L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque : quel bilan ?
Cette année marque les 20 ans du « rapport Debray », remis en février 2002 au ministre socialiste de l’Éducation nationale, Jack Lang. Sa proposition clé consistait à instaurer un « enseignement des faits religieux » à l’école publique et laïque. Alors qu’était organisée ce 9 décembre l’édition 2022 de la journée de la laïcité, revenons sur cette initiative qui avait eu en son temps un écho important.
Rédigé au lendemain des attentats de 11 septembre 2001, le texte avait suscité l’intérêt de l’opinion publique alors que les minutes de silence dans les classes, en hommage aux victimes du terrorisme, avaient parfois suscité des contestations et qu’on observait une résurgence de conflits liés au port du foulard islamique en classe.
La personnalité de l’auteur, Régis Debray, ancien compagnon d’armes de Che Guevara, écrivain prolifique, haut fonctionnaire, personnellement agnostique mais fasciné par la question du sacré, contribuait à l’intérêt suscité par ses propositions. Il ne s’agissait pas de réintroduire « Dieu à l’école » mais d’étudier, de manière distanciée et critique, les traces matérielles et immatérielles des croyances passées et actuelles.
Former les enseignants
Plutôt que de créer un nouvel enseignement, dans un système éducatif français où les programmes étaient déjà très lourds et morcelés, Debray préconisait une approche transversale. Il s’agirait d’aborder les faits religieux au sein des disciplines qui pouvaient s’y prêter : musique, arts plastiques, langues, français, lettres, philosophie. Cela supposait de modifier et de mettre en cohérence les programmes, mais aussi de mobiliser les enseignants en les armant « intellectuellement et professionnellement face à une question toujours sensible, car touchant à l’identité la plus profonde des élèves et de leurs familles ».
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Debray conseillait au ministre de l’Éducation de mettre en place une formation initiale obligatoire ainsi que des modules de formation continue pour les enseignants et personnels éducatifs, de produire des ressources pédagogiques adaptées, et de créer un Institut européen des sciences des religions (IESR), rattaché à la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études. Cet institut ferait l’interface entre la recherche en science des religions et la formation des enseignants et des fonctionnaires.
Dans un premier temps, malgré un changement de ministre de l’Éducation suite aux élections, les recommandations ont pour partie été mises en œuvre. L’IESR a été créé en juin 2002. En 2005, les faits religieux ont été définis comme faisant partie du socle commun des connaissances. Les programmes et les manuels ont par ailleurs été retravaillés pour développer une approche plus scientifique des faits religieux.
En revanche, la formation des enseignants sur ces questions n’a jamais été généralisée, malgré la mise en place de modules dans certains instituts de formation des maîtres, et le développement, par l’IESR (renommé IREL, Institut d’étude des religions et de la laïcité, en 2021), d’une offre de cours. Petit à petit, la mobilisation autour de l’enseignement des faits religieux s’est affaiblie, alors que d’autres urgences éducatives apparaissaient l’éducation au développement durable, à l’esprit critique et aux médias, à l’égalité garçon-filles, etc. Le remaniement des programmes, jugés trop lourds par les enseignants, n’a pas permis d’y développer la place des faits religieux.
Répondre aux nouvelles générations
Les attentats commis au nom de l’islam ont ponctuellement réactivé, sous les quinquennats de François Hollande puis d’Emmanuel Macron, les velléités de mise en œuvre raisonnée et nationale d’une politique d’enseignement des faits religieux. Cependant, aucune mesure concrète n’a été prise, dans un contexte où la priorité a été donnée à la transmission des valeurs de la République.
Le ministère de l’Éducation a parfois lui-même découragé les bonnes volontés, sanctionnant par exemple en 2017 un professeur des écoles qui avait fait travailler ses élèves sur la Bible pour avoir « enfreint son devoir de neutralité et de laïcité ».
Bien que le tribunal administratif ait réhabilité l’enseignant, l’attitude du ministère, même si elle était principalement liée à des raideurs bureaucratiques, a pu avoir un effet inhibiteur. Sur le terrain, l’enseignement des faits religieux reste perçu comme hypersensible.
Malgré les difficultés de mise en œuvre, le rapport Debray garde son actualité en ce début des années 2020. L’intérêt des nouvelles générations pour les croyances, leur conception plus libérale de la laïcité, qui dessinent, selon Frédéric Dabi, une fracture générationnelle, semblent appeler un réinvestissement de la question des faits religieux, dans le cadre des formations « Laïcité et valeurs de la République ».
La réflexion sur les rapports entre croire et savoir, qui est au cœur de la démarche préconisée par cet enseignement, peut par ailleurs être utile dans un contexte marqué par la post-vérité, une configuration politique et médiatique dans laquelle la crédibilité des discours repose moins sur leur adéquation aux faits que sur leur correspondance avec les croyances et les émotions.
Charles Mercier, Professeur des universités en histoire contemporaine, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.