Jean-Pierre Rosenczveig : La défense dans le contentieux des mineurs
Si la présence d'un avocat dans le contentieux pénal des mineurs est largement admise, le rôle de la « défense » dans la justice civile des enfants est plus discuté. L'analyse de Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny.
C’est bien une question nouvelle ou qui arrive à maturité
Pour reprendre le propos de Damien Mulliez (magistrat honoraire, ancien juge des enfants, ndlr) [1], défense laisse à penser qu’il y a attaque. Climat surprenant quand voici encore quelques années on estimait que la justice des mineurs était par définition une institution protectrice des enfants - les moins de 18 ans - , une justice moderne par sa fibre sociale, notamment en matière d’assistance éducative. Cette justice humaine pour laquelle je me suis engagé avec bien d’autres dans la magistrature au lendemain de Mai 1968. En tous cas elle n’était pas présentée ou vécue comme une institution contre laquelle on devait se défendre. N’y cherchait-on pas à protéger l’enfant y compris délinquant en lui garantissant le droit à de « bons » parents, le droit à la protection et à l’éducation. Comment pouvait-elle faire grief ? Elle était même le plus souvent ressentie comme telle par les intéressés.
Ainsi des parents que, comme juge des enfants, j’informais de leur droit de prendre un avocat et de faire appel de ma décision me disaient régulièrement : « Nous défendre ? Nous ne sommes pas coupables. Vous êtes notre juge, nous ne sommes pas d’accord ; mais nous vous respectons ».
« Le bon temps ! », diraient certains.
Et même dans le contentieux pénal, le juge des enfants (JE) était présenté comme le meilleur défenseur de l’enfant. Ne devait-il pas privilégier les mesures éducatives ? À preuve, avant l’instauration du juge à la liberté et à la détention (JLD), pour obtenir le mandat de dépôt recherché, le parquet le contournait en saisissant un juge d’instruction perçu a priori comme étant plus sensible à l’ordre public. Le JE était présenté comme un « bon juge », plus investi dans le social que dans le juridique. Encore aujourd’hui les JE sont tenus pour être laxistes.
A défaut du juge, l’éducateur était aussi un bon défenseur de l’enfant.
On comprend dès lors qu’il ait fallu attendre 1993 – hier – pour que l’avocat soit obligatoire dans tous les lieux de la procédure pénale notamment dans le cabinet du juge des enfants. Comment le juge des enfants serait-il être dangereux dans son cabinet quand il ne pouvait prononcer que des mesures éducatives ? C’était d’ailleurs le raisonnement du Conseil constitutionnel quand en 2011 il prit l’initiative d’affirmer que le juge des enfants se devait d’être impartial.
Celui qui avait instruit et renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour enfants ne pouvait pas présider l’audience. En revanche le même juge ayant instruit pouvait juger en cabinet où il prononcerait éventuellement une mesure éducative puisqu’à l’époque aucune peine ne pouvait être prononcée en cabinet.[2] Bref pour les « Sages », la partialité ou l’impartialité du juge découlait de la sanction possible !
Un raisonnement qui avait de quoi dérouter un étudiant de 2° année de licence ! En tout cas révélateur. On n’avait rien à craindre du juge des enfants en cabinet… à part d’être tenu à tort pour coupable, d’être confié à une institution ou tout simplement d’avoir une mention sur son casier judiciaire. Autant de décisions dont on ne percevait pas la portée réelle.
Petit à petit, nous nous sommes collectivement convaincus que les décisions des juges des enfants pouvaient faire grief. Et de ce que quitte à parler de justice il fallait réunir les garanties de l’intervention judicaire : le contradictoire, la défense, les recours, etc. Une justice particulière certes, mais fondamentalement une justice !
Des garanties procédurales s’imposent par-delà qualité de magistrat spécialisé comme le disait ab initio le Conseil constitutionnel de 2002 avant baisser la garde dans une approche plus politicienne dans sa perception d’une justice dédiée en n’exigeant plus cette spécialisation du juge.
Or, de facto, cette justice prenait bien des aises avec le cadre judiciaire au nom de son objectif social. La fin ne justifiait-elle pas les moyens ? C‘est ce qui a été le ressort de la commission Deschamps en 2002 et du décret du 15 mai 2002 avec l’objectif affiché de rejudiciariser la procédure d’assistance éducative, notamment en rappelant ses deux phases, celle de l’instruction et celle du jugement avec le souci que se noue réellement le contradictoire, du moins qu’on y tendre en facilitant l’accès au dossier avant toute audience (sans pour autant aller se mettre totalement en conformité avec la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme).
