Comme l’affirmait François Mitterrand, l’écriture d’un gouvernement trahit les enjeux de politiques publiques et les orientations majeures qu’on entend décliner. Comme à l’époque, l’affirmation de la nécessité de prendre en compte le Temps libre avec l’inéluctable réduction du temps de travail.

La lecture du gouvernement Barnier, en plein et en creux, ne peut pas laisser indifférent. On s’en doutait : on n’est pas déçu : l’innovation n’est pas au pouvoir ; on régresse sur de nombreux points. Pour ne pas dire qu’on est franchement réactionnaire dans l’approche des problématiques sociétales.

Ainsi, un ministère délégué à la famille et la petite enfance est confié à la sénatrice de la Seine-Maritime Agnès Canayer, département rattaché à Paul Christophe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Exit le ministère de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles acquis de haute lutte en 2018.

Ministre de la Famille ? En d’autres temps, on aurait été peu regardant en rappelant que La famille en tant que modèle unique – Papa, Maman, unis toute une vie par le mariage – a été singulièrement relativisé et qu’il est grand temps de parler des familles ou encore du fait familial avec le souci au passage pour les adultes en responsabilités non seulement de vivre leur vie, mais de gérer les plus jeunes et les anciens. La modernité eut donc été de parler du fait familial ou la condition familiale.

La référence à la famille sonne encore plus fort quand on sait que trois des ministres ont manifesté contre la loi sur « le Mariage pour tous », sinon contre l’inscription du droit l'avortement dans la Constitution et qu’on a à l’esprit qu’on a été à deux doigts d’avoir l’une d’entre eux – Mme L. Garnier – comme ministre de la Famille. Ce qui est rapidement apparu comme une probation majeure entrainant un véto présidentiel l’intéressée étant finalement déportée vers le Commerce !

Et que dire de la référence à la Petite enfance ?

Déjà que cela sent bon l’improvisation liée au scandale de ces derniers jours sur les crèches. À interpellation politique une réponse politique. Dont acte.

Quid des préados, des ados, des presque majeurs. La Convention internationale sur les droits de l'enfant qui veut que de la naissance au 18 ans – art. 1ᵉʳ- on soit un enfant ne s’attache pas spécialement au petit enfant. L’objet politique est l’enfance, pas la petite enfance. Avec le souci d’une politique globale dont découle la meilleure protection possible. Il ne s’agit pas dénier l’enjeu autour de la petite enfance - conf le travail mené sous la férule de Boris Cyrulnik, mais l’enfance ne se réduit pas aux premières années delà vie, loin de là. Tout ne se joue pas avant 3 ans ! D’où la délégation parlementaire aux droits de l’enfant présidée par la députée Mme Goulet.

Ajoutons que l’enfance ne peut pas se réduire à la famille. Pour Français Mitterrand encore (Nantes, juin 1989) « l’enfant n’appartient à personne ». Par-delà l’influence familiale les enfants ont une vie sociale, une vie propre et une identité propre. Le nouveau gouvernement escamote cette donnée. Le premier ministre et ses conseillers n’ont donc apparemment rien compris au film de l’histoire. En vérité, pour eux, l’enfant ne se conçoit pas hors la famille. Tradition oblige. Pas plus ne sont-ils pour le coup à l’écoute de l‘actualité quand la protection de l‘enfance est en crise et appelle d’urgence à des mesures fortes comme nous l’avancions au CNPE avec la demande d’Etats généraux pour déboucher sur un plan Marshall et comme ne manquera pas de la rappeler le CESE le 8 octobre prochain.

« Qu’en est-il de l’engagement du candidat Macron à sa réélection de faire de l’enfance la priorité de son nouveau quinquennat ? »

Le positionnement auprès du ministre des Solidarités de ce département ministériel d’un autre temps n’est pas neutre. La dimension famille et petite enfance est retenue comme un problème social ! On est loin du secrétariat d’État de Charlotte Caubel placé sous Mme Borne rattaché au premier ministre avec d’entrée de jeu l’affichage d’une politique interministérielle pour une problématique à 180 degrés.

Bref cette écriture trahit une méconnaissance des enjeux multiples autour et pour 18 millions de moins de 18 ans qui dépassent largement la question des modes d’accueils de la petite enfance ou de la santé des plus petits.

Que va-t-il advenir de la dynamique en crabe certes, mais réelle qui se développait laborieusement depuis quelques années ?

Une démarche visant à garantir à tout enfant le droit de vivre en famille certes, mais de voir tous ses droits pris en compte et à cet effet de moderniser les termes des responsabilités familiales et leurs articulations dans et par-delà les parents biologiques, dans et par-delà la séparation matrimoniale.

