Témoignage d'une ancienne enfant accueillie en protection de l’enfance, actuellement accueillante pour les enfants confiés à l’ASE, auteure du livre « Vous ne me ferez plus jamais mal » sous le nom d'auteur « Joy Martinez », et également membre du Comité de vigilance des enfants placés.
Pour l’avoir vécue en tant qu’usager pendant de longues années, déplacée dans différentes régions et pour le vivre à travers les enfants que j’accueille. Il y a des difficultés, des erreurs, voire des fautes individuelles ou institutionnelles, plus ou moins graves, plutôt un manque de moyens humains et financier.
Les services m’ont sauvée.
La protection de l’enfance est un travail humain avec l’humain.
Un enfant accueilli est un enfant plus ou moins cassé, abîmé, ayant vécu et/ou subi des choses plus ou moins dures. Il arrive dans un établissement dans lequel plusieurs enfants sont accueillis, chacun avec une histoire différente, peu d’éducateurs, qui doivent s’adapter à chaque situation.
Un travailleur social est un être humain avec ses qualités et ses défauts et non une machine.
Pour commencer, il faudrait que chaque enfant accueilli bénéficie d’un espace d’écoute (ou silence) et d’un suivi psychologique. Les travailleurs sociaux doivent être réellement formés et régulièrement et bénéficier, eux aussi, d’une écoute.
Il faut être capable d’entendre des histoires souvent dramatiques et l’humain n’a pas toujours cette capacité.
Les travailleurs sociaux ont besoin d’écoute pour se libérer et mieux appréhender la souffrance des enfants suivis et souvent des parents eux-mêmes.
Ils donnent de leur temps et parfois beaucoup plus que ce qu’ils devraient, mais ils font un travail extraordinaire et il faut savoir le reconnaître et les mettre en valeur.
La violence dans certains établissements, il ne faut pas la négliger et faire ce qu’il faut pour y remédier, mais il ne faut surtout pas généraliser, car ce n’est pas du tout partout comme ça. J’accueille des enfants de plusieurs établissements, et il n’y a pas ces violences dans ces structures. Tout n’est pas rose effectivement, mais très loin d’être tout noir.
Tout n’est pas rose effectivement, il y en a certains qui dérapent comme dans ce foyer que je connais où pour calmer une jeune qui avait fugué, des éducateurs l’ont plaqué au sol et enfermé à clef dans sa chambre ; un autre exemple également, où comme éducateur avait été embauché un boucher ; où certains éducateurs préféraient fermer les yeux ou démissionner plutôt qu’empêcher des mains lestes, même de la part de la direction qui n’hésitait pas à rabaisser les jeunes.
Il faut quand même bien avoir en tête que les enfants accueillis peuvent extérioriser aussi chacun à leur manière, d’où l’importance des formations, des écoutes, pour ne pas dériver. Certains enfants refusent leur accueil et en veulent à la Terre entière et la seule façon qu’ils ont trouvée n’est pas forcément la meilleure.
Mais si vous êtes éducateur, que vous entendez ce qui se dit de négatif sur votre profession, vous avez déjà la boule au ventre. Il suffit que juste avant, vous ayez discuté avec un autre enfant qui n’a pas eu la même vie que celui qui en veut à tout le monde, et que ce jeune se livre et vous confie des choses très dur à entendre, comment réagissez-vous ?
La plupart prennent sur eux, vont respirer et reprennent où ils en étaient et assurent complètement et d’autres craquent. C’est humain. Après à chacun de savoir faire la part des choses, connaître ses limites, se faire remplacer, des solutions existent…
C’est vrai aussi que par manque de moyens humains mobilisables, il se peut que soient embauchées des personnes sans aucune expérience (ni personnelle ni professionnelle) et ça dérape. Ces situations sont intolérables et révélatrices d’un dysfonctionnement grave.
Un boucher a été employé comme éducateur sans aucune formation, car besoin de remplacer, qui finalement ouvre un lieu de vie sans que personne ne s’interroge sur ce qu’il y a à l’intérieur des murs. Un directeur, pas très professionnel et encore moins d'éducateurs ...
Mais ce n’est pas en étant négatif que ce milieu attirera de nouvelles compétences, quand ceux présents sont déjà à bout de souffle et entendent que leur profession est dévalorisée, ça ne fait qu’aggraver la situation. Ces institutions doivent certes supporter la critique, mais on doit aussi valoriser leurs efforts et leurs résultats. C’est un travail d’équipe, qui doit être cohérent, entretenu, soutenu.