Faut-il souligner que loi de février 2022 est venue dire formellement que le juge des enfants se devait de recevoir personnellement et individuellement tout enfant discernant avant une décision grave ? Preuve que tous les magistrats ne le faisaient pas. Constat déroutant. Qu’adviendra-t-il demain de cet ordre de la loi ?
Nous avons singulièrement avancé dans les garanties apportées aux enfants ; sinon aux parents, mais au risque, excès inverse, de glisser de la judiciarisation de cette justice à une certaine juridicisation classique où on traite un dossier comme un autre plus qu’à prendre en charge une jeune personne pour transformer le cours de sa vie. On quitte la posture de Saint-Louis sous son chêne, en référence au droit formel.
Le témoignage d’Alice Grünewald, présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse (AFMJF) sur « le ballet des robes noires au Québec » avec des avocats admettant n’avoir jamais rencontré physiquement leur client est une caricature extraordinaire de ce qui nous menace quand insensiblement nous nous engageons vers un formalisme judiciaire qui estompe la dimension sociale tant en assistance éducative qu’au pénal.
Pour le juge des enfants, l’enjeu 1912 – création du tribunal pour enfants – rectifié 1945 – instauration du juge des enfants au pénal – et 1958 – extension de ses compétences à l’assistance éducative – est, avec les travailleurs sociaux, de travailler la situation. Il ne s’agit pas de se contenter de distribuer des responsabilités sur l’enfant, mais de faire en sorte qu’un enfant délinquant un jour ne le soit pas toujours ; qu’un enfant en danger un jour ne le demeure pas. Sa vie doit changer.
Au risque de surprendre je dirai que cette justice est investie en quelque sorte d’une obligation de résultat par rapport à la justifie classique puisque la loi lui donne le pouvoir ; y compris proprio motu ; de revenir sur ses décisions si la situation du jeune elle-même évolue. En d’autres termes elle ne doit pas se contenter de mandater une équipe éducative, mais de s’attacher à ce que génère cette intervention et éventuellement de la corriger.
À la différence du droit pénal des adultes, il faut même revendiquer la partialité du juge au sens où il est bien qu’il connaisse le jeune qu’il juge car au passage il garantit au jeune une cohérence dans la démarche qui rappelons-le est fondamentalement éducative, cohérence dont il a souvent été privé. Oui, cette justice est spécifique et doit le demeurer !
La tendance lourde à la nord-américaine ou à l’anglo-nordique ne va pas dans ce sens. Au contraire elle conduit à donner un mandat global à l’administration sociale après un sévère débat judicaire quitte à le cantonner dans le temps. Certains en rêvent ici. La loi de 2022 y pousse avec la possibilité de mobiliser plusieurs juges des enfants en une juridiction collégiale ou le fait d’habiliter l’aude sociale à l’enfance (ASE) à exercer plusieurs actes majeurs relevant de l’autorité parentale sans l’accord des parents (art. 375-7 C. civ.).
J’ajouterai que le besoin de défense ne se joue pas en protection de l’enfance dans le seul champ judiciaire.
Ce serait déjà une erreur que d’oublier la place majeure que tient la protection administrative. Comme nous le disions à travers la loi du 6 juin 1984 toute personne dans ses rapports avec l’administration sociale doit pouvoir être accompagnée de la personne de son choix. Il est clair que les services sociaux vivent mal qu’un parent ou un enfant puisse être accompagné d’un avocat comme les enseignants vivent mal la présence d’un avocat dans leurs procédures disciplinaires. Et pourtant c’est un droit majeur que toute personne puisse être assistée d’un avocat dans ce temps où se joue une orientation susceptible de lui faire grief. À l’école comme devant l’ASE. A fortiori si elle n’est pas discernante du fait de la maladie ou de l’âge.
Mais déjà qu’entend-on par défense ? De mon point de vue, défense signifie comprendre et se faire comprendre du décideur.
Au risque là-encore de surprendre et de choquer, les avocats n’ont pas le monopole de la défense largo sensu. Un enfant doit pouvoir se faire accompagner dans le cabinet du juge en justice de la personne de son choix : un membre de sa famille, un copain, un enseignant, un éducateur de rue. C’est la personne en qui il a confiance. En revanche, il va de soi que les avocats ont le monopole de la représentation judiciaire avec les garanties qui s’imposent dans ce champ très technique via notamment la formation qu’ils ont reçue et continuent de recevoir.
