Plus de 7 semaines après les élections législatives, la France n'a toujours pas de gouvernement. « Le réveil a sonné. Il est temps de relancer le processus du renouveau de la protection de l’enfance », s'impatience Jean-Pierre Rosenczveig.
Indéniablement la dissolution surprise et déroutante de l’Assemblée nationale à l’orée de l’été n’aura pas eu que des conséquences politiques institutionnelles. Nombre de chantiers en cours qui appelaient des réponses fortes, sinon urgentes, ont été paralysés. Non seulement les problèmes relevés n’ont pas été résolus, mais ils ont pu singulièrement s’aggraver. Plus grave encore, des dynamiques laborieusement élaborées pour enclencher des reposes qui s’imposaient ont pu être brisées net et ne se reconstruiront pas par un simple claquement de doigt.
La protection de l’enfance est malheureusement dans ce lot des dossiers majeurs impactés par la décision présidentielle.
Le moins que l’on puisse dire c’est que ces dernières années, à travers des reportages fortement médiatisés ; les interpellations des professionnels, mais aussi des principaux intéressés, les rapports parlementaires ou d’instances autonomes (CNPE, DDE, HCFP ; HCTS, CESE, etc.) mettant en exergue des dysfonctionnements majeurs comme des violences dans des établissements de protection de l’enfance, la non-exécution de mesures de protection judicaire à un niveau jamais atteint, la multiplication des retraits d’enfants par voie judiciaire notamment de très jeunes enfants, les difficultés à gérer la pression des mineurs étrangers non accompagnés, tout simplement le sentiment d’abandon que nombre de jeunes accueillis par l’ASE ressentent à leur majorité civile quand la reconstruction est loin d’être achevée par eux. On multiplierait les signes d’inquiétudes ou du moins d’interpellations selon les sensibilités.
L’État tenu pour démissionnaire, les Départements prétendument défaillants.
Autant de critiques fondées qui appelaient à débat. Aussi parfois injustes sinon fallacieuses comme de laisser à penser que l’ASE conduisait des enfants à la mort ! Les entendre ne voulait pas réduire la protection administrative et judiciaire de l’enfance à ces critiques en niant tout ce qui dans le même temps se faisait au bénéfice des parents et des enfants en oubliant tout le chemin déjà parcouru, en occultant les succès obtenus.
Reste que l’on ne s’attache qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure : ce dispositif était présenté pour être à bout de souffle. L’État était tenu pour démissionnaire ; les départements globalement prétendument défaillants se voyaient reprocher leur incompétence sinon leur désintérêt pour la cause de ces familles concernées. Les mêmes appelaient à renverser la table et à revenir sur les lois de décentralisation de 1982-1984 pour appeler l’État à assumer en direct ce qui était désormais qualifiée de fonction régalienne. D’autres également conscients de ces lacunes sans remettre en cause le dispositif appelaient déjà l’État à mieux assumer lui-même ses responsabilités propres sur les missions de protection de l’enfance qui lui restaient dévolues, mais aussi à prendre l’initiative d’une démarche de concertation entre les pouvoir publics d’État et territoriaux et le secteur associatif habilité.
On a également en mémoire les polémiques auteur de la gouvernance de la CIIVISE qui laissaient à penser que le gouvernement était insensible à la cause des enfants d’hier victimes de violences sexuelles et de ces 160 000 enfants qui chaque année y sont encore voués. On se souvient aussi des jugements à l’emporte-pièce du président et du garde des Sceaux sur ces enfants négligés par leurs parents et censés être les protagonistes majeurs des évènement dramatiques de l’été 2023, diatribe alimentée par cette série monstrueuse de crimes auxquels des mineurs furent partie prenante au printemps.
24 départements – à gouvernance de gauche – appelaient à des États généraux de la protection de l’enfance. Le Conseil national la protection l’enfance également avec le souci non pas de se lancer dans de grands travaux ou analyses mais partant des acquis appelait à un plan Marchal, c’est-à-dire un effort financier exceptionnel au regard de la conjoncture avec notamment le souci de retrouver des femmes et des hommes en nombre et qualifiés pour à accompagner sur la durée parents et enfants en grande difficulté.
Il s’agit de dépasser les dénonciations pour déboucher sur des propositions.
Le gouvernement et l’ADF – majoritairement à droite – refusant de répondre positivement à cet appel avaient convenu de mettre en place 5, puis 7 groupes de travail sur les questions tenues pour essentielles avec une échéance en octobre 2024.
Dans le même temps l’Assemblée nationale avait multiplié les initiatives (RN, LFI, PS) pour déboucher sur une commission d’enquête sur la protection de l’enfance. Celle avancée par Isabelle Santiago (députée PS du Val de Marne) avait été adoptée et ses travaux engagés sous la houlette de son initiatrice élue rapporteure et sous le regard pressant notamment d’anciens de l’ASE avec une échéance pour l’automne.
La dissolution a évidemment sabordé la commission d’enquête, mais aussi paralysé les travaux ADF-État : si l’ADF (Départements de France) sous la houlette de Florence Dabin a progressé, l’État a été paralysé. Bien évidemment là encore des échéances reportées.
