La résidence alternée est-elle toujours dans l’intérêt de l’enfant ?
Les initiatives populaires en faveur de la résidence alternée se multiplient depuis quelques années, sur Internet et dans l’espace public, portées par des associations qui se targuent de s’appuyer sur des arguments scientifiques censés démontrer que ce mode de résidence serait la solution miracle contre la délinquance juvénile, l’échec scolaire, la maltraitance infantile et même l’émancipation des femmes.
Rappelons qu’en cas de séparation et de divorce des parents, deux configurations sont possibles pour la garde de l’enfant. Sa résidence principale peut être fixée chez l’un des parents (l’autre parent bénéficiant généralement d’un droit de visite et d’hébergement classique, élargi ou réduit). Mais, depuis 2002, on peut aussi choisir d’instaurer une résidence alternée : l’enfant résidera en alternance, de manière égale, au domicile de chaque parent (le plus souvent une semaine sur deux). En 2020, en France, 12 % des enfants dont les parents sont séparés vivent en résidence alternée, soit 480000 enfants. Ce taux est en constante augmentation, notamment jusqu’aux 10 ans de l’enfant.
Les arguments mis en avant par les associations en faveur de la résidence alternée se retrouvent dans les propositions de loi qui sont déposées notamment la dernière proposition tendant à faire de la résidence alternée le mode de résidence par défaut. Selon cette proposition, « 85 % des détenus ont été élevés sans l’un de leurs parents ; 90 % des sans‑abri n’ont pas connu un parent et 63 % des mineurs suicidaires ont vécu une enfance monoparentale ». On y lit que « 24 % des enfants en famille monoparentale ont redoublé contre 9 % en résidence alternée (14 % en famille unie) et qu’il y a « 11 fois plus d’actes de violence chez les enfants élevés en l’absence d’un des deux parents. »
Or ce n’est pas parce que 85 % des détenus ont été élevés par un seul parent (statistique dont la source reste introuvable) que 85 % des enfants grandissant en famille monoparentale deviendront des délinquants. De plus, la corrélation entre violence, délinquance juvénile et monoparentalité est vivement contestée dans la littérature scientifique d’autant plus que cette configuration familiale est très souvent temporaire. Il est au contraire plus pertinent d’indiquer que, selon l’Insee, les parents d’enfants en résidence alternée sont davantage diplômés et sont plus souvent cadres ou professions intermédiaires. Or d’après le ministère de l’Enseignement supérieur, les enfants de parents cadres sont plus nombreux (88 % en 2020) à être bacheliers et à entreprendre des études dans le supérieur.
En réalité, le taux de réussite scolaire des enfants en résidence alternée découlerait plus du bon niveau d’études des parents que du mode de résidence. L’idée que la résidence alternée favoriserait la réussite scolaire et serait davantage favorable à l’enfant n’est donc pas démontrée.
La résidence principale, un choix des parties
L’absence de résidence alternée n’implique pas pour l’enfant de ne pas entretenir de liens avec l’autre parent qui, dans la majorité des cas, continue de bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement. En 2012, selon Infostat Justice, la part des enfants ne voyant plus l’autre parent suite à une séparation ou à un divorce n’était que de 4 %. Rappelons que depuis le 04 mars 2002, la séparation des parents est sans incidence sur l’exercice de l’autorité parentale qui est conjointe dans la presque totalité des cas (plus de 90 %).
L’article 373-2 du code civil, introduit par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 impose à chacun des titulaires de l’autorité parentale de respecter les liens de l’enfant avec l’autre parent. Il s’agit désormais de l’un des critères sur lesquels se fonde le juge aux affaires familiales pour prendre les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale. L’égalité parentale n’est pas une simple loi : c’est un principe essentiel du droit français.