Comme juge des enfants j’aurais aimé voir plus tôt et plus souvent des avocats dans mon cabinet en assistance éducative quand des questions délicates étaient posées… Par exemple, pour habiliter l’aide sociale à l’enfance (ASE) à donner l’autorisation en lieu et place des parents défaillants, absents ou hostiles par malignité pour qu’une jeune fille puisse accéder à l’IVG qu’elle voulait pouvoir pratiquer. Dans le silence de la loi elle était bloquée. Dans les années 75-70 avec Denis Barthélémy, juge des enfants à Tours, nous avons dû jouer le rôle de l’avocat qui fait une recherche juridique avant de plaider et du juge qui décide étant d’observer que le parquet en l’espèce avait requis de trouver une réponse. Il nous eût été plus aisé et confortable de répondre à des conclusions déposées par un avocat.
De la même manière pour l’accueil et la prise en charge de jeunes étrangers qui se trouvaient non accompagnés en zone d’attente de Roissy où il nous a fallu avec mon collègue Alain Vogelweith, argumenter et convaincre la cour d’appel de Paris que cette zone relevait du contrôle de la justice au nom de l’ordre public. Or la procédure d’assistance éducative est d’ordre public. Le JE pouvait en extraire des enfants qu’il tenait pour être en danger.
Où était à l’époque les barreaux ? Le besoin de droit n’était pas vécu comme aujourd’hui. Force est d’observer si on est honnête que les juges de leur côté négligeaient d’informer les enfants, comme leur demandait le code de procédure civile, de leurs droits d’être assistés d’un avocat. Ils violaient la loi.
Nous nous sommes réjouis de la mobilisation enclenchée par M° Stéphane Ambry de créer le Centre de recherche et d’information du Barreau bordelais – le « CRI du BB » – et à Lille par M° Jean-Louis Brochen, précurseurs dans les années 75 de la prise en compte du besoin de défense des enfants en justice.
Les antennes pour mineurs dans les tribunaux se sont multipliées au point de déboucher comme nous y appelions sur des Assises sur la défense des mineurs, malheureusement aujourd’hui abandonnées.
Concrètement, 80 barreaux en lien avec les tribunaux pour enfants travaillent aujourd’hui à la généralisation de la défense des enfants en assistance éducative dans et par-delà le cadre de la loi de 2022. On attend avec intérêt le bilan qui pourra en être dressé. La rémunération des avocats a été améliorée ; la formation puis la certification introduite. Bref, à pas comptés certes, on avance.
On s’en réjouira en relevant, ce qui n’a pas été dit, que l’avocat spécialisé dispose d’un atout majeur par rapport au juge dont je peux témoigner : « Il va en prendre pour 10 ou 30 ans » sur son territoire quand le juge des enfants ne fera que passer en moyenne 2 ou 3 ans. Dès lors cet avocat a une possibilité de connaître manière très finement les dispositifs territoriaux et de les mobiliser.
Défendre c’est d’abord décrypter une situation pour éventuellement lui en donner une autre lecture que policière ou sociale qui lui aura été initialement donnée, mais c’est aussi la capacité de proposer au juge des alternatives aux réponses qui lui sont préconisées. L’avocat spécialiste connaissant son ressort disposera d’une boite à outils qui complètera les pistes que lui ouvrent les codes.
Sans aller jusque-là, comme juge je peux encore témoigner que l’avocat même taisant à l’audience remplit une mission essentielle : éviter à la justice d’être dans la toute-puissance et de déraper.
Pour une raison toute simple : le juge sait que l’avocat participant de la même classe sociale, en tout cas d’une culture commune, est non seulement capable de décrypter tous ses propos et ses gestes, avec leurs éventuels implicites et donc de comprendre les mauvais coups éventuels, mais il est encore susceptible de restituer à l’extérieur ce qu’il aura vu, entendu et perçu lors de l’audience. Sans nécessairement violer un quelconque secret il pourra faire la réputation du juge.
L’avocat par sa seule présence peut donc contrôler le juge et défendre son client. J’admets que ce rempart touche ses limites, mais il est réel.
Classiquement l’avocat n’est pas un briseur de consensus comme on le présente trop fréquemment ; il introduit une saine dialectique dans l’approche des situations. La défense des libertés se joue dans ces dialectiques parquet/siège, juge/avocat, social/judiciaire etc.
Certes la première ligne de défense demeure dans le respect des formes procédurales par le juge et ce dans l’esprit de la loi. Et déjà dans l’accès aux « reproches » avancés. Personnellement, avant 2002, il m’est arrivé de remettre dans la salle d’attente le dossier papier d’assistante éducative à des parents avant l’audience pour s’y préparer.
Dans chaque affaire civile le juge doit apprécier la meilleure manière de faciliter à chacun son expression en le protégeant des pressions directes ou indirectes des autres membres de la famille. Parfois il lui revient de remettre des services sociaux à leur place quand ils sont tentés de négliger le cadre judiciaire et ses règles … et de pratiquer comme dans leur bureau, éclairant au passage sans le réaliser la lanterne du juge. Surtout il lui faut donner de l’espoir aux uns et aux autres, parent(s) comme enfants : dans la justice des mineurs rien n’est jamais définitif ! Et pour cause. On l’a dit : outre les révisions programmées le juge peut revoir sa décision d’une heure à l’autre, parfois proprio motu. Une erreur peut se rattraper ou tout simplement être reprise une mesure qui ne génère pas ce qui était attendu.
Si on s’accorde sur les limites du recours à la procédure d’appel qui généralement confirme le juge après un délai tel que la mesure est dépassée on retiendra aussi que ce juge, qualifié de tout puissant, est sous le regard non seulement des principaux concernés, mais de son greffier, du parquet ou d’avocat(s).
Reste l’essentiel : lui offrir des alternatives pour interpréter les faits allégués ; des alternatives aux réponses proposées par ceux qui signalent les faits.
Implicitement et explicitement la question de la défense est complexe. Déjà qui convient-il défendre ?
On n’a pas manqué d’identifier des bénéficiaires.
L’enfant bien évidemment. Au pénal, mais aussi au civil. Et cela a été dit, l’avocat des parents ne peut pas être celui de l’enfant car il peut y avoir un conflit d’intérêts. Ce risque de conflit d’intérêt interdit de même que les parents choisissent l’avocat de l’enfant. Ce choix appartient à l’enfant ou s’il ne connait pas d’avocat, au bâtonnier de l’Ordre des avocats.
Les parents : on est dans une procédure instituée dans le chapitre sur l’autorité parentale et qualifiée d’assistance éducative. Le juge des enfants n’est pas un juge d’instruction ou un juge correctionnel devant lequel on répond d’avoir violé la loi pénale. Reste que l’aide apportée ou censée l’être ne va pas sans contrainte voire sans menace
Et les services sociaux eux-mêmes qui peuvent se trouver on l’a vu en situation d’être sévèrement mis en cause pour leurs préconisations pour leurs analyses mais encore pour la mise en œuvre des mesures qui ont pu leur être confiées doivent pouvoir se défendre voire contester la décision. Ils sont fréquemment représentés par un avocat. Encore une illustration de cette juridicisation qui inquiète.
Cette charge contre les services sociaux peut être sévère [3]au risque parfois d’être carrément injuste. Mais observons que les services sociaux donnent de verges pour être fouettés. Par exemple, quand régulièrement les rapports n’arrivent pas à temps ou encore en rendant difficiles les relations des enfants avec leurs parents par-delà la décision de justice.
L’ASE peut effectivement piétiner les droits des parents, ne pas répondre aux besoins des enfants, se tromper en toute bonne foi ; faire au moins mal avec les moyens mobilisables, ou mettre même en danger ou en tout cas ne pas protéger l’enfant accueilli comme lorsqu’on l’abandonne à son sort dans un hôtel en se contentant de lui offrir le gîte et la nourriture quand il était à la rue. Que dire encore des assistants familiaux qui peuvent s’avérer dangereux ?
À tort ou à raison parfois on charge les services sociaux de tous les péchés d’Israël. Encore tout récemment quand devant l’Assemblée nationale des anciens de l’ASE brandissaient des photos de jeunes décédés le temps de leur prise en charge par l’ASE laissant à penser que ses services étaient mortifères sinon qu’ils voulaient la mort de ces jeunes. Posture à mes yeux scandaleuse et reprise en liminaire en 2024 des propositions de loi par LFI et le RN visant à créer des commissions d’enquête.
Même s’il est indéniable que des manquements parfois graves ont pu être constatés ; depuis des violences jusqu’à des refus de prises en charge en passant par l’incompétence des intervenants et des pesanteurs institutionnelles qui empêchent de faire du sur-mesure !
