La crise sanitaire invite à "repenser la manière de faire le social"
Le Crédoc revient sur les changements observés dans leurs modes d'action des travailleurs sociaux, qualifiés d'"urgentistes de terrain", durant la crise sanitaire. Une crise qui a particulièrement affecté les 18-24 ans. Rappels des chiffres les plus significatifs.
La crise sanitaire a particulièrement affecté les 18-24 ans. Il est fait état d’une hausse de 4% de leur fréquentation des centres alimentaires et de 8% pour les étudiants.
L’enquête du Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) intitulée "Crise sanitaire : quel impact sur les travailleurs sociaux ? "? et réalisée à la demande de l'Institut des vulnérabilités et dépendances, revient sur les changements opérés dans les modalités d'intervention des professionnels de l'action sociale. Cette étude révèle le sentiment d’invisibilité de ces "urgentistes sociaux" ayant su s’adapter et repenser leur action pour accompagner les plus vulnérables notamment les jeunes. « La réappropriation de "l’aller vers", le décloisonnement du sanitaire et du social, les réseaux sociaux comme vecteurs du lien attestent de la capacité d’innovation du travail social et de son rôle incontournable dans la cohésion sociale », notent les auteurