Le travail social est en crise – et en particulier le secteur de la protection de l’enfance. Voilà le triste constat qui ressort du monde du terrain : éducateurs spécialisés, assistantes sociales, familles d’accueil, techniciens de l’intervention sociale et familiale…
Pour preuve, les grèves organisées par les professionnels afin de dénoncer leurs conditions de travail : turnover incessant, difficultés de recrutement, surcharge de dossiers, perte de sens, bas salaires.
Or, comment peut-on assurer un travail de qualité auprès de la population vulnérable que constituent les 312 500 mineurs et 24 700 jeunes majeurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance – dont la moitié environ fait l’objet d’une mesure de placement (chiffres 2019) lorsque l’on se sent soi-même fragilisé par ses conditions de travail ?
L’un des problèmes majeurs réside dans le manque d’effectifs. Pour y remédier, il arrive que les établissements sociaux et médico-sociaux prenant en charge les mineurs et jeunes majeurs fassent appel à des intérimaires ou à des personnes non qualifiées.
La qualité de la prestation et le besoin de stabilité que requiert la protection de l’enfance sont alors difficiles à garantir. D’autres établissements n’arrivent tout bonnement plus à recruter et restent en sous-effectif, répercutant la charge de travail sur l’équipe en place.
Chez les assistants familiaux, professionnels agréés de la famille d’accueil qui reçoivent les jeunes à leur domicile, la situation n’est pas meilleure : beaucoup sont en surcapacité d’accueil, le dépassement « exceptionnel » du nombre maximal d’enfants accueillis, à savoir trois, devenant la norme.
La vague de départs en retraite qui s’annonce ne va pas améliorer la situation. C’est ainsi que pour les enfants s’ajoute à la maltraitance familiale une forme de maltraitance institutionnelle.
Les facteurs aggravants
Les difficultés subies par les travailleurs sociaux en matière de protection de l’enfance, même si elles ne sont pas nouvelles, ont sans doute été exacerbées par la crise sanitaire avec une suractivité professionnelle intense.
Ces « urgentistes de terrain » ont dû relever de nouveaux défis sans forcément être épaulés par les pouvoirs publics.
À titre d’exemple, lors du premier confinement, ils n’ont pas immédiatement fait partie des personnes prioritaires en matière de mode de garde d’enfants, contrairement aux professionnels de santé à qui des places en crèches avaient été attribuées.
Par ailleurs, la réalité de la protection de l’enfance a de quoi décourager les professionnels les plus aguerris. Les charges budgétaires auxquelles sont soumis les départements (notamment depuis la mise en place du revenu de solidarité active en 2009 – qui constitue désormais le poste de dépenses le plus important pour les collectivités) ne permettent plus d’assurer la totalité de leurs missions de protection de l’enfance.
Ainsi, une mesure d’assistance éducative ordonnée par un juge des enfants peut mettre plusieurs semaines avant d’être mise en œuvre, voire plusieurs mois selon le territoire sur lequel on se trouve. En effet, même si l’offre d’accueil s’étoffe, la demande reste supérieure et surtout, les solutions proposées ne sont pas forcément en adéquation avec les besoins des enfants.
L’intervention du travailleur social s’inscrira alors dans un contexte familial plus que dégradé et perdra tout son sens. Comment expliquer à un enfant qu’il est en danger auprès de ses parents mais qu’il n’est pas possible d’assurer immédiatement sa protection ?
De plus, les profils des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance ont évolué au fil des années. En effet, la France a dû faire face aux flux migratoires et à l’arrivée des mineurs non accompagnés sur son territoire sans forcément avoir les moyens adéquats pour assurer la prise en charge matérielle de ces presque 20 000 enfants (chiffres 2021), d’où des placements à l’hôtel avec les dérives que cela peut générer.
La barrière de la langue, les traumatismes subis durant le voyage, les coutumes différentes constituent autant d’obstacles pour les professionnels.
En outre, certains enfants accueillis dans des structures de protection de l’enfance souffrent de problèmes médicaux : ainsi, dans un rapport de 2011, l’Inspection générale des affaires sociales relevait qu’un quart des enfants pris en charge au titre de l’Aide sociale à l’enfance étaient concernés par des troubles psychiques.
Face à ces nouveaux visages d’enfants, le personnel n’est pas suffisamment formé et outillé pour assurer l’accompagnement adéquat.
Par ailleurs, l’image du travailleur social a été égratignée à la suite de reportages dénonçant les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance, phénomène que certains professionnels nomment l’« ASE bashing », ce qui peut malheureusement avoir comme conséquence une défiance des familles vis-à-vis de l’institution de la protection de l’enfance et une dévalorisation des métiers.
Les solutions proposées
Afin de faire face à cette crise des vocations, la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (CNAPE) a lancé un cri d’alerte et a formulé un certain nombre de recommandations pour favoriser l’attractivité de ces métiers.
Les propositions consistent par exemple en une revalorisation des salaires (certains travailleurs sociaux ne gagnent pas plus que le smic, une amélioration des conditions de travail (accès facilité aux crèches par exemple), une campagne de communication positive auprès du grand public des métiers de la protection de l’enfance ou encore une adaptation des formations des professionnels.
Du côté du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Dans un avis adopté le 12 juillet dernier, les mêmes préconisations sont émises : redonner du sens au travail social, garantir un taux d’encadrement des publics et des ratios de personnels qualifiés, axer les moyens sur la formation, lancer une campagne nationale sur les métiers du social.
La difficulté tiendra là encore aux moyens financiers qui devraient être injectés pour répondre à ces doléances. Le législateur a déjà procédé à la revalorisation des salaires des professionnels, via la prime Ségur, de 183 euros nets mensuels. Mais dans un contexte global de crise du pouvoir d’achat, cela semble bien insuffisant.
En réalité, la crise que traversent des personnels de la protection de l’enfance ne pourra être résolue qu’avec des moyens adaptés et une réponse aux besoins des acteurs de terrain. Lors de sa réélection, Emmanuel Macron a déclaré vouloir faire de la protection de l’enfance une cause majeure de son quinquennat, sans pour autant offrir à cette thématique un ministère dédié, ce qui aurait pu constituer un marqueur fort. En attendant, ce sont parfois les départements, chefs de file de la protection de l’enfance, qui se mobilisent. Mais cela sera-t-il suffisant pour pourvoir les 64 000 postes vacants dans le travail social ?
Amélie Niemiec, Chercheur associé de la chaire enfance et familles de la faculté de droit de l’Université catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.