Il ne s’agit donc pas de nier les difficultés. Une commission parlementaire sur les manquements de la protection de l’enfance a d’ailleurs été mise en place à l’Assemblée nationale avec Isabelle Santiago qui en était à l’initiative comme rapporteure [4]. Elle devait rendre ses travaux au début de l’automne. La dissolution de juin 2024 en a brisé net l’élan. On verra si ces travaux sont repris et dans quel climat.
Avec ces critiques acerbes on en arrive parfois à oublier combien au quotidien nombre d’enfants et de jeunes, mais aussi de parents tirent le meilleur de l’intervention des services sociaux, combien d’efforts sont développés pour les soutenir au moins mal sans vraiment de reconnaissance sociale sur la qualité de la réponse apportée.
Concrètement, l’ASE s’est vue reconnaître de longue date un droit d’appel par la Cour de cassation faut-il comme le suggère Damien Mulliez en faire une partie au procès ? Je ne crois pas : au nom justement de la crainte de juridicisation que je développais précédemment. Elle n’est pas partie au procès à la différence du parquet ; elle est un prestataire social mobilisé par le juge ; avec ses forces et ses lacunes. Elle est en droit d’avoir un point de vue, mais elle n’est pas membre de la famille. Elle n’a pas d’intérêt propre. Et il est important de ne pas alimenter le discours de ceux qui affirment le contraire. Par exemple en avançant que l’aide sociale à l’enfance gagne de l’argent à empêcher le retour en famille. Point-barre !
Défendre, mais en quels lieux ?
La justice des mineurs et protéiforme.
Bien évidemment le tribunal pour enfants intervient pour les mineurs en conflit avec la loi. Il faut donc plus que jamais garantir dans l’instant et dans la durée des avocats spécialisés avec la recherche du « Un mineur, un avocat » – projet plus difficile techniquement à gérer qu’on le croit. Ne fut-ce que parce que chacun à son agenda et que le jeune néglige celui de son avocat. Les JE aussi dixit nombre d’avocats ! Malheureusement.
La présence d’un défenseur s’impose pour les mineurs mis en cause devant le juge pour enfants, le JLD, le juge instruction, a fortiori devant le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs.
Le parquet
Plus que jamais un lieu s’avère essentiel : le bureau du procureur de la République quand 65% de la délinquance juvénile notamment à travers les classements sous conditions sont traités par lui seul avec l’appui de ses délégués. Qui plus est, avec le Code de justice pénale des mineurs entré en vigueur en septembre 2021 le procureur de la République a dépossédé le juge des enfants de la mission de notifier les charges en matière délictuelle – à l’instar de l’ancienne Procédure de présentation immédiate et de l’actuelle comparution immédiate pour majeurs – et il décide de l’orientation à donner aux affaires.
L’avocat a donc une place dans son cabinet lors des déferements. Je milite pour qu’il soit présent sur les procédures de classement sans suite sous conditions.
Mieux, ce même procureur de la République joue un rôle de plus en plus important en matière d’assistance éducative on l’a vu notamment pour les mineurs non accompagnés où il peut, via une pseudo lettre de cachet, mandater telle institution ou personne physique sur l’ensemble du territoire national pour accueilli un enfant quitte à faire suivre le dossier à la juridiction devenue territorialement compétente.
Le parquet avait déjà des responsabilités majeures dans les procès des assistances éducative. Rappelons qu’il a le même pouvoir que les juges des enfants en l’absence de celui-ci et en cas d’urgence. Il a redécouvert ce pouvoir à l’occasion les réponses à apporter aux jeunes personnes étrangères qui se présentaient comme isolées sur le territoire national. Pour faire face aux interventions jugées hiératiques des juges des enfants, la Chancellerie a repris en main ce dossier. Au point où désormais, à titre principal, l’entrée des mineurs étrangers isolés dans le dispositif ne se fait plus à partir du cabinet du juge pour enfants, mais du procureur. Le juge est appelé éventuellement en appel des refus d’intervention du Parquet.
Le parquet doit donner son avis avant les audiences du jugement et rien ne l’empêche d’y assister.
Je reviendrai plus loin sur cette mission essentielle où se joue le besoin de défense qu’est la surveillance de la frontière entre la protection administrative et la protection judiciaire pour éviter de judiciariser à outrance, à supposer que la judiciarisation soit un danger ! Dans beaucoup de pays on souhaiterait que les magistrats soient plus présents qu’ils ne le sont pour éviter la toute puissance administrative.
