Fin septembre, la Commission européenne donnait son feu vert à la France pour interdire les puffs, des cigarettes électroniques dont le marketing vise surtout les plus jeunes. La ministre de la Santé Geneviève Darrieussecq annonçait un mois plus tard qu’une loi transpartisane devrait être promulguée à cet effet dans les prochaines semaines. Retour sur ce qu’il faut savoir à propos de ces dispositifs.

La « puff » (mot anglais signifiant « bouffée ») est une e-cigarette jetable, fonctionnant avec une batterie (pile au lithium), préchargée et préremplie. Il s’agit donc d’un objet très polluant et non recyclable !

Au-delà de ces considérations écologiques, d’autres arguments motivent le projet de loi actuellement en examen, visant à son interdiction. Cette mini e-cigarette relativement bon marché est en effet notamment prisée des adolescents, malgré une interdiction de vente aux mineurs. Que faut-il en savoir ?

Une nicotine plus facile à vapoter

Créée en 2019 par Patrick Beltran et Nick Minas en Californie (États-Unis), tous deux co-PDG de la société Puff Bar, la puff (ou « pod jetable ») est une mini-cigarette électronique au design attractif, qui contient 1 à 2 ml de liquide.

Elle permet d’obtenir de 300 à 600 bouffées aux arômes sucrés et fruités, pour un prix allant de 6 à 10 euros (d’autres modèles permettent d’obtenir jusqu’à 1 600 bouffées). La puff existe en de nombreuses saveurs : des puffs contenant une grande variété d’arômes sucrés et fruités sont proposées à la vente.

Quel que soit leur goût, les liquides contenus dans les puffs sont composés de nicotine synthétique, autrement dit ne provenant pas de feuilles de tabac. Plus précisément, il s’agit de sels de nicotine. Que sont exactement ces substances ?

Les sels de nicotine sont obtenus par adjonction d’un acide (comme l’acide benzoïque, l’acide laurique, l’acide sorbique…) à de la nicotine base. Ils présentent l’intérêt d’être moins acides par rapport à la nicotine contenue dans les cigarettes et dans les liquides d’e-cigarettes classiques. Des travaux suggèrent que cela s’accompagne d’une meilleure absorption de la nicotine et modifie les sensations : moins irritants, ils entraînent moins de toux.

On trouve sur le marché des sels de nicotine à 5 %, soit 50 mg/ml de nicotine, plus du double autorisé en Europe (20 mg/ml). Rappelons que des taux de 57 mg/ml avaient été observés dans les liquides utilisés dans la Juul, une autre cigarette design et colorée (mais rechargeable) ayant connu un certain succès aux États-Unis – avant que la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine en charge de la régulation des produits alimentaires et médicamenteux, ne se prononce pour son interdiction.

Le recours aux sels de nicotine n’est pas anodin, car cela évite de ressentir des effets négatifs de la cigarette classique, l’irritation et la toux, qui limitent l’utilisation de la cigarette chez une personne n’ayant jamais fumé. Ainsi, leur utilisation sera plus facile, sans effet indésirable.

La présence de nicotine peut donc entraîner une dépendance nicotinique, comme on peut l’observer chez un non-fumeur qui prendrait des pastilles ou comprimés à la nicotine (TSN) ou une cigarette, bien sûr (qui contient en plus d’autres substances toxiques).

Cette facilité à vapoter s’inscrit dans un contexte où l’utilisation de cigarettes électroniques par certains collégiens et lycéens est en progression, malgré une interdiction de vente aux mineurs dans notre pays.

Jeunes, tabac et vapotage

Selon l’étude EnCLASS publiée en 2024, l’usage dans la vie (qui reflète l’expérimentation), dans le mois et quotidien de cigarettes a diminué entre 2018 et 2022 chez les collégiens français. La consommation de 10 cigarettes par jour ou plus reste faible (0,5 %) et est demeurée stable entre 2018 et 2022. L’usage dans la vie et dans le mois de la vape est lui aussi resté stable sur la même période.

L’expérimentation de l’e-cigarette par les collégiens et son usage dans le mois n’ont pas non plus évolué. En 2022, un collégien sur cinq avait déjà vapoté, et un sur dix l’avait fait au cours du mois. L’usage quotidien concernait 1,4 % des collégiens en 2022 (première année où la question était posée). Cela signifie que la prévalence d’usage quotidien est équivalente à celle des cigarettes classiques.

