Le Service national universel, un retour en arrière ?
Contesté dès son lancement en 2018, le Service national universel (SNU) fait à nouveau parler de lui. Le dispositif a concerné 15 000 jeunes entre 15 et 17 ans en 2021 et la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse Sarah El Haïry a indiqué être favorable à sa généralisation à l’ensemble d’une classe d’âge.
En quoi consiste ce dispositif ? Lancé en 2018 et actuellement fondé sur le volontariat, le Service national universel se compose d’un « séjour de cohésion » de 12 jours dans des centres dédiés – avec un uniforme et des rituels comme le lever des couleurs –, d’une mission d’intérêt général, puis d’un « engagement volontaire » facultatif, qui peut prendre la forme d’un service civique, d’un service militaire volontaire, ou d’un engagement dans la réserve opérationnelle.
Si les modalités précises de sa potentielle généralisation restent à définir, la mesure évoque un retour au service militaire, suspendu en 1997.
Pourtant, le SNU n’est pas le service militaire. Ses objectifs sont flous, évoquant pêle-mêle la « cohésion nationale », la « culture de l’engagement », la sensibilisation aux enjeux de défense, l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.
De cette manière, ce projet s’inscrit dans une longue histoire. Les tentatives de mêler école, armée et monde associatif sont en effet une constante depuis les débuts de la IIIe République, dans les années 1870-1880. Revenir sur ce passé permet de mettre en perspective ces tentatives et leurs impasses.
Durant la IIIᵉ République, former des citoyens-soldats
Les dimensions militaires et éducatives sont indissociablement liées dans l’histoire de la République. Dès 1871, un des pères fondateurs de la IIIe République, Léon Gambetta, affirmait vouloir instituer une école du citoyen-soldat : « je ne veux pas seulement que cet homme pense, lise et raisonne, je veux qu’il puisse agir et combattre. Il faut mettre partout, à côté de l’instituteur, le gymnaste et le militaire ».
Ainsi, les grandes lois des années 1880 qui ont rendu l’école gratuite et laïque comprennent dès le départ un volet militaire, avec une gymnastique obligatoire dans les écoles primaires (loi George). Des « bataillons scolaires » existent même pendant quelques années. Les adolescents y apprennent à marcher au pas, le dimanche matin, en uniforme, fusil de bois à l’épaule, sous les ordres d’un sous-officier.
Cette dimension militariste s’atténue au tournant du siècle, mais ne disparaît jamais totalement. La mémoire collective a complètement oublié l’existence du « tir scolaire » dans les années 1900, avec l’organisation d’un championnat de France de tir à la carabine, dans les écoles, sous l’égide des instituteurs.
Dans le même temps, l’armée devient une armée nationale, avec la mise en place progressive d’un service militaire véritablement universel en 1889, encore plus égalitaire après la loi de 1905, qui impose le service de deux ans pour tous.
Les militaires imaginent alors, comme le montre un article du maréchal Hubert Lyautey resté célèbre, que les officiers doivent assumer un « rôle social », prolongeant l’effort éducatif des instituteurs. L’expérience partagée de la caserne est alors vue comme un facteur décisif d’unification culturelle d’un pays encore très divers.
L’idée d’associer cadre militaire et ambition éducative n’est donc pas neuve. Elle n’avait pourtant pas le même sens hier qu’aujourd’hui. L’éducation civique n’était pas l’objectif principal du service militaire. C’était avant tout un dispositif de défense, dans un contexte international où la guerre était un horizon très proche, comme l’a montré le déclenchement soudain de la Première Guerre mondiale en 1914.
Le service militaire, une institution nationale
La Grande Guerre a d’ailleurs un effet très direct. Le service militaire est resté une institution importante dans la société française, avec l’idée que seule une armée forte garantissait la paix et l’indépendance de la France.
En revanche, l’uniforme militaire est sorti presque totalement de l’école dès les années 1920. Ce qui devient le « ministère de l’Éducation nationale » dans les années 1930 ne s’occupe plus guère de former des soldats.
L’épisode des « chantiers de jeunesse », durant la période du régime de Vichy, relance au contraire l’idée de former des groupements éducatifs dans un cadre militaire ou paramilitaire. L’ambition en était idéologique, mais il s’agissait aussi de remplacer la conscription, interdite par le traité d’Armistice de 1940.
Hors cette parenthèse vichyste, des années 1920 à la guerre d’Algérie, le service militaire est donc resté donc une institution proprement militaire, avec une séparation plus nette entre l’armée et le secteur éducatif. Les conscrits ont été mobilisés en 1939, et plus tard le contingent des appelés a été massivement envoyé assurer le « maintien de l’ordre » en Algérie, selon l’expression des années 1950, notamment durant la guerre d’Algérie, entre 1954 et 1962.
Les années 1960 constituent un intense moment de réflexion et de débat autour de l’utilité du service militaire, notamment à propos de son coût et de la place à laisser à l’objection de conscience, qui reçoit un statut officiel en 1963.
La situation à partir des années 1970 est bien différente. La France continue à faire la guerre régulièrement, mais dans des opérations lointaines, qui mobilisent des troupes bien entraînées et équipées de matériel de plus en plus technique. L’armée devient donc progressivement une armée de métier.
Le service militaire obligatoire de 12 mois puis de 10 mois, devenu coûteux et inutile militairement, est suspendu par le président Jacques Chirac ; la mesure rentre en vigueur en 1997. Plus de 30 % d’une classe d’âge était exemptée, pour des raisons médicales ou administratives (soutien de famille, par exemple), et les formes de services étaient très diverses, y compris sous des formes civiles.
Le Service national universel, pour quoi faire ?
Si de nombreux hommes politiques voient aujourd’hui dans la suppression du service militaire une erreur, il y a matière à douter de l’intérêt d’un retour en arrière.
D’un point de vue pragmatique, aucun des objectifs affichés par le SNU ne relève véritablement du domaine professionnel des militaires, à savoir la défense de la France. Comme le rappelle régulièrement la chercheuse Bénédicte Chéron, il semble y avoir un malentendu sur le rôle effectif de l’armée. L’encadrement d’adolescents ne semble pas relever des missions fondamentales de forces qui souffrent déjà de problèmes de financement. Il faut d’ailleurs noter la méfiance de nombreux militaires envers le dispositif.
En 2019, Gabriel Attal, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, et Frédérique VIDAL, ex-ministre de l’Enseignement supérieur, lancent le Service national universel dans le Nord.
De plus, des difficultés de recrutement des encadrants ont été soulignées par les rapports sur la mise en place progressive du dispositif. Cette inadaptation a déjà provoqué des incidents médiatisés, comme cette punition collective en pleine nuit à Strasbourg, ordonnée par un ancien officier. La question des infrastructures d’accueil pose aussi problème, à l’heure où les services publics sont sommés de faire toujours plus d’économies.
Cette priorisation relève ainsi d’une vision idéologique, qui repose sur des mythes. Le recours au cadre militaire serait un moyen pour unifier la jeunesse d’une nation. Mais il faut rappeler que ses rituels ont un sens, celui de former des groupes efficaces au combat. La mise en perspective historique permet de mettre en lumière le décalage entre cet imaginaire fantasmé et le véritable rôle du service militaire.
Lionel Pabion, Maître de conférences en histoire, Université Rennes 2