On retiendra qu’avec ses bases de données informatisées et nationales le parquet joue un rôle essentiel de la protection de l’enfance au carrefour de toutes les procédures civiles ou pénales le concernant, comme auteur ou victime ; sans compter le rôle du parquet sur le statut civil de l’enfant (actes de naissance, prénom, filiation etc.). Il y a donc là un besoin réel de défense.
Le juge aux affaires familiales (JAF)
Il ne faudrait pas oublier le rôle majeur du JAF qui est depuis 1993 le grand juge de la famille ; en tout cas, il est le juge de droit commun de la famille et donc de l’enfant. Le juge des enfants est un juge d’exception. Concrètement, le JAF dit la loi applicable dans la famille, avec ses interventions en matière de filiation de délégation d’autorité parentale ou de tutelle, la protection des biens et les personnes et de la personne de l’enfant ; bien évidemment il interviendra en cas de conflit parental que le couple soit marié ou non au pour distribuer l’exercice de l’autorité parentale
La question première qui se pose de plus en plus fréquemment et explicitement est de veiller à l’articulation entre ces différentes interventions civiles ou pénales de toutes ces juridictions afin de garantir une cohérence pour les principaux intéressés. Illustration moderne avec le dossier des violences intrafamiliales qui concerne les deux chaînes judiciaires, civiles et pénales.
Le gouvernement a fait un bon choix en refusant de créer une juridiction des violences intrafamiliales un temps avancée à l’instar de la réponse espagnole. Il a privilégié la création de pôles spécialisés sous l’animation du procureur et du président du tribunal judiciaire. Ces pôles auront le souci de la cohérence les interventions, mais iront-ils jusqu’à rechercher une cohérence des interventions dans chacune des situations précises ? La circulaire Dupont-Moretti ne va pas jusque-là. Sans doute doit-on le regretter, mais si tel était le cas les avocats concernés devraient s’y joindre sur le dossier les concernant.
Défendre certes, mais comment ?
Chaque contentieux sa technique.
Contrairement à ce qui peut parfois être véhiculé ces différentes instances judiciaires ne sont pas redondantes. Le juge des enfants et le JAF ne traitent pas la situation familiale sous le même angle. Cela appelle donc tout logiquement à des postures de défense différentes.
- Devant le JAF il s’agit de dire en droit : qui a et qui exerce les responsabilités parentales ? A priori sans être figée la décision est appelée à être pérenne. On est dans un contentieux privé sur lequel à distance certes le procureur a un regard mais dont le dossier est nourri des pièces apportées par les intéressés.
- Devant le juge des enfants, avec l’assistance éducative, l’enjeu est de construire une réponse aux besoins de protection de l’enfant ; le statut juridique de l’enfant importe peu. On est sur une procédure ure publique ; le dossier appartient au greffier et il se nourrit des documents réunis par le procureur et le juge des enfants.
On n’oubliera pas que la procédure du JE qui est d’ordre public l‘emporte sur celle du JAF dès lors qu’il y a des faits de danger.
Il est plus compliqué qu’on ne le croit d’articuler ces deux interventions. Pour autant au quotidien, avec pragmatisme les juges y parviennent.
On voit très souvent les avocats des parents, peut-être peu familiers de cette juridiction, plaider devant le juge des enfants comme ils le font devant le juge des affaires familiales négligeant totalement la spécificité de cette procédure.
Conclusion : le besoin de formation est évident de façon à permettre aux avocats de tenir leur place devant les juridictions civiles comme pénales sans oublier le procureur. Il s’agit toujours des avocats des parents, souvent pénalistes ou exclusivement avocats en droit de la famille. Rien n’empêche les parents de faire choix d’un fiscaliste s’ils le souhaitent. On ne peut pas lui imposer une formation…
Défendre mais sur quels points ?
Bien évidemment déjà sur les faits allégués et leur interprétation, mais aussi sur le respect du formalisme des procédures autant celles d’assistance éducative que pénales.
On peut relever nombre de points de vigilance sur le respect les règles du jeu judiciaire applicables : la garde à vue et la retenue, la question du discernement ; les conditions du contrôle judiciaire et de sa révocation, la responsabilité pénale et bien sûr la responsabilité civile des mineurs comme celle des parents.
J’insisterai sur un autre aspect que je qualifierai de qualitatif devant cette justice qui se veut sociale : tant en matière pénale que civile l’enjeu par-delà le moment présent est de former un projet pour l’enfant, et donc son droit réel à protection.
L’avocat doit y participer, pour garantir par-delà l’aspect formel la garantie des droits réels à protection et éducation des enfants et pour permettre aux parents d’exercer pleinement leur responsabilité, dans l’intérêt des enfants dès lors que l’enjeu est de garantir un adulte responsable à chaque enfant.
Il s’agit de veiller à ce que par-delà le moment présent, qui appelle parfois des mesures coercitives, les magistrats du siège et du parquet aient le souci du devenir de l’enfant.
J’ai encore souvenir de situations dans lesquelles des avocats ont joué ce rôle devant moi plusieurs années durant pour permettre au final à ce que l’enfant retrouve sa place auprès des siens, les conditions non réunies initialement ayant finalement été réunies et l’avocat n’y étant pas pour rien.
Encore plus concrètement l’avocat doit vérifier avec le juge si le document qualifié de « projet pour l’enfant » prévu par la loi du 5 mars 2007 rectifié par la loi du 14 mars 2016 a réellement été élaboré et comment il se déroule, voire soit adapté à l’évolution de la situation.
L’avocat se doit de vérifier si le président du Conseil départemental (CD) a apporté la preuve que non seulement l’enfant est en danger, que les parents s’opposent aux mesures proposées pour mettre fin, mais que tout a été entrepris par ses services pour faire cesser cette situation. A défaut de ce troisième élément désormais explicitement exigé le juge, comblant la défaillance du parquet, doit renvoyer l’ASE à agir avant de le saisir. L’enjeu est de réduire la judiciarisation.
Une autre obligation formelle découlant de la loi du 7 février 2022 est essentielle et peut contribuer – pas moins ! – à changer le cours de la protection de l’enfance : avant d’envisager de prendre toute décision d’accueil physique, le juge doit vérifier qu’aucune réponse familiale et de proximité n’est mobilisable. L’ASE qui le plus souvent sollicite la mesure doit apporter la preuve de cette carence au dossier.
Bien évidemment classiquement l’avocat ne manquera pas de soulever en tant que de besoin l’absence de greffier à l’audience quand la loi le rend obligatoire.
Et les barreaux dans leur réunion la concertation avec les magistrats auront le souci de les amener à motiver leur décision tant celles du Parquet que du siège
Etc. On multiplierait les pistes sur lesquelles il faudrait travailler.
Aux cours d’appel et à la Cour de cassation sollicitées de décider de la nullité attachée à ces vices de procédure.
Défendre et consacrer de nouveaux droits
Pour moi, par-delà la reconnaissance des droits consacrés par la loi pour l’enfant et les parents et le respect des règles de procédures, l’enjeu de la présence des avocats est de contribuer reconnaître de nouveaux droits aux enfants. Hier sur l’accès à l’IVG (étant observé que depuis notre jurisprudence est devenue la loi de 2001) ; demain sur d’autres points de nouvelles avancées sont possibles.
Je pense à la reconnaissance de la liberté de conscience et de religion devant certaines pratiques familiales d’une extrême violence et en tout cas intrusives de manière excessive au regard de l’article 15 de la CIDE. Je pense encore aux atteintes à l’intégrité physique des enfants comme l’excision et la circoncision que bien évidemment on ne doit pas confondre dans leurs effets, mais qui ont pour point commun de porter atteinte à l’intégrité physique d’un enfant au nom du marquage sur son corps de de son appartenance à une communauté. J’ai été à deux doigts de prendre une décision de cette nature.
Bref, cette justice comme toutes les autres justices contribue à promouvoir une amélioration du statut réel et quotidien des enfants.
Nombre de pistes passionnantes, riches en perspective, sont ouvertes.
Ainsi la démarche tendant la généralisation de l’avocat de l’enfant en matière d’assistance éducative par-delà les termes de la loi du 7 février 2022.
J’entends et je comprends le pragmatisme au regard des moyens disponibles et des exigences déontologiques et éthiques de la démarche restituée de tel barreau calé finalement sur la loi pénale qui tient a priori l’enfant pour discernant à 13 ans.
Reste que l’enfant non discernant peut, plus que tout autre, avoir besoin d’être spécialement défendu. Ne faudrait-il pas qu’à l’instar de ce qui existe dans la loi pour l’administrateur ad hoc, il soit dit que dès lors qu’un des intervenants à la procédure repère un besoin de défense – parquet, juge, service social – un avocat soit désigné automatiquement ? J’y invite.