Chez les lycéens, l’usage dans la vie (expérimentation), dans le mois et quotidien de cigarettes a diminué entre 2018 et 2022, tout comme l’usage de 10 cigarettes par jour ou plus, qui est passé de 4,2 % à 1,4 % entre 2018 et 2022. Concernant la vape par les lycéens, les choses sont plus nuancées.

Chez les lycéens qui vapotent, l’usage a augmenté entre 2018 et 2022.

Si une baisse de l’expérimentation de la cigarette électronique a été observée entre 2018 et 2022, l’usage dans le mois tout comme l’usage quotidien ont augmenté (respectivement 24,2 % vs 16,6 % et 3,8 % vs 2,8 %) sur la même période.

Rappelons néanmoins que la vape ne représente pas une porte d’entrée dans le tabagisme : elle a plutôt un effet d’éviction, un effet distracteur, comme nous l’avons démontré dans une publication récente présentée par le pneumologue Bertrand Dautzenberg au congrès 2023 de la Société francophone de tabacologie.

Où en est-on de l’interdiction de la puff en France ?

Le 21 mars 2024, députés et sénateurs, réunis en commission mixte paritaire, ont trouvé un accord sur un texte final. Ce texte doit encore être définitivement voté par l’Assemblée nationale et le Sénat, avant sa promulgation. Son article unique modifie le code de la santé publique pour interdire la fabrication, la mise en vente, la vente, la distribution ou l’offre à titre gratuit des cigarettes électroniques jetables ou à usage unique, dites « puffs ». Est aussi interdite la détention en vue de la vente, de la distribution ou de l’offre à titre gratuit.

La violation de ces interdictions sera sanctionnée d’une amende de 100 000 euros maximum (200 000 euros en cas de récidive). Les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pourront constater cette nouvelle infraction.

À l’issue de la CMP, la ministre de la Santé a annoncé sa décision de notifier immédiatement le texte à la Commission européenne, conformément à la directive européenne du 3 avril 2014 dite « tabac ». La Commission disposera de six mois pour l’approuver ou le rejeter.

D’autres pays européens, comme l’Allemagne, l’Irlande ou la Belgique envisagent également d’interdire les « puffs » dans leur législation. Le 18 mars 2024, la Commission européenne a donné son accord au gouvernement belge.

Il n’est cependant pas certain que cela suffise à éviter complètement l’utilisation de ces produits. Et ce, d’autant plus que désormais, des sachets de nicotine à glisser entre lèvre et la gencive ont pris le relais. Ces « nicotine pouches » sont également sur les radars des autorités.

Les risques de contournement via les réseaux sociaux

Une publication intitulée « #Discreetshipping sur TikTok : vente en ligne de cigarettes électroniques » montre que des utilisateurs de TikTok du monde entier violent les lois locales, étatiques et fédérales en vendant des cigarettes électroniques dissimulées dans d’autres produits ou regroupées dans des paquets qui évitent la détection.

L’interdiction de TikTok par les autorités aurait probablement une certaine efficacité… Toutefois une solution moins radicale repose sur les parents, qui peuvent contrôler, limiter ou interdire l’accès à TikTok via le contrôle parental. La même démarche peut être menée vis-à-vis d’autres réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram.

Leur propre comportement constitue aussi un levier : une enquête publiée en 2023 par « l’Alliance contre le tabac » a révélé que la prévention passe avant tout par les parents. On peut notamment y lire que les adolescents ont « une utilisation de la puff [qui] s’avère plus élevée lorsqu’au moins un des parents fume » (28 %). Le chiffre est encore plus important lorsque les 2 parents fument (41 %).

Mais on sait pertinemment que les adolescents, en recherche de nouveauté ou de sensations fortes, n’hésitent parfois pas à braver les interdits, comme en témoignent les alcoolisations ponctuelles importantes, ou l’expérimentation de cannabinoïdes de synthèse, ou de protoxyde d’azote.

S’appuyer sur les compétences psychosociales, comme nous le faisons à l’Observatoire territorial des conduites à risques de l’adolescent (OTCRA de l’université de Grenoble-Alpes, en lien avec le rectorat et la préfecture de l’Isère, est une autre piste à envisager. Ces compétences sont définies comme « la capacité d’une personne à faire face aux exigences et aux défis de la vie quotidienne ».

L’acquisition de ces compétences sociales, cognitives et émotionnelles, permet de réduire les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis en particulier, ce qui confirme l’efficacité de cette approche globale et non uniquement centrée sur les produits.


Philippe Arvers, médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)

The Conversation