D’autres travaux comme ceux sur la parentalité menés notamment sous sa vice-présidence de Serge Hefez avaient été lancés ; on attendait la deuxième vague de propositions de la CIIVISE pour faire en sorte que demain 5,5 millions personnes n’affirment plus avoir été victimes de violences sexuelles le temps de leur enfance.
Une démarche en crabe certes teintée fréquemment de scepticisme et qui aurait appelé au final à l’automne à être resserrée. Une réelle dynamique s’était enclenchée. La dissolution l’a frappée de plein fouet. La campagne électorale avec ses inquiétudes majeures pour la démocratie, les Jeux Olympiques avec leur euphorie anesthésiante en ont rajouté une couche.
Quelle gabegie ! Depuis les problèmes ne sont pas améliorés. Pour preuve les annonces sur les enfants dormant dans la rue, la montée de la souffrance psychique de nombre d’enfants et de jeunes, le sort toujours préoccupant auquel sont voués les mineurs étrangers isolés, la montée de incarcérations quoique la délinquance diminue avec le débat sur la prétendue violence des plus jeunes qui les représentants de l’État à appeler cet été - sincérité ou clin d’œil politique - à une réforme de la justice juvénile oubliant qu’ils sont les auteurs du code de la justice pénale de mineurs (CJPM) qui n’a pas encore fêté ses trois ans d’application. Dans ce contexte que faire ?
Beaucoup militent d’ores et déjà pour la mise en place d’une nouvelle commission d’enquête parlementaire sur la protection de l’enfance sachant que le temps est moins aux constats qu’aux décisions. Il s’agit de dépasser les dénonciations pour déboucher sur des propositions notamment sur ce qui relève de la compétence parlementaire : faire la loi et veiller à son application. Cette commission sera-t-elle réinstallée ? Avec quel mandat ? Avec quels acteurs ? Poursuivra-t-elle les travaux envisagés avant été ? On relèvera en positif que plusieurs élus sont d’anciens professionnels du social sinon ont été accompagnés par l’ASE.
Réaffirmer l’enfance comme un sujet de préoccupation politique à travers un ministère.
Une reconnaissance gouvernementale
Reste qu’il faut déjà veiller à que l’État se dote de la capacité de jouer son rôle d’acteur et d’animateur garant que les échanges se noueront, mais surtout se cristalliseront avec le souci certes des mesures à long terme mais encore des décisions que l’urgence appelle. Il lui faut donc réaffirmer l’enfance comme un sujet de préoccupation politique à travers un département ministériel. Rien n‘est acquis, y compris pour un Président candidat à sa réélection qui a déclaré vouloir faire de l’enfance la cause majeure de son deuxième quinquennat.
Un ministre de plein exercice ? Un secrétaire d’État rattaché au premier ministre ? Peu importe si celui-là a une capacité personnelle et institutionnelle pour mobiliser l’ensemble des champs ministériels et une autorité morale auprès des acteurs territoriaux et de l’associatif. Cela suppose d’être crédible. L’annonce dans le cadre des mesures courantes de la suppression de 500 contrats d’éducateurs à la PJJ est problématique. Comment ne pas voir un désengagement de l’État sur sers compétences propres quand le même entend appeler les conseils départementaux à faire plus dans leur domaine ? Comment être crédible avec de telle attitude ?
Que va-t-il advenir de la démarche État/ADF ?
Où en est-on rendu? Quelle réponse va être apportée à une question majeure qui conditionne la déclinaison des mesures décidées : quelle place réserver au secteur associatif sans lequel les administrations d’État comme territoriales seraient singulièrement démunies. Consulter pour avis un prestataire de service ? Ou mobiliser un partenaire à la cuture propre ?
En vérité nous disposons d’ores et déjà du matériau nécessaire pour agir. Le travail mené notamment par le Conseil national de la protection de l’enfance au printemps sous l’autorité d’Anne Devreese reste d’une grande actualité. Sans nul doute le CESE va prochainement l’enrichir.
Des mesures s’imposent déjà d’urgence. Comme de trouver les femmes et les hommes susceptibles d’accompagner ces enfants en difficulté, quand comme tous les métiers de l’humain la protection de l’enfance est en grande difficulté. Pour cela il faut revaloriser dans tous les sens du terme ces fonctions et leurs acteurs. Et déjà les reconnaitre quand on n’a pas su le faire au lendemain du confinement. Il faut maintenir ceux qui désespèrent et attire de nouvelle génération. Il faut encore leur donner la foi dans ce qui est plus qu’un métier mais un engagement. Il faudra certes mobiliser des moyens financiers nouveaux mais concrètement trouver ces femmes et ces hommes sans lesquels la loi ne vaut rien.
Le réveil a sonné. Il est temps de relancer le processus du renouveau de la protection de l’enfance. Les énergies et les compétences sont disponibles. Saura-t-on les mobiliser ? Les galvaniser ? Ils ne demandent que ça.
Il y va de l’intérêt commun. Aura-t-on la lucidité de l’admettre ? Il est temps de siffler la fin de la récré. La composition du gouvernement et les suites données au travail du CESE qui sera rendu sous le rapport de Josiane Bigot le 8 octobre seront des tests.