Petite enfance : ces contraintes qui pèsent encore sur le choix des modes de garde
Lorsque l’enfant paraît se pose pour ses parents la question de son mode d’accueil. Eux-mêmes, le plus souvent la mère dans les faits, en assureront-ils la garde ? Ou vont-ils faire le choix de déléguer cette garde et, alors, auprès de qui ? Voilà un choix épineux, voire un véritable casse-tête, dans lequel bien des facteurs, sociaux, culturels, professionnels, économiques, entrent en compte.
L’un des premiers critères est celui de la situation professionnelle de la mère : a-t-elle un travail ? Celui-ci est-il mal rémunéré, ou peu gratifiant ? Des enjeux qui croisent la manière dont est envisagé dans la famille le rôle de la femme – définie d’abord en tant que femme ou en tant que mère. Puis la souplesse, ou non, de son organisation de travail définit le type de besoin : temps complet ou partiel, nécessité de rechercher un mode de garde complémentaire selon l’adéquation entre les horaires de la mère – mais aussi du père – et celle du lieu d’accueil de l’enfant.
Le fait d’avoir déjà un enfant, et l’expérience d’un mode de garde pour celui-ci joue aussi, dans la mesure où, quand on a fréquenté un mode de garde, on obtient généralement plus facilement une place pour le second enfant.
Intervient aussi le vécu des parents, selon qu’ils veulent reproduire ou prendre de la distance par rapport à ce qu’ils ont connu dans leur enfance.
Enfin, les représentations sociales que l’on se fait du jeune enfant se répercutent sur les besoins éducatifs que l’on envisage, comme le choix de l’individuel si l’on veut favoriser la relation affective, ou celui du collectif si l’on met la priorité sur la préparation à la vie sociale. La question de la confiance est importante et la crèche est souvent créditée d’une confiance institutionnelle, alors que la confiance interpersonnelle avec l’assistante maternelle n’est pas donnée d’emblée.
59,3 places pour 100 enfants
Les idées de pratiques douteuses des assistantes maternelles perdurent dans le discours des parents, qui expriment une méfiance : peur de maltraitance, de la pauvreté culturelle des pratiques éducatives, du manque de disponibilité. Même si ce mode de garde est un choix pour un tiers des parents, pour les deux tiers restants dont l’enfant est chez une assistante maternelle, une demande en crèche a été faite au préalable mais n’a pas été obtenue.
La confiance se construit néanmoins au fil du temps. La recherche d’une assistante maternelle nécessite un investissement important, avec la construction de critères de reconnaissance de la « bonne » assistante maternelle : bouche-à-oreille, présentation de soi, du domicile…
De fait, différents déterminants s’imposent aux parents et contraignent de façon plus ou moins forte ces choix, rappelant les enjeux sous-jacents à l’accueil des jeunes enfants. Parmi ces déterminants, l’offre territoriale, disparate, conditionne le choix des parents. Les prestations familiales proposées influencent aussi leur choix. Elles ont été introduites dans les années 1980 et le nombre de bénéficiaires est en constante diminution depuis 2007, en lien avec la réforme de ces prestations.
Quelques chiffres tirés du rapport de l’observatoire national de la petite enfance : au 31 décembre 2018, 59,3 places sont recensées pour 100 enfants de moins de 3 ans sur le territoire français. Notons qu’une place peut être occupée par plusieurs enfants, dans le cas, par exemple, d’un accueil à temps partiel, ou deux places par un même enfant (par exemple, pour un enfant de deux ans, accueil en école maternelle le matin et chez une assistante maternelle l’après-midi). Cette offre globale est en augmentation par rapport à 2017 (+ 1,6), augmentation due à la baisse de la natalité et non à l’augmentation de l’offre elle-même.
Si on la détaille, cette capacité théorique laisse la part belle aux assistantes maternelles, qui offrent 33,2 places pour 100 enfants. Viennent ensuite les établissements d’accueil du jeune enfant, avec 20,1 %, puis de façon plus marginale, les places en école maternelle (enfants de 2 à 3 ans) (3,9 %), et les gardes à domicile (2,1 %).
Variations territoriales
Cette offre globale cache pourtant bien des disparités territoriales : l’accueil au sein de la famille et les modes de garde individuels sont plus importants en région rurale, tandis qu’en agglomération parisienne ou dans les grandes villes, si l’accueil individuel reste la première forme d’accueil hors famille, l’accueil collectif connaît le taux le plus élevé de France – plus de 18 % contre moins de 4 % en milieu rural.
Selon les départements, la capacité d’accueil globale se situe entre 9,2 (Guyane) et 87,8 places (Haute-Loire) pour 100 enfants de moins de 3 ans. Par mode d’accueil, cette capacité varie encore. Par exemple, concernant les assistantes maternelles, les départements sont diversement dotés, entre 2 et 67,8 places pour 100 enfants de moins de 3 ans. Et en accueil collectif, ce sont entre 6,3 et 49,5 places pour 100 enfants de moins de 3 ans.
Plus de la moitié des départements ont des taux inférieurs à la moyenne nationale (20,1). C’est dire si les écarts sont patents et l’on constate que les politiques petite enfance sont laissées à l’appréciation des collectivités, qui hiérarchisent leurs actions en fonction de leur budget.
À l’intérieur des grandes catégories de type de garde, on rencontre des réalités assez diverses. Sous l’appellation « parents », il faut entendre le plus généralement la mère et, sous celle de « famille », la grand-mère. Si, formellement, l’accueil individuel renvoie aux assistantes maternelles agréées, la garde par des personnes « au noir » (voisine, amie ou autre) reste bien présente.
