La question de l’accès des mineurs aux sites pornographiques bientôt résolue ?
La France devrait bientôt être dotée d’un outil permettant d’éviter l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Selon Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la transition numérique et des Télécommunications, il sera ainsi possible de « faire respecter la loi une bonne fois pour toutes ».
L’application mise en test depuis le mois de mars 2023 est l’aboutissement de travaux de recherches qui ont donné naissance à un système de contrôle de l’âge de l’internaute à la fois fiable et sécurisé – la majorité de l’utilisateur étant attestée par un tiers de confiance. Ce mécanisme permettra d’obtenir un certificat numérique de majorité qui devra être exigé par les sites pornographiques pour permettre l’accès au contenu.
Cette technique correspond aux exigences de la CNIL puisque, comme elle en avait exprimé la nécessité, l’application connaîtra l’identité du demandeur mais ignorera la nature des sites visités et le site sera assuré de la majorité de l’utilisateur mais ignorera son identité.
La mise en place définitive du système nécessitera encore de recueillir l’avis du Conseil d’État et de l’Union européenne. Selon le ministre, ces étapes pourraient être franchies en septembre prochain. Une fois cette application opérationnelle, les sites concernés seront contraints de respecter les règles françaises de protection des mineurs.
La protection ne sera pas assurée à 100 % puisque les sites ne seront obligés d’exiger la preuve de majorité qu’auprès de leurs clients français et qu’il suffira donc d’utiliser un réseau privé virtuel (VPN) pour contourner le contrôle. En effet, le VPN permet de chiffrer les données, en particulier l’adresse IP qui permet de localiser la machine. L’utilisation du VPN permet de choisir la localisation qui sera « vue » par le site consulté, qui détermine à son tour le contenu pouvant être mis à disposition et la réglementation à adopter.
Néanmoins, si la nouvelle application n’apporte pas une protection totale aux mineurs, elle constituera une réelle évolution au regard de la difficulté de sa mise en place.
Une protection nécessaire
Depuis son entrée en vigueur le 1er mars 1994, le Code pénal réprime le fait de permettre à des mineurs d’accéder à des contenus pornographiques ou violents. De nombreuses raisons viennent motiver cette restriction. On peut notamment évoquer la corrélation établie entre le visionnage de scènes de pornographie violente et l’accroissement des comportements sexuels agressifs, ou le fait que 90 % des scènes de pornographie les plus regardées contiennent des violences à l’encontre des femmes.
L’avènement d’Internet et son utilisation par un public de plus en plus jeune a fortement fait croître le risque qu’un mineur accède, volontairement ou fortuitement, à ce type de contenu. En France, le premier contact avec la pornographie se fait en général aux alentours de 13 ans. Un rapport de la délégation aux droits des femmes relatif à l’industrie de la pornographie estime que deux tiers des enfants de moins de 15 ans et un tiers de ceux de moins de 12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, volontairement ou involontairement.
En 2020, la loi est venue préciser que le simple fait de demander à la personne si elle a plus de 18 ans ne permet pas de s’exonérer de sa responsabilité pénale. En 2021, le législateur a confié à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) la possibilité de mettre en demeure les sites Internet ne respectant pas les exigences légales et de saisir la justice afin d’obtenir le blocage des sites.
Bloquer les sites ?
Devant l’inertie des principaux sites pornographiques, l’ARCOM a utilisé la voie de la mise en demeure. Faute de résultat tangible, il a fini par saisir le Président du Tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir le blocage de ces sites.
Le blocage du site consiste à contraindre les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à rediriger l’internaute vers une page indiquant les raisons du blocage (lorsque l’internaute clique sur un résultat de recherche menant vers le site bloqué). Il s’agit de la sanction qui précède le déréférencement, qui consiste à purement et simplement supprimer les résultats de recherche renvoyant au site visé par la mesure.
