Les réseaux sociaux auront notre peau : la génération Y face aux dérives et aux limites des réseaux sociaux

Éducateur spécialisé issu de la génération Y, Mickaël Cognard côtoie au quotidien des jeunes de la génération suivante dont l’utilisation et l’appropriation des réseaux sociaux diffèrent de la sienne. Voici son analyse.

La génération Y, les personnes nées entre 1980 et 2000, est la dernière tranche d’âge qui a connu la fin du 20ème siècle et qui a découvert l’entrée dans le troisième millénaire. Une entrée dans une nouvelle ère avec son lot de nouveautés, de bouleversements et de changements. Nos ainés ainsi que les plus anciens de la génération Y retiendront différents événements; l’un des plus tragiques avec les attentats du World Trade Center à New York, un changement économique avec la création de l’Euro ou encore un évènement bien plus heureux pour la France avec la victoire de l’équipe de France de Football à l’Euro (deux ans après son titre de champions du Monde). Les années 2000 arrivent également avec une nouvelle innovation qui nous intéresse ici: l’invention des réseaux sociaux. Rappelons nous ! Combien d’entre nous, ont pu créer leur blog sur Myspace ou ont discuté avec leurs camarades de classe chaque soir après le collège ou le lycée sur MSN ?

Cette nouvelle technologie s’est développée à une vitesse éclair. Vingt-ans après, le constat n’est pas aussi positif que nous pouvions l’espérer. La multiplication de ces supports a vu éclore une nouvelle sorte de violence à travers laquelle chacun peut véhiculer des messages inadaptés, offenser n’importe quelle personne ou diffuser des scènes sordides et brutales.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Éducateur spécialisé issu de la génération Y, je côtoie au quotidien des jeunes de la génération suivante dont l’utilisation et l’appropriation des réseaux sociaux diffèrent de la mienne et vient m’interroger. Peut-on, à travers les réseaux sociaux, tout se permettre sous couvert de la liberté d’expression? L’utilisation à outrance et les dérives actuelles permettent de se poser la question.

Arrivée et appropriation des réseaux sociaux

Qu’elles soient jeunes ou plus âgées, rares sont les personnes qui de nos jours n’ont pas de compte Facebook, Tweeter, Instagram, Snapchat ou récemment Tik Tok. Mais avant d’arriver à ce panel de choix, revenons sur nos premiers rapports avec les réseaux sociaux.

Sixdegrees est le premier réseau social qui a vu le jour en 1997. Ancêtre de Facebook, il se construit à partir de la théorie des six degrés de séparation. En effet, en 1929, le Hongrois Frigyes Karinthy évoque la possibilité qu’une personne puisse être reliée à tout autre individu pris au hasard, au travers d’une chaîne de six personnes. Bien que Sixdegrees n’ait pas eu le temps de se développer, nous avons néanmoins une indication concernant son objectif : connecter les gens entre eux et élargir son réseau de connaissances.

Ce premier réseau social donnera des idées à la construction d’autres sites. Avec l’avancée d’Internet, MySpace et Facebook vont pouvoir se mettre en place. Beaucoup de personnes vont donc créer leur compte personnel. Comme toutes nouvelles technologies, les premiers à s’en saisir sont souvent les dernières générations qui vivent au cœur des nouveautés.

Adolescents ou jeunes adultes, la génération Y va donc se pencher sur cette nouvelle tendance. C’est avec une certaine ferveur et excitation que chacun de nous va, le soir en rentrant, se connecter, rechercher et « demander en ami » des personnes plus ou moins proches. Voici alors l’occasion de retrouver des personnes perdues de vue, de discuter en direct que l’on soit dans la même ville ou à des milliers de kilomètres afin de partager un moment virtuel mais convivial et ainsi voir comment chacun de nous a évolué. Nous avons tous ces souvenirs d’avoir recréer un certain nombre de contacts avec des anciens amis, qu’ils soient issus du collège, du sport ou même des rencontres de vacances, et parler avec eux jusqu’à tard le soir nous remémorant nos souvenirs communs.

