Pour réduire le déficit public français, le gouvernement a annoncé des mesures concernant l’État, mais aussi les collectivités locales. À cet égard, la situation des départements est préoccupante avec un déficit cumulé qui avoisine les 10 milliards d’euros.

Les mécanismes financiers à l’œuvre n’incitent pas vraiment à un redressement, alors qu’une réforme en profondeur serait souhaitable. La situation allemande pourrait-elle être une source d’inspiration ?

La situation financière des départements français est de plus en plus alarmante, avec un déficit estimé à 9,9 milliards d’euros en 2023, qui pourrait dépasser 11 milliards d’euros cette année. Contrairement aux régions, responsables de l’aménagement du territoire, du développement économique et de la formation, et aux municipalités qui s’occupent des services de proximité, les départements se concentrent sur la gestion des aides sociales (RSA, aide sociale à l’enfance, allocation personnalisée d’autonomie), ainsi que des routes départementales et des collèges. Ces charges ne cessent d’augmenter alors que leurs ressources s’affaiblissent, soulevant la question de leur solvabilité.

Néanmoins, une faillite des départements reste peu probable, car l’État intervient en cas de difficultés financières à travers des dotations et des fonds spécifiques. Critiqué, ce système incite les départements à trop se reposer sur des aides dites « exceptionnelles » alors qu’elles tendent à devenir la norme. Mieux vaudrait des incitations fortes à entreprendre des réformes structurelles nécessaires. Les chambres régionales des comptes sont souvent jugées incapables d’imposer une gestion rigoureuse. La dépendance à l’État est perçue par certains comme une source de laxisme budgétaire.

Un modèle dépassé ?

Le débat s’inscrit dans un contexte plus large du système administratif français, qui se compose de six niveaux : l’État, les régions, les départements, les communes, les intercommunalités et les cantons. Cette organisation complexe génère des doublons dans la gestion des aides sociales par la CAF, les départements et les communes, ce qui complique l’accès pour les bénéficiaires et dilue les responsabilités.

Outre leur coût administratif de cet enchevêtrement (estimé à 7,5 milliards d’euros par an par le maire de Charleville-Mézières Boris Ravignon, le nombre de guichets sociaux rend le système difficile à comprendre pour les bénéficiaires, qui doivent s’adresser à plusieurs organismes pour obtenir les aides auxquelles ils ont droit. Les différentes institutions se chevauchent dans leurs prestations, créant des pertes d’efficacité.

La complexité administrative rend l’ensemble peu lisible. Difficile de savoir où sont les responsabilités, et donc de mettre en place des réformes structurelles, alors que le pays fait face à une vague de précarité sans précédent. On dénombre par exemple près de 400 enfants de la rue dans la seule ville de Lyon selon le collectif Jamais Sans Toit.

Au total, les dépenses sociales dépassent aujourd’hui 32 % du PIB en France. Cependant, leur progression ne parvient pas à suivre le rythme de la précarité et des difficultés sociales, illustrant ainsi une dégradation générale de la situation.

Outre sa complexité administrative, le système français se distingue par un recours limité au secteur associatif, qui ne représente que 3 milliards d’euros de budget total, soit une infime part des 2 860 milliards d’euros de PIB national attendus pour 2024. Pourtant, les chercheurs s’accordent sur le fait que le secteur associatif est généralement de 2 à 3 fois plus efficace que le secteur public dans le domaine de l’action sociale.

Comment font les Allemands ?

En comparaison, le modèle allemand d’aide sociale repose sur une forte coopération entre l’État et les associations d’aide sociale, les Wohlfahrtsverbände. Contrairement au système français centralisé, ces organisations offrent une réponse plus rapide aux besoins émergents, comme lors de la crise des réfugiés de 2015. Les associations allemandes bénéficient également de financements privés et d’audits rigoureux pour garantir leur transparence et efficacité. Ce modèle public-privé est vu comme un équilibre efficace, réduisant les coûts pour le contribuable de façon significative.

Les dépenses sociales globales représentent un peu moins de 25 % du PIB en Allemagne, mais le budget des Wohlfahrtsverbände (organismes associatifs d’action sociale), l’Arbeiterwohlfahrt (AWO), la Diakonie, la Caritas, le Deutsches Rotes Kreuz (DRK), et autres associations similaires, représente près de 115 milliards d’euros en 2024, dont environ le quart sont financés par l’État et les collectivités locales.

Par ailleurs le Bürgergeld, équivalent du RSA, est financé et géré par l’équivalent allemand de France Travail : les Jobcenters. Cette prestation ne peut pas être cumulée avec l’APL (« Wohngeld »). Le Bürgergeld propose en revanche un système de primes incitatives pour les bénéficiaires qui achèvent des formations et acceptent des emplois à long terme.

Les Wohlfahrtsverbände bénéficient d’une culture de l’efficacité et de la rationalisation des coûts, héritée en grande partie de leur capacité à lever des fonds privés en plus des subventions publiques. Les associations se soumettent régulièrement à des audits financiers par des cabinets privés, ainsi qu’à des audits de gouvernance conduits par le Deutsches Zentralinstitut für soziale Fragen (DZI). Le DZI décerne un « sceau de qualité » aux associations à vocation d’aide sociale qui respectent des normes strictes en matière de gouvernance, ce qui encourage les dons, tant publics que privés.

Une gouvernance exemplaire

Les conseils d’administration des ONG allemandes, Verwaltungsräte, s’inspirent des structures de gouvernance des entreprises privées. Ils comprennent notamment un comité d’audit, souvent présidé par un auditeur ou un ancien auditeur issu d’un cabinet spécialisé, ou par un entrepreneur possédant une expertise financière.

Ces organisations adoptent une approche budgétaire et financière plus responsable et transparente, tout en intégrant une vision globale de l’aide sociale. Elles considèrent non seulement les besoins matériels (logement, nourriture), mais aussi les dimensions psychologiques et sociales (intégration, formation), ce qui les rend particulièrement performantes dans les programmes d’insertion professionnelle et sociale.

L’État soutient ces organisations par des subventions et leur délègue une partie de la mise en œuvre des politiques sociales. Ce modèle est perçu comme un équilibre efficace entre le soutien étatique et une gestion décentralisée, contrairement au système français où la gestion des aides sociales est majoritairement centralisée au niveau de l’État et des collectivités locales.

Vers une convergence au niveau européen ?

En Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et, de façon croissante, en Autriche et en Espagne, les associations à but non lucratif sont considérées comme la première ligne de défense pour faire face aux problèmes de protection sociale.

Leur efficacité repose sur leur expertise historique, leur capacité d’innovation et leur proximité avec les bénéficiaires. Elles participent activement aux appels à projets émis par l’État ou par les Länder pour la mise en œuvre de programmes sociaux. Ces contrats publics leur permettent de sécuriser des financements supplémentaires pour des initiatives ciblées, telles que la prévention de la violence, l’accompagnement des immigrants, ou encore l’intégration sociale.

Ces associations bénéficient d’un soutien substantiel de l’État à travers des subventions, des partenariats public-privé et des contrats publics. Ces financements leur permettent de compléter efficacement les services publics tout en optimisant les coûts pour le contribuable.

Cette observation soulève la question de la réforme administrative en France, en particulier concernant la pertinence du rôle des départements. Une rationalisation des niveaux administratifs et un recours accru au secteur associatif pourraient améliorer l’efficacité et la gestion des ressources publiques, en s’inspirant des résultats probants observés chez les associations européennes dans le domaine de l’aide sociale.


Serge Besanger, Professeur à l’ESCE International Business School, INSEEC U Research Center, ESCE International Business School

The Conversation