Plus d’une vingtaine de responsables d’importantes ONG, interpellent, dans une tribune au « Monde », la Première ministre, Élisabeth Borne, sur le non-respect persistant, par la France, des dispositions de la Convention des droits de l’enfant, en dépit d’une décision du comité chargé de surveiller sa mise en œuvre.
Dans une décision du 25 janvier, le Comité des droits de l’enfant, composé de dix-huit experts indépendants chargés de surveiller la mise en œuvre de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) par ses États parties, a conclu que la France n’avait pas respecté ses engagements à l’égard de cette convention qu’elle a pourtant ratifiée en 1990.
En effet, le Comité des droits de l’enfant, saisi de la situation d’un mineur isolé arrivé sur le territoire français à l’âge de 16 ans et laissé à la rue, a constaté que la France avait procédé à une évaluation sommaire de son âge. En effet, le jeune n’avait pas été accompagné d’un représentant légal pendant la procédure administrative, ni d’un interprète dans sa langue maternelle, que les recours n’étaient pas suspensifs et que les documents d’état civil qu’il avait présentés avaient été contestés sans même procéder à un examen en bonne et due forme des informations qu’ils contenaient.
De surcroît, la France n’a pas respecté l’injonction du comité de placer l’enfant dans un foyer pour mineurs jusqu’à sa majorité. Ainsi, le comité a conclu que la France avait violé les garanties attachées à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à l’identité, mais également les droits d’obtenir une protection et une aide spéciales de l’Etat afin de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants.
Ces constats confortent les observations que nos associations font depuis de nombreuses années sur la situation des mineurs isolés, garçons ou filles. Afin que de telles violations ne se reproduisent pas, le comité adresse plusieurs demandes à la France.
D’une part, la procédure de détermination de l’âge des mineurs isolés étrangers doit être mise en conformité avec la convention en garantissant :
- que les documents d’identité présentés soient pris en considération et leur authenticité reconnue dès lors qu’ils ont été établis par les autorités du pays concerné ou que celles-ci aient confirmé leur validité a posteriori ;
- qu’un représentant légal soit désigné sans délai pour assister le mineur dès la phase de mise à l’abri et durant toute la procédure.
D’autre part, la France doit adopter des mesures assurant que tout jeune se déclarant mineur soit considéré comme un enfant et bénéficie des droits découlant de ce statut durant toute cette procédure. Cela implique que, en cas de contestation de sa minorité, les recours qui lui sont ouverts doivent être suspensifs afin de garantir sa protection jusqu’à la décision définitive du juge.
Ces demandes du comité sont similaires à celles formulées par nos organisations dans un document intitulé « Mettre fin aux violations des droits des mineur.es isolé.es : 90 propositions pour une meilleure protection », paru le 7 février. L’Etat français doit informer le comité des mesures qu’il a prises afin de donner effet à ses constatations dans un délai de 180 jours à compter de la décision.
Alors que se profile l’échéance de ce délai sans qu’aucune annonce particulière ait été faite, nous demandons à la première ministre, Élisabeth Borne, de prendre les mesures nécessaires pour respecter la décision du comité afin que notre pays, sur l’ensemble de son territoire, hexagonal et ultramarin, garantisse pleinement l’intérêt supérieur de ces enfants et respecte leurs droits fondamentaux.
Lettre ouverte à la Première ministre parue dans le Monde du 17 juin 2023
Signataires :
- Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade
- Catherine Delanoë Daoud, présidente de l’Association d’accès aux droits des jeunes et d’accompagnement vers la majorité (Aadjam)
- Véronique Devise, présidente du Secours catholique-Caritas France
- Émilie Dewaele, présidente d’InfoMIE
- Didier Fassin, président du Comede
- Adeline Hazan, présidente de l’Unicef France
- Noam Leandri, président du collectif Alerte
- Jean-Claude Mas, délégué général de Futur au présent
- Florence Rigal, présidente de Médecins du monde
- Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
- Vanina Rochiccioli et Christophe Daadouch, coprésidents du Gisti
- Philippe Chavillard, président d’ECPAT France
- Geneviève Colas, coordinatrice du Collectif “Ensemble contre la traite des êtres humains”
- Marie Charlotte Fabie, directrice France de Safe Passage International
- Armelle Le Bigot-Macaux, présidente du Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE)
- Joran Le Gall, président de l’ANAS (Association Nationale des Assistants de Service Social)
- Armelle Gardien, présidente de RESF
- Michel Guilbert, président de Clowns Sans Frontières - France
- Renaud Mandel, président de l’ADMIE
- Yann Manzi, délégué général d’Utopia 56
- Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature
- Lise-Marie Schaffhauser, animatrice du pôle Innovation de l’UNAPP (Union Nationale des Acteurs de Parrainage de Proximité)
- Pierre Suesser, co-président du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile
- Nicolas Truelle, directeur général d’Apprentis d’Auteuil