L’ASE renvoie les enfants à la rue à 18 ans, ce n’est pas partout, mais c’est inacceptable. Mettez-vous vos enfants dehors et livrés à eux-mêmes à leurs 18 ans ?
Par contre, oui, ces enfants ont besoin de quelqu’un, d’une tierce personne, qui puisse joindre, même pour rien (comme une famille de base est censée l’être), pour des bons ou mauvais moments, des conseils, etc. Enfin oui, il ne faut pas les lâcher comme ça sans personne et dans la nature. Ce n’est pas le matériel le plus important, mais le côté humain.
Que deviennent ces enfants à l’âge adulte ?
Et c’est je crois ce qui est réellement le plus dur à vivre… la rue à 18 ans oui, mais être seul à partir de 18-20-25 ans, il y a une nuance.
Qui se soucie de savoir ce que deviennent les jeunes après avoir quitté les services de l’ASE ? Matériellement, ils ont pu être accompagnés et logés, mais humainement ?
Quand on rabâche, qu’il ne faut pas s’attacher aux enfants. Comment construire une vie d’adulte si aucun lien n’a pu être créé ? Le côté matériel est important, mais le côté humain est de loin le plus important.
On retire certains enfants à leur famille pour de graves sévices, pour les accueillir dans un endroit froid (professionnels et sans aucune violence, mais froid. Ils ont grandi et n’ont pas réussi à créer de liens… Ils se construisent comme ils peuvent ...).
Ce n’est bien sûr pas une généralité non plus, tout dépend du caractère, envie de vivre, force et tout ce qu’on veut de l’enfant, mais ça doit rentrer aussi en ligne de compte.
Il faut trouver des alternatives aux accueils, recourir à des suivis à domicile si besoin et accentuer suivant les situations, mais essayer de maintenir le plus possible, quand cela est faisable, et ne garder les accueils en établissements où famille d’accueil que pour des faits plus ou moins graves et avérés où seul l’éloignement « sauverait » l’enfant, et non plus accueillir à tout-va, et pour des motifs qui ne justifient pas un accueil, mais plutôt un suivi renforcé à domicile.
Déjà cela soulagerait énormément et il y aurait de la place.
Je suis pour la prévention, il faut la remettre. Toutes les situations ne doivent pas conduire à un accueil.
L’article de la Convention internationale des droits de l’enfant est clair. Un enfant a le droit de vivre dans sa famille, sauf cas particuliers, violences ou graves négligences, pouvant nuire au bon développement de l’enfant.
Travailler auprès d’enfants, c'est plus qu’une simple profession. Les travailleurs sociaux le savent et vont bien souvent au-delà de ce qui leur est demandé, mais toujours dans le respect et le bien-être de l’enfant.
Combien d’enfant ont été « sauvés » grâce à leur travail ? Combien d’enfants ont réussi à construire quelque chose et être bien grâce à ce qu’ils leur ont appris, montré, grâce à leur empathie, leur patience, affection (ce n'est à ne surtout pas négliger, surtout pour des enfants cassés). Ils tendent des cartes aux enfants, à eux d’apprendre à les saisir, mais il faut les guider. Je fais partie de ces enfants-là.
Je me suis construite comme j’ai pu, avec ce qu’on a pu me tendre, et malgré la « complexité » de la situation. Les services, certains, ont fait tout ce qu’ils ont pu et au-delà et je leur dois beaucoup malgré les dysfonctionnements que j’ai pu connaître.
Il est urgent de remanier le système et à la base. Faire le « Tour de France » et vérifier ce qu’il s’y passe, entendre les travailleurs sociaux et les enfants/jeunes, mais avec des questions neutres. Accompagner les travailleurs à avoir une écoute. Faire réellement un état des lieux, mais en prenant en compte de la parole de chacun, même des anciens. Être rapide et efficace sans faire de longs discours qui ne servent pas forcément à grand-chose, mais agir. Il suffit de peu de choses, mais il faut vouloir.
Nous attendons la reprise de la commission d’enquête, une réelle commission, qui aboutisse à quelque chose, qui agisse en urgence.
L’heure des belles paroles est dépassée, il est temps d’agir ! Et vite… Les enfants ne peuvent pas attendre et quand on suit les actualités, nous ne pouvons qu’être inquiets.