Par ailleurs, la garde à domicile recouvre des réalités fort diverses en termes de formation (très souvent absence de formation) et de qualité d’accueil. Se pratique aussi couramment la « garde partagée », avec des formules diverses (des parents se mettent d’accord pour faire garder leur enfant ensemble – 2 à 3 enfants), soit à l’un des domiciles parentaux, soit en alternance au domicile de chaque parent.
Enfin, regroupant crèches, haltes-garderies ou encore crèches hospitalières, les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) incluent les crèches familiales (qui sont bien un accueil au domicile d’une assistante maternelle) dont l’accueil tend à disparaître (1,4 %), de même que les crèches parentales (0,1 %), lieux d’accueil à gestion parentale.
De nouvelles structures
Dans ce paysage, les entreprises de crèche à but lucratif se sont durablement implantées. Mais elles ne font pas l’objet d’une identification spécifique dans l’offre globale.
Depuis dix ans, un nouveau mode de garde fait son apparition dans le champ des modes d’accueil collectif – bien que recensé en tant qu’accueil individuel : les maisons d’assistants maternels,d’un %20contrat %20de %20travail.) (MAM), regroupement de deux à quatre assistantes maternelles dans un local dédié à l’accueil des jeunes enfants et non plus à leur domicile. Elles peuvent accueillir jusqu’à seize enfants. La récente ordonnance n° 2021-611 du 19 mai 2021 relative aux services aux familles est en passe d’élever ce nombre à vingt.
Là encore, le développement des MAM est disparate sur le territoire français : cinq départements en comptent plus de 100 (Haute-Garonne, Nord, Loire-Atlantique, Seine-Maritime et Maine-et-Loire), et la Gironde plus de 200 ; deux départements en sont dépourvus (Aude et Nièvre). D’initiative privé, ce mode d’accueil dépend néanmoins du soutien des collectivités, de la recherche d’un local aux travaux d’aménagement.
D’autres réalités d’accueil échappent encore aux recensements statistiques. Par exemple, des grands-mères rémunérées en tant qu’assistantes maternelles pour garder leurs petits-enfants. Enfin, de nombreux enfants connaissent des parcours de garde diversifiés : plusieurs types de gardes simultanément ou successivement en 3 ans, en lien avec l’offre locale, un déménagement, la perte d’emploi, l’âge de l’enfant, la naissance d’un puîné…
Des disparités sociales
Aux inégalités territoriales, s’ajoutent des disparités sociales et le choix du mode d’accueil est sensible aux caractéristiques socio-économiques des familles. Les familles biparentales actives utilisent plus souvent un mode d’accueil formel, quel qu’il soit (crèche ou AM). Les familles monoparentales actives recourent dans des proportions comparables à la crèche (30 %) mais moins à une assistante maternelle (40 %) et plus aux solidarités familiales.
Le coût et l’effet anti-redistributif des aides et prestations en direction de la garde à domicile font que ce type d’accueil concerne les milieux aisés (le facteur taille de la famille entre aussi en compte dans ce choix : 3 enfants et plus). C’est aussi le cas des micro-crèches privées qui n’appliquent pas la tarification de la Caisse nationale d’allocations familiales.
La garde à temps plein par les grands-parents se fait plus souvent dans les familles en situation socio-économique ou conjugale précaire ; elle peut être ponctuelle dans les autres milieux sociaux pour les familles en attente d’une place en crèche.
Les femmes faiblement qualifiées, aux salaires et aux conditions de travail peu attractifs, sont encouragées par les prestations à se retirer du marché du travail et à garder leur enfant, ce qui renforce les inégalités hommes/femmes et creuse les inégalités sociales.
Soulignons encore les difficultés d’accès aux modes d’accueil pour les enfants handicapés alors que leurs parents travaillent aussi (et des mères en sont empêchées) et que les textes existent pour que cet accueil soit effectif…
Une marge de manœuvre limitée
Au final, le mode de garde n’est pas vraiment un « libre choix », les parents sont moins des usagers capables d’exercer un choix de façon égale que des « bricoleurs » qui adoptent des solutions en fonction des possibles ; mais tout de même, certains ont plus le choix que d’autres. Et de fait, le mode d’accueil majoritaire reste « les parents » : 61 % des enfants de moins de 3 ans sont gardés la majeure partie du temps par leurs parents.
Ce sont toujours les femmes qui diminuent ou renoncent à leur activité professionnelle et qui favorisent et protègent de ce fait celle du conjoint. Conséquence des inégalités professionnelles, c’est toujours celui, en l’occurrence celle, qui a le plus petit revenu qui se retire, et en même temps cette situation nourrit ces inégalités puisqu’une moindre activité ou un arrêt temporaire d’activité freine la carrière professionnelle des femmes. L’intériorisation de normes sociales quant aux rôles sexués est encore très forte.
La rhétorique politique du « libre choix » est un leurre dès lors qu’elle ne s’adresse qu’aux femmes et que les modes de garde restent insuffisants (nombre d’enfants de moins de 3 ans sont accueillis hors de leur domicile en dehors de tout dispositif contrôlé ou financé par les pouvoirs publics), dès lors que l’inégale répartition des tâches domestiques et parentales reste occultée par les politiques.
Catherine Bouve, Maîtresse de conférences en sciences de l'éducation, Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.