Le second tour des élections législatives du dimanche 7 juillet 2024 s'est tenu sous haute tension. Julien Robin, doctorant en sciences politiques, spécialiste de la vie parlementaire française, analyse pour nous ces résultats.
Contre toute attente, le Nouveau Front populaire l’a emporté avec 176 sièges, devant le parti présidentiel qui a 154 sièges. Le Rassemblement national n’arrive que troisième, avec 140 sièges.
Que disent les résultats du deuxième tour des élections législatives ?
Julien Robin. L'arrivée en tête du Nouveau Front populaire et la troisième place du Rassemblement national n'étaient vraiment pas prévues, au regard des dernières prévisions et si on se réfère au nombre de sièges remportés.
Ceci rappelé, ce qui me frappe c'est que le RN a changé d'envergure. Il est devenu le grand parti attrape-tout, comme l'a pû l'être en 2017 En Marche. De plus, le RN apparaît désormais comme une possibilité d'alternance. Tout l'entre deux tours s'est fait autour de ce parti et de la question du barrage républicain, sans lequel le RN aurait vraisemblablement obtenu une forte majorité relative voire une courte majorité absolue.
Il ne faut pas oublier que si le RN arrive troisième, il est malgré tout le premier parti de l'Assemblée nationale derrière deux coalitions qui rassemblent plusieurs partis. Ce n'est pas anecdotique car c'est la première fois dans l'histoire de la Cinquième république que le groupe le plus important va se retrouver dans l'opposition. Cela aura des conséquences sur le fonctionnement de l'Assemblée nationale, par exemple sur le temps de parole, notamment pour les questions au gouvernement, le nombre de députés en présence dans les commissions, peser sur l'ordre du jour de l'Assemblée. Le RN s'inscrit durablement dans le paysage parlementaire et il faudra étudier de près les résultats en voix.
C'est la confirmation de la tripartition, la fin de l'organisation de la vie politique en deux blocs, la gauche et la droite ?
J.R. Les résultats montrent qu'il existe trois blocs de taille proche. Emmanuel Macron a dissous pour avoir une clarification et le résultat est l'inverse. La première raison est que la gauche a réussi à s'unifier en peu de temps. La formation d'Emmanuel Macron se maintient tant bien que mal, mais s'effondre surtout par rapport à 2017. La droite républicaine réussit à résister dans un contexte difficile pour elle. C'est le paradoxe de la dissolution : sa décision a été prise en imaginant que la gauche allait imploser dans la foulée. Finalement elle s'unit et c'est la famille de la droite qui est éclatée entre les anciens centristes alliés d'Emmanuel Macron, la partie des Républicains qui a rallié Emmanuel Macron avec des personnalités comme Gérald Darmanin ou Bruno Le Maire, ceux qui ont suivi Eric Ciotti dans l'alliance avec le RN et les Républicains stricto sensu.
Le parti macroniste peut-il résister dans ce contexte ? Ne pourrait-on pas voir certains macronistes de gauche rejoindre le Nouveau Front populaire, et d'autres Horizon ?
J.R. Il y a une chose qui a beaucoup changé cette fois-ci avec la dissolution. Ces législatives n'arrivent pas après une présidentielle. Les députés Renaissance ont été élus ou réélus sur leur propre nom cette fois-ci. Certains ont voulu effacer la figure d'Emmanuel Macron ou retirer son nom des tracts et du matériel électoral. Ils ne sont plus les dépositaires de la légitimité et de la continuité présidentielle. Je ne suis pas complètement convaincu qu'on va assister à une implosion du parti. Je crois plus vraisemblable que des macronistes venant de gauche vont vouloir s'autonomiser, prendre de la liberté et vont vouloir pousser des textes ou des amendements. Et la même chose pourrait arriver avec la partie à droite de Renaissance. La barque macroniste va tanguer et aller jusqu'à se déverser. Le syncrétisme d'Emmanuel Macron, popularisé par le « en même temps », vient de prendre un sacré coup.
Que révèle le taux d'abstention ? Il est plus élevé qu'aux dernières législatives, mais près d'un tiers des Français ne va pas voter alors que les enjeux avaient été très dramatisés ?
J.R. Le taux de participation est faussement historique. Certes, il a rebondi de 19,2 points par rapport à 2022 et cela faisait 30 ans qu'on n'avait pas eu ce niveau de participation. Toutefois, si on regarde depuis la création de la Ve République en 1958, le premier tour de 2024 se classe 11e sur 17 premiers tours. Pour le second tour, on sera dans la même situation. Cela reste certes important. Mais n'oublions pas qu'il y a en plus 5 % des Français en âge de voter qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Résultat : on a entre 19 et 20 millions de Français qui ne se sont pas exprimés pour les élections législatives.
Que peut-on dire des reports de voix entre les blocs et au sein des blocs ?