L’appropriation de cette nouvelle technologie par la génération Y est assez cohérente avec l’objectif premier des réseaux sociaux. Cette avancée technologique nous a fait connaître « un avant et un après ». Nous avons incorporé les réseaux sociaux dans notre quotidien tout en ayant une certaine conscience qu’ils ne restent que du virtuel et que notre période d’ « avant réseaux sociaux », nos moments de partage qu’ils soient dans une cours de récréation, sur un terrain
de jeux ou de sport...sont bien des moments de vie réels.

La génération Z : descendance née avec les réseaux sociaux

La génération Z est représentée par les personnes qui sont nés après l’année 2000. Ces jeunes se sont par conséquent construits avec les réseaux sociaux. Ils ont pu voir quotidiennement leurs parents, leurs grands frères et sœurs, se connecter sur ces plateformes. Ils ont entendu le vocabulaire adapté, et c’est « presque naturellement » qu’ils ont eu, très tôt, la volonté d’avoir leur propre espace virtuel et personnel. Comment cette nouvelle génération s’est-elle construite avec ces réseaux sociaux ?

Les jeunes ont pour la plupart du temps un téléphone portable dès l’entrée au collège. Plus autonomes pour rentrer seul après les cours, les parents aiment néanmoins être rassurés que rien ne leur soit arrivé et un message ou un court appel est toujours le bienvenu. Cette bonne intention est aussi l’opportunité pour ces jeunes de télécharger sur leur téléphone les différents réseaux sociaux et de créer leur propre compte. Les voilà donc pris dans une nouvelle dynamique, celle de pouvoir communiquer à outrance, d’être toujours en lien avec leurs amis, d’échanger des messages, des photos ou vidéos sur le mode virtuel.

C’est en travaillant auprès de ces jeunes que j’ai pu observer ce besoin de « liker », de renvoyer des photos pour « garder les flammes » ou de poster des « storys » afin de montrer aux autres leurs moments de vie privée. C’est en étant chaque jour aux côtés de cette jeunesse que je constate que cette virtualité a pris une valeur réelle dans leur quotidien, et qui semble être nécessaire à leur bien-être. Toujours dans la main, le téléphone est devenu un prolongement de leur bras et c’est en étant en permanence connectée que cette nouvelle génération évolue et se construit.

Seulement vingt ans maximum nous séparent entre ces deux générations et pourtant le constat dans l’appropriation des réseaux sociaux est complètement différent. Ce que nous utilisions comme outil de connexions sociales dans un but de divertissement est devenu un instrument d’ultra-connexion vital au quotidien. Ces adolescents en pleine construction identitaire ont-ils la capacité de mesurer les conséquences et l’impact de ces réseaux ? Savent-ils faire la différence entre le partage de la vie privée et le partage de l’intimité ? Une étape a été franchie, la violences et la dépendance se sont introduites à travers les réseaux sociaux.

Les réseau sociaux : peut-on tout se permettre ?

Les réseaux sociaux donnent à chacun la possibilité de pouvoir s’exprimer librement comme l’énonce la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) par les articles 10 et 11: « Nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » ; « La libre communication de pensées et des opinions est un des droits
les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

Autrefois, en partant du postulat qu’ils pouvaient réellement s’exprimer comme ils le voulaient, la télévision, la radio ou les journaux étaient les principaux médias qui permettaient la liberté d’expression. L’arrivée des réseaux sociaux est venue changer ce mode de diffusion. En effet, n’importe quelle personne, par un post sur un compte social, peut s’exprimer librement et publiquement. Une bonne chose me direz-vous! Effectivement, les réseaux sociaux ont permis cette opportunité pour chacun de mettre en exergue les articles de la DDHC, précédemment cités, concernant cette valeur si importante au sein de notre société française.

Autrefois, en partant du postulat qu’ils pouvaient réellement s’exprimer comme ils le voulaient, la télévision, la radio ou les journaux étaient les principaux médias qui permettaient la liberté d’expression. L’arrivée des réseaux sociaux est venue changer ce mode de diffusion. En effet, n’importe quelle personne, par un post sur un compte social, peut s’exprimer librement et publiquement. Une bonne chose me direz-vous! Effectivement, les réseaux sociaux ont permis cette opportunité pour chacun de mettre en exergue les articles de la DDHC, précédemment cités, concernant cette valeur si importante au sein de notre société française.

Cette utilisation des réseaux sociaux nous montre le revers de la médaille et c’est en s’installant comme une norme sociale qu’insultes, menaces et violences inondent nos écrans. Il est urgent de rappeler à chacun que si la liberté d’expression doit exister, elle reste tout de même répréhensible par le code pénal lorsque les propos deviennent des outrages.


Les dérives se multiplient et elles touchent la plupart du temps ces jeunes nés avec les réseaux sociaux. Constamment connectés, nombreux sont les messages ou commentaires violents qui entraînent des conséquences sur la construction de ces adolescents. Combien d’entre eux ne veulent plus retourner au collège ou au lycée suite à une insulte, une menace ou une moquerie sur les réseaux ? Rappelons que certain, ont vu leur estime et leur confiance en eux se dégrader et qu’ils se sont tournés vers le suicide tellement cette vague de haine, de critiques était insurmontable pour eux.

De l’utopie à la dystopie : quand la génération Y est charnière dans cette dynamique

En seulement vingt-ans, les réseaux sociaux se sont emparés de notre quotidien. Ils se sont développés avec la nouvelle génération qui utilise ce monde virtuel comme une pure réalité. Le bel objectif de relier et connecter les gens a été dépassé et s’est transformé en véritable cauchemar; l’expression par la violence est devenue monnaie courante sur les réseaux et chacun pense avoir le droit de tout dire ou tout faire sous couvert de la liberté d’expression.

Quel est le rôle de la génération Y dans cette dynamique ?

A l’image du film Matrix, la génération Z est née avec les réseaux sociaux et n’a pas eu l’opportunité de connaître le monde avant leur création. A contrario, la génération Y est celle qui a été la dernière a connaître « cet avant » et la première à connaitre cette technologie. Maintenant adultes, nous avons le recul nécessaire pour cette évolution et en constater que les limites ont été atteintes. Il est donc de notre ressort d’avoir une prise de conscience collective afin d’en informer nos cadets qui n’ont jamais connu la vie sans les réseaux. Il est important de rappeler à ces jeunes que les réseaux sociaux les isolent plus qu’il ne les rapprochent. Là où nous jouions ensemble après les cours, les jeunes pensent jouer ensemble en étant connectés seuls dans leur chambre; là où nous nous retrouvions assis autour d’un banc pour discuter des heures, les jeunes croient partager des moments conviviaux en échangeant des messages instantanés seuls dans leur chambre…

Plutôt que de nous rapprocher, les réseaux sociaux nous isolent et nous divisent. Ils permettent d’exprimer ce que chacun va définir comme sa vérité sans pouvoir véritablement la vérifier. Consciente de cette évolution, la génération Y est la tranche d’âge charnière pour permettre une remobilisation collective notamment pour l’éducation des plus jeunes. Nous n’arrêterons pas les réseaux sociaux et ils continueront d’être présents dans nos quotidiens.
Néanmoins, il est important qu’un changement dans l’appropriation et l’utilisation opère. La violence que développe les réseaux sociaux impacte notre réalité. Ces derniers sèment la discorde populaire et permettent aux plus hauts placés de notre gouvernement de donner raison à la maxime de Philippe II de Macédoine: « divide et impera ».

Mickaël Cognard, responsable de service éducatif à l'ANRAS,  Association nationale de recherche et d'action solidaire