L’affirmation selon laquelle les magistrates et magistrats favoriseraient systématiquement la résidence principale de l’enfant chez la mère est elle aussi injustifiée. En réalité, plus de 80 % des décisions rendues par les juges aux affaires familiales sur la résidence des enfants résultent d’un accord entre les parties qui souhaitent majoritairement instaurer une résidence principale chez la mère.
Il y a peu de divorces et de séparations conflictuels au sujet des enfants et, dans les faits, peu de pères sollicitent une résidence alternée ou principale. Les mères ne sont donc pas favorisées au détriment des pères. En cas de désaccord, la disponibilité, la distance entre les deux domiciles, l’âge de l’enfant, la capacité d’accueil, la pratique mise en place par les parents avant le jugement, la capacité du parent à respecter les droits de l’autre parent, l’existence d’une procédure pénale pour violences, sont des critères objectifs sur lesquels le juge s’appuie pour ne pas ordonner la résidence alternée.
La question des droits de l’enfant
Si l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a émis une recommandation claire en faveur de la garde alternée (Résolution 2079, art. 5, al. 5), l’autorité parentale conjointe de plein droit, tout comme la résidence alternée sont absentes de la Convention internationale des Droits de l’Enfant (CIDE).
Certes, selon le paragraphe 3 de l’article 9 de cette convention, l’enfant bénéficie du droit fondamental de continuer à entretenir des « relations personnelles et des contacts directs » avec chacun de ses parents après leur séparation, sauf si cela est contraire à son intérêt. Ce droit est corrélé aux devoirs du père et de la mère qui « ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever un enfant et d’assurer son développement » (CIDE, art. 18).
En aucun cas, la CIDE ne suggère que l’enfant devrait avoir le droit de passer un temps égal avec chaque parent ou même que l’autorité parentale devrait être partagée. Il n’est pas établi avec certitude que l’autorité parentale conjointe serait dans l’intérêt de l’enfant lorsque ses parents sont divorcés ou séparés. Des études montrent en effet que l’autorité parentale conjointe après un divorce ou une séparation peut avoir des effets négatifs sur l’enfant. Non seulement imposer une résidence alternée ne permettrait pas de mettre un terme au conflit parental, mais cela pourrait augmenter le stress émotionnel de l’enfant et entraîner des difficultés à communiquer.
Rappelons que plusieurs états européens comme la Norvège et la Suède, régulièrement cités comme étant des modèles d’application de la résidence alternée, rejettent toujours le principe de l’autorité parentale conjointe pour les couples non mariés. Au Danemark, depuis 2012, la résidence alternée n’est plus ordonnée automatiquement après un divorce. En 2017, le Conseil Fédéral suisse, qui s’est appuyé sur les résultats d’une étude interdisciplinaire menée par l’université de Genève, n’a pas souhaité faire de la résidence alternée « le modèle de garde prioritaire » : en effet ;
« la garde alternée est non seulement exigeante au niveau de l’interaction des parents, mais dépend aussi de certaines conditions matérielles (augmentation des frais) et structurelles (marché du travail, structures d’accueil extrafamiliales de l’enfant, politique familiale) qu’il n’est pas toujours aisé de réunir. De plus, elle peut se révéler très lourde pour l’enfant en raison des changements fréquents d’un lieu de vie à l’autre. »
L’intérêt supérieur de l’enfant doit motiver la décision du juge. Mais la notion d’intérêt de l’enfant est surtout « un principe d’interprétation », « une boîte où chacun met ce qu’il souhaite trouver », qui dans son essence même exige la plus grande vigilance. Veut-on privilégier l’intérêt des parents ou l’intérêt des enfants ? L’idée qu’il est dans l’intérêt de tout enfant de partager également son temps chez son père et sa mère n’est peut-être qu’une projection d’adulte. Car comme le rappelle très justement la CIDE, l’essentiel pour l’épanouissement de l’enfant est de « grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension ».
Lynda Gaudemard, Enseignant-chercheur, Aix-Marseille Université (AMU)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.