J.R. Le barrage républicain a bien fonctionné, notamment pour les électeurs du Nouveau Front populaire qui n’ont pas hésité à voter fortement pour les candidats contre le RN : 70% des électeurs NFP du 1er tour ont voté pour le candidat LR en cas de duel avec le RN ; 79% pour le candidat Ensemble). A l’inverse, le report de voix était inégal selon l’étiquette partisane à gauche dans les duels avec le RN : les électeurs du camp présidentiel au 1er tour ont voté à 54% pour un candidat PS, EELV ou PCF, mais seulement 43% si c'était un candidat de la France Insoumise face au RN.
Dans un tel contexte, peut-on dire que le pouvoir va passer de l'Élysée à Matignon ?
J.R. Le pouvoir va sans doute passer de l'Élysée à Matignon, mais surtout en passant par le Palais Bourbon, sans oublier le palais du Luxembourg, siège du Sénat et où la droite républicaine y a la majorité. Emmanuel Macron n'a plus de toutes les cartes en mains pour gouverner, il va devoir composer davantage avec le parlement et les autres formations politiques.
Former un gouvernement ne va pas être facile dans ce contexte. Il existe des désaccords au sein du Nouveau Front populaire. Il faudra voir le rapport de force en nombre de députés. Est-ce qu'un gouvernement de majorité relative pourra tenir ? Ce soir, on peine à imaginer un gouvernement de coalition allant de LFI au centre droit.
La France a donc versé dans un régime parlementaire ?
J.R. En quelque sorte, la France verse dans une sorte de parlementarisme d'atmosphère. La vie politique française entre dans une phase inconnue : le parlementarisme, qui va induire de nouvelles pratiques politiques. Pour le moment, c'est une forme un peu baroque car nous nous retrouvons dans un parlementarisme introuvable avec trois blocs et un mode de scrutin qui ne permet plus d'assurer une majorité claire et stable. Nous n'avons pas l'habitude de créer des coalitions gouvernementales de cette façon car nous n'avons pas cette culture. De plus, nous restons dans un contexte présidentialiste, où les principaux leaders de gauche et de droite se positionnent en vue de la présidentielle. Si coalition il y a, ce sera avec des arrière-pensées, ce qui n'est pas le meilleur moyen d'avoir une coalition qui fonctionne convenablement.
On entend beaucoup dire que c'est le retour de la IVe République ? Qu'en est-il ?
J.R. Les résultats de ces élections législatives anticipées ressemblent aux législatures de la IVe République (par exemple, la IIe), où aucun groupe ne disposait de la majorité et les alliances gouvernementales vacillaient facilement.
Savoir si on va revivre cela relève plus de l'anticipation que de l'analyse sérieuse. Ce que je peux dire c'est que le parlementarisme repose sur la nécessaire création de coalition ou de majorité.
Or la Ve République n'est pas du tout dans cette logique avec le scrutin uninominal à deux tours qui doit créer de la stabilité et créer une majorité claire le soir de l'élection. Cela fait deux fois que cela ne réussit pas, en 2022 et en 2024. Or, dans notre système, comme chacun pense avoir la majorité le soir du deuxième tour, les campagnes ne posent pas la question des coalitions qu'on pourrait faire ensuite. Cela va donc être très compliqué.
Qu'est-ce que cela pourrait être une coalition, un contrat de gouvernement à l'allemande ? Ou peut-on imaginer un premier ministre pas trop marqué qui, comme Michel Rocard, cherche des majorités texte par texte ?
J.R. Imaginer un scénario à l'allemande où une fois les résultats connus, les partis négocient un contrat de gouvernement me semble peu probable. Aujourd'hui, tout est polarisé et il ne faut pas oublier le rôle du camp présidentiel dans cette polarisation en gouvernant avec beaucoup d'arrogance.
Une personnalité politique neutre, par exemple un élu de l'ex groupe central Liot, qui serait premier ministre me semble davantage possible. Nous sommes plus habitués à voir fonctionner un gouvernement avec une majorité relative que d'assumer la création d'une grande coalition. Ceci, dit, tout va peut être complètement changé demain et nous allons réussir à créer une telle grande coalition.
Ces élections ont vu l'émergence de nouvelles personnalités politiques (par exemple Marine Tondelier) ou la confirmation de jeunes figures (Gabriel Attal ou Jordan Bardella). Est-ce un renouvellement durable ?
J.R. Je crois que dans les situations de crise, d'instabilité, on a davantage confiance dans les personnalités avec une expérience politique. Imaginez que François Hollande qu'on disait fini en 2017 est de retour. Je ne nie pas que ces nouvelles personnalités peuvent avoir de l'influence dans les mois qui viennent. Mais n'oubliez pas que ni Jordan Bardella, ni Marine Tondelier ne sont députés à Paris alors que Marine Le Pen ou François Hollande le seront.
Julien Robin, Doctorant en science politique, Université de Montréal