Cette offensive judiciaire de l’ARCOM n’a pas eu le résultat escompté. D’une part, la juridiction parisienne n’a pas prononcé le blocage des sites. Celle-ci a recommandé le recours à une médiation (mécanisme extra-judiciaire qui ne garantit pas d’aboutir à une solution, puisque chacune des parties peut l’interrompre à tout moment).
D’autre part, l’une des sociétés visées a déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que la Cour de cassation n’a pas transmise au Conseil constitutionnel. Les contenus pornographiques proposés par les plates-formes visées par l’ARCOM restent donc toujours facilement accessibles aux mineurs.
Un meilleur contrôle est techniquement possible
L’argument principal avancé par les plates-formes est d’ordre technique. Elles n’auraient pas à disposition de moyens fiables de vérifier l’âge de l’internaute. Elles reprochent au législateur d’exiger le contrôle, sans préciser les moyens à mettre en œuvre.
Pourtant des moyens techniques de contrôle existent et permettraient de s’assurer, de manière plus ou moins fiable, de la majorité de l’internaute désirant accéder a du contenu pornographique.
Le Royaume-Uni avait opté pour une technique de contrôle à l’opposé des nouvelles technologies puisqu’il consistait à retirer un code dans un commerce. La complexité du système et une grande réticence des utilisateurs ont conduit à l’abandon de cette solution. La transmission de données liées à une carte bancaire peut permettre au site de vérifier l’âge du titulaire de cette dernière – mais pas de manière certaine celui de l’internaute.
La vérification de la pièce d’identité, à l’aide d’un scan, peut également permettre de vérifier l’âge de la personne mais, encore une fois, sans être certain que le document appartient bien à l’utilisateur du site.
Les progrès de l’intelligence artificielle peuvent aussi être une source de solution. En effet, à partir d’un selfie, un logiciel d’intelligence artificielle (IA) peut parfaitement estimer l’âge du sujet. Afin de prendre en compte la marge d’erreur, estimée à cinq ans, le logiciel vérifie que le sujet a plus de 23 ans. C’est cette solution qui est retenue en Allemagne.
Plusieurs raisons sont invoquées pour ne pas mettre en œuvre ces moyens de contrôle : la dégradation de l’expérience utilisateurs due au ralentissement de l’accès au service, la complexité technique, la fiabilité trop relative du contrôle au regard de la complexité de sa mise en œuvre, etc. Mais ce sont surtout les risques inhérents à la mise en place de ces moyens de contrôle qui sont avancés.
Un transfert de données trop sensibles ?
Les moyens de contrôle évoqués nécessitent un transfert de données, plus ou moins sensibles, vers le service afin de s’assurer de la majorité de l’utilisateur.
Dès lors, il existe un risque d’appropriation et d’utilisation frauduleuse de ces données. L’utilisation d’une carte bancaire génère par exemple le risque d’une utilisation frauduleuse du moyen de paiement.
Plus largement, la transmission de données permettant l’identification de l’utilisateur engendre le risque de voir ces données tomber dans des mains malhonnêtes. Un chantage reposant sur la menace de révéler publiquement la fréquentation de sites pornographiques pourrait être exercé.
La CNIL elle-même, en juillet 2022, rappelait son attachement à la nécessité d’empêcher l’accès des mineurs à ces sites, tout en mettant l’accent sur les « risques additionnels » liés à certaines de ces méthodes de contrôle de l’âge.
La nouvelle application semble être en mesure de répondre aux différentes exigences de sécurité tout en limitant l’accès des mineurs à la pornographie.
On notera que, dans la même volonté d’accroître la protection des mineurs, une proposition de loi, votée en première lecture, prévoit l’obligation pour les réseaux sociaux de vérifier l’âge des utilisateurs et l’installation obligatoire d’un logiciel de contrôle parental sur tous les appareils vendus en France.
Jean-Claude Planque, Docteur en droit privé et sciences criminelles, Maître de Conférences Habilité à Diriger des recherches à l'Université de Lille, ex Codirecteur de l'Institut de criminologie de Lille, Université de Lille.