Dans une décision du 21 juillet 2023, le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution les dispositions de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes, des délits sexuels et de l’inceste. « C'est une décision historique qui ouvre des perspectives pour l'avenir », salue Édouard Durand, co-président de la Ciivise.
Après plusieurs jours d'inquiétude, c'est un ouf de soulagement pour les acteurs de la protection de l'enfance. Saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi du 21 avril 2021, les Sages du Conseil constitutionnel ont validé, le 21 juillet, les dispositions qui font de toute relation sexuelle entre un mineur de moins de 15 ans et un majeur de cinq ans ou plus son aîné un viol puni de vingt ans de réclusion criminelle. [article 222-23-1 et art.222-23-3 du Code pénal].
Pour mémoire, deux avocats, Me Louis Heloun et Antoine Ory, avaient déposé une QPC afin d’obtenir la suppression de l'article de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes, des délits sexuels et de l’inceste qui instaure une nouvelle infraction de viol. A l'audience, le 4 juillet, ils soutenaient qu’en fixant le seuil de consentement à 15 ans, la loi du 21 avril 2021, instaurait une « présomption irréfragable de culpabilité » contraire à la présomption d’innocence et aux droits de la défense. De fait, les avocats requérants réclamaient « l’abrogation immédiate » du texte (lire notre article).
Cette incrimination, qui n'exige pas que ces actes soient commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, « ne repose pas sur une présomption d'absence de consentement de la victime », a tranché le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 juillet 2023. « D'autre part, il appartient aux autorités de poursuite de rapporter la preuve de l'ensemble de l'ensemble de ses éléments constitutifs », soulignent les Sages, pour qui les dispositions critiquées « n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une présomption de culpabilité ».
Les deux avocats requérants estimaient également que la loi du 21 avril 2021 portait atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, la nouvelle infraction étant punie « trois fois plus sévèrement » que l'atteinte sexuelle (sept ans de prison encourus), quand l'acte est commis sans violence mais que la différence d'âge entre le majeur et le mineur est inférieure à cinq ans. Le Conseil constitutionnel n'a pas retenu, non plus, cette critique, considérant que « le législateur, qui a entendu renforcer la protection (des) mineurs victimes d'infractions sexuelles, n'a pas institué une peine manifestement disproportionnée ».
Dans une pétition partagée le 20 juillet, 80 personnalités et associations avaient alerté sur le risque d’une remise en cause de la loi du 21 avril 2021, émanant de la sénatrice centriste Annick Billon. « La loi qui protège les mineurs des crimes sexuels n'accuse pas, elle qualifie la gravité d'un acte et ne porte aucunement atteinte à la présomption d'innocence. Elle dit qu’avoir une relation sexuelle avec un enfant n’est pas un délit mais un crime » […] la remise en question de cette avancée historique en faveur de la protection des mineurs est d’autant plus déplorable qu’elle émanait d’une personne accusée de viol sur plusieurs enfants », a souligné Annick Billon, par ailleurs, présidente de la délégation aux droits des femmes, dans un communiqué.
Éric Dupond-Moretti, le garde des Sceaux a lui-aussi salué la décision du Conseil constitutionnel. « Les équilibres trouvés avec les parlementaires pour mieux protéger nos enfants dans le respect de notre État de droit sont validés », commente-il dans un tweet. « Non, on ne touche pas aux enfants ! », répète-il comme en 2021.
Même satisfaction pour Charlotte Caubel, secrétaire d'État chargée de l'Enfance qui rappelle que « la lutte contre la pédocriminalité est une urgence ».
« Il faut aller plus loin en élargissant le périmètre de la loi du 21 avril 2021 : inceste entre mineurs, inceste entre majeurs, conditions d’autorité pour certains membres de la famille (frère, oncle, beau-père) »
De son côté, Édouard Durand, co-président de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) applaudit « une décision historique qui ouvre des perspectives pour l'avenir ».
« La raison commande de reconnaître que tout acte sexuel d’un adulte sur un enfant est nécessairement imposé par l’adulte. Les principes fondamentaux du droit, à commencer par la présomption d’innocence, n’ont jamais été conçus par les humains pour générer l’impunité des agresseurs », défend-il. « Il faut aller plus loin en élargissant le périmètre de la loi du 21 avril 2021 : inceste entre mineurs, inceste entre majeurs, conditions d’autorité pour certains membres de la famille (frère, oncle, beau-père) », poursuit le juge Durand.
Le co-président de la Ciivise appelle, également, de ses vœux un retour « aux dispositions initiales » de la proposition de loi "visant à mieux protéger les enfants victimes de violences intrafamiliales" portée par Isabelle Santiago, députée socialiste du Val-de-Marne « pour garantir la suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de poursuites pénales pour inceste et le retrait systématique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour inceste ».
Le 21 mars dernier, le Sénat avait adopté après modifications, en première lecture, ce texte en limitant la portée de la disposition sur le retrait de l'autorité parentale quand un parent a été déclaré coupable d'inceste (lire notre article). La proposition de loi sera examinée à l'Assemblée nationale pour une deuxième lecture.