Tout bêtement : qu’en est-il de l’engagement du candidat Macron à sa réélection de faire de l’enfance la priorité de son nouveau quinquennat ? Pour le moins, le sujet est réduit à la part la plus congrue qui soit. Un fiasco !

« Rien sur l’action sociale avec le dossier clé des acteurs de la solidarité qui fait aujourd’hui cruellement défaut. »

Que va-t-il advenir du conseil interministériel ? Avec quelle légitimité l’animera-t-on ? Quid déjà du souci de disposer chaque année d’un « jaune » budgétaire sorti pour la première fois par Charlotte Caubel qui, pour répondre à la demande du comité des droits de l'enfant de l’ONU, cristallise les investissements publics sur l’enfance ? Qui va veiller à la promotion du suivi de la Convention internationale des droits l’enfant, les affaires étrangères étant simplement habilitées à servir de « go-between » avec l’ONU ?

Cerise sur le gâteau de la ringardise, on revient comme au XXᵉ siècle à réunir la Jeunesse aux Sports comme si les sportifs n’étaient que des jeunes et les jeunes n’étaient que des sportifs. Les Sports devaient être confiés à la Culture et il devait y avoir un affichage du soi d’une politique en direction des jeunes.

Aucune référence au handicap et à l’allongement de la durée de la vie sinon à dire que tout se réduit à l’Autonomie.

En tout cas rien sur l’action sociale avec le dossier clé des acteurs de la solidarité qui fait aujourd’hui cruellement défaut. On est bien hors sol dans cette écriture.

À ces « erreurs » d’écriture, ajoutons la nomination à l'Éducation nationale d’une personne, Anne Genestet, qui, c’est le moins qu’on puisse en dire, n’est pas connue pour avoir investi jusqu’ici sur le thème, mais qui va devoir d’un jour à l’autre avoir un projet sur un sujet aussi majeur ! Itou pour le nouveau Garde des sceaux quand la justice n’a rien à voir avec le contrôle des comptes et que le poids du ministre de l'intérieur s’annonce majeur dans le gouvernement au regard du débat sécuritaire.

À ceux qui pourraient être portés à relativiser ces critiques institutionnelles, on précisera que ces lacunes et approches réactionnaires ne vont pas manquer de se traduire à très bref délai sur des sujets majeurs.

Ainsi, au regard des prises de position antérieures sur l’immigration de ceux qui sont appelés à nous gouverner dont le premier ministre, sera rapidement sur la sellette le dossier des mineurs étrangers non accompagnés tenus comme source de toutes les difficultés de l’action sociale et des départements. On entend les considérer plus comme des émigrés que comme des enfants. Les postures de Christiane Taubira et d’Edouard Philippe vont être fortement interpelées.

« Que va-t-il advenir de la démarche commune État-Départements sur la protection de l'enfance ? »

Le nouveau ministre de l‘intérieur a le souci (sarkoziste) d’abaisser la majorité pénale à 16 ans et d’introduire une justice encore plus proche que celle des adultes en revenant sur le CJPM à peine entré en vigueur – qui trouve son architecture dans le rapport Varinard déposé pour et sous Nicolas Sarkozy en 2008 – avec le souci de faciliter le prononcé rapide de peines de prison pour les mineurs via un recours facilité à l’audience unique. Le ministre de la Justice sous pression pourra-t-il résister ?

Quel avenir pour le projet de loi sur les responsabilités parentales exigé par président Macron en 2023 et présenté cet été par le Premier ministre démissionnaire Attal qui, en rabattant, fort heureusement, sur les annonces présidentielles, vise non pas à clarifier ces responsabilités ou à étayer des parents en difficulté, mais simplement à s’assurer d’une répression plus sûre et plus sévère l’égard de parents tenus pour défaillants ? Là encore, le Garde des sceaux saura-t-il faire face ?

Que va-t-il advenir de la démarche commune État-Départements sur la protection de l'enfance qui devait venir échéance à l’automne ? Quelle place entend-on réserver aux institutions gestionnaires et aux professionnels ?

* François Mitterrand avait donc bien raison. L’écriture gouvernementale trahit les lignes force d’une équipe gouvernementale et le moins que l’on puisse dire est que s’agissant du sociétal, cette approche est aujourd’hui étriquée, ringarde sinon réactionnaire. En tout cas pas en phase avec les problématiques de la vie quotidienne des français.


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https://www.dei-france.org/sans-voix/

Jean-Pierre Rosenczveig est magistrat honoraire, président d’Espoir-CFDJ et de LaVita, co-président de la commission « enfances familles jeunesses » de l’Uniopss, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), et co-président de la commission Ultramarins - Expert UNICEF. Retrouvez toutes les analyses de Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog.