus aisés, ou vivant dans des lieux favorables à l’éducation de l’enfant, à proximité d’établissements scolaires par exemple.

Enfin, de façon générale, d’autres adultes pouvaient participer à l’éducation des enfants, souvent en vivant la journée au foyer : ce sont les « nénennes », des dames expérimentées équivalant à des « nounous » mais qui prenaient soin des enfants sur de très longues périodes, au foyer des parents, à tel point qu’elles avaient une place dans la vie de la famille.

Ainsi, dans le cadre interprétatif culturel, sur une période donnée, il peut se concevoir qu’un enfant ne vive pas avec ses parents. Une assise culturelle – ou une référence – existe. Alors qu’en France métropolitaine les pratiques de confiage sont progressivement devenues rares et surtout peuvent être incomprises puisqu’assimilées à des formes d’abandon, elles sont encore largement développées en France d’outre-mer puisqu’elles sont culturellement instituées et expliquées. Il ne s’agit pas d’un abandon d’un enfant, mais d’un confiage dans une relation de confiance partagée.

Dans le cadre du confiage en protection de l’enfance en outre-mer, qui sont les enfants, parents et tiers ?

Le questionnaire mené en Guadeloupe, en Martinique, à la Réunion et à Saint-Martin entre 2021 et 2024, dans le cadre du programme de recherche Enfant protégé confié à un proche (EPCP) mené par le laboratoire Cref de l’Université Paris Nanterre, permet de déterminer qui sont les enfants, parents et tiers et quels sont leurs besoins.

De façon générale, les tiers sont des membres de la famille (81 %), souvent des grands-parents (58 %). Ils sont également dans une très large proportion des femmes (91 %), ne vivant pas en couple dans deux tiers des cas. 38 % de ces tiers dont on connaît la situation professionnelle occupent un emploi, la quasi-totalité étant ouvriers ou employés et 62 % sont soit au chômage, soit inactifs. Selon leur déclaration, 44 % perçoivent un des minima sociaux. Il s’agit donc d’une population quasi exclusivement issue de ce que nous pourrions appeler des classes populaires, bénéficiant souvent d’aides, et régulièrement éloignée du marché du travail.

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78 % des tiers répondants affirment n’éprouver aucune difficulté. Les rares difficultés mentionnées, et les besoins afférents, sont d’ordre pécuniaire (insuffisance de moyens de subsistance), administratif (manque de soutien pour établir des documents et faire valoir des droits), d’habitat (logement exigu), de conciliation vie professionnelle/vie familiale, voire de carence de soutien individualisé auprès de l’enfant (suivi psychologique ou aide aux devoirs principalement).

Les enfants, pourtant marqués par un parcours de vie caractérisé par de nombreuses violences (physiques et/ou sexuelles et/ou psychologiques et/ou de situation de négligence et/ou de violences conjugales), émettent également un avis globalement positif sur ce mode de protection. Malgré la blessure de la séparation d’avec la famille d’origine, qui revient très souvent dans les témoignages, le tableau dressé paraît assez lumineux. Ces enfants émettent des opinions marquées par l’espérance et semblent bâtir des projets.

Par ailleurs, les quelques parents qui ont répondu les rejoignent globalement dans cet avis positif. Ces proportions, exceptionnelles, sont à souligner.

Des départements qui se distinguent ?

Selon la revue de revue de littérature conduite par l’ONPE :

« Certaines constantes émergent dans les différentes recherches menées en France et à l’international : la fragilité socio-économique des familles concernées par ces situations d’accueil, la plus forte implication des femmes dans les prises en charge, l’obligation morale qui impulse l’engagement des proches, le bouleversement du quotidien des accueillants lors de l’arrivée de l’enfant à leur domicile, la difficulté des familles à gérer la pluriparentalité, les besoins d’accompagnement encore non satisfaits par les services médico-sociaux, ou encore l’impression des parties prenantes de s’inscrire dans une certaine normalité en dépit de la singularité de leur situation familiale. »

Certes, il faut rester prudent sur les comparaisons internationales puisque ces enfants et familles ne vivent pas dans les mêmes cadres juridiques, et ne bénéficient pas des mêmes droits, notamment sociaux. L’expression des besoins n’est donc pas identique.

Toutefois, la plupart de ces constats généraux caractérisent fortement la population des tiers ultramarins étudiée, voire sont plus appuyés en ce qui concerne ces territoires (notamment en ce qui concerne la fragilité économique, la surreprésentation des femmes parmi les tiers, les difficultés de recours aux services médico-sociaux…). D’autres semblent moins associés, y compris en comparaison avec la France métropolitaine (notamment la difficulté de gérer la pluriparentalité puisque dans les Drom elle est traditionnellement reconnue et pratiquée).

Des départements qui pourraient inspirer de nouvelles politiques publiques mieux adaptées

Ainsi, dans les DROM comme en France métropolitaine, ce mode de protection est jugé favorablement par une très grande majorité d’acteurs. Ils font toutefois part d’un manque de soutien des autorités, tant au niveau financier, de l’information juridique et administrative qu’en termes de soutien psychologique.

Cette expérience du confiage, beaucoup plus développé dans leurs territoires, les Drom pourraient la mettre à profit de la France entière, quand il s’agit de faire évoluer les politiques publiques, notamment en ce qui concerne l’évaluation des situations. En effet, le référentiel HAS aujourd’hui en vigueur considère peu la disponibilité et la qualité de ces ressources constituées par les proches. Ils pourraient mettre aussi cette expérience à profit pour construire des dispositifs d’accompagnement adaptés, conformément aux nouvelles attentes règlementaires.

En outre, la situation des tiers ultramarins souligne l’extrême urgence d’imaginer des dispositions complémentaires (dans le cadre d’une politique d’aide aux aidants, d’un bénéfice total de tous les droits familiaux engagés par cette parentalité quotidienne pour que les tiers solidaires, principalement des femmes issues de milieux modestes, ne deviennent plus encore victimes de leur solidarité.

The Conversation

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