L’occasion m’est donnée de relever que dans ces réflexions sur la défense je suis surpris de ne jamais voir mentionné le parquet comme si ce magistrat n’avait aucun rôle à jouer pour la défense des droits et libertés tant des parents que des enfants. Il doit s’en soucier même s’il est d’abord en charge de l’ordre public. Pour l’enfant il doit désigner un administrateur ad hoc.
Une piste passionnante est soulevée par le Pr Philippe Bonfils : exploiter la référence à l’intérêt supérieur de l’enfant – art. 3 de la CIDE – consacré désormais comme l’un des piliers du Code de justice pénale des mineurs (CJPM) en particulier et reconnu en général par le Conseil d’État comme étant d’application directe, donc pouvant être invoquée par les juridictions.
L’illustration qu’il avance est simple et passionnante : il est de l’intérêt de l’enfant de se voir tenu pour ayant moins de 16 ans afin de ne pas perdre le bénéfice de l’excuse atténuante de minorité, surtout avec les annonces qui ont été faites par le président de la République et le RN ! Le doute doit lui profiter. Il y va de son intérêt, lequel est supérieur.
Je me permettrai encore d’avancer quelques points de vigilance pour les avocats des parents ou d’enfants :
- L’examen par le parquet, mais ensuite par le juge des enfants de que tout a été fait par le CD pour éviter l’intervention judiciaire (loi du 5 mars 2007) : à défaut pour le CD de rapporter cette preuve le parquet doit refuser de saisir un JE. Dans le registre pénal la vérification que le parquet qui n’envisage pas de poursuites à l’encontre d’un mineur a pour autant l’obligation d’alerter l’institution sociale pour qu’elle vienne en aide à l’enfant mise en cause ;
- L'élaboration d’un projet pour l‘enfant et son suivi (loi 2007 et 2016) ;
- La vaine recherche d’une réponse de proximité (loi 2022) ;
- La limitation dans la durée l’intervention judiciaire et la mobilisation de réponse purement sociale
J’insisterai sur un point majeur : le souci d’engager la responsabilité de l’État ou du président du CD pour non-exercice des mesures éducatives prononcées en rappelant que nous estimons à 6 000 le nombre de mesures d’accueil non exécutées auxquelles s’ajoutent toutes les mesures d’accompagnement à domicile en attente.
Devant le Tribunal administratif où se prolonge l’exercice de la défense comme le relève Damien Mulliez ou devant le juge de l’exécution comme le relevait un avocat ? En tout cas l’enjeu est majeur quand sur le signalement de la plus haute autorité territoriale – le président du Conseil départemental-, avec le relais du procureur de la République qui donne acte au président du Conseil départemental que sur une situation de danger il a touché ses limites et après débat par le juge qui a accepté de prendre une décision particulièrement grave ordonnant le départ de l’enfant de son domicile, la non d’exécution de cette décision discrédite la République.
On doit aussi envisager des plaintes nominales contre le président Conseil départemental pour la mise en danger d’un enfant, délit puni d’une peine de 7 ans d’emprisonnement ou des demandes de
On l’aura vu le questionnement est essentiel par-delà ce qui se fait déjà ou s’expérimente.
Force est bien de constater que le législateur lui-même navigue à vue quitte à se prendre les pieds dans le tapis. Par exemple, en 2016 quand il adopte la procédure de divorce par requête conjointe déposée devant notaire qui finalement porte atteinte au droit de l’enfant à être entendu consacrer de haute lutte en mars 2007. Certes la loi veut que les parents informent l’enfant de leur projet et de la possibilité qu’il a de demander à être entendu par le juge des affaires familiales, mais imagine-t-on beaucoup de parents respecter les termes de cette loi ! Qui va contrôler concrètement l’effectivité de cette information ? En tout cas pas le notaire.
Certes de nombreux points restent en débat. On n'a fait ici que les esquisser, mais l’exercice était déjà délicat d’en cerner les termes pour introduire et alimenter le débat.
[1] Magistrat honoraire, ancien directeur adjoint de la PJJ, lors de la journée d’étude organisée par Lyon III en juin 2024. Les développements qui suivent sont issus de la conclusion provisoire dressée à chaud de ces travaux
[2] Les choses ont changé avec le CJPM qui autorise le JE en cabinet à prononcer des TIG ou encore des confiscations.
[3] Voir mes billets sur jprosen.blog.lemonde.fr
[4] Deux autres propositions de loi avaient aussi été déposées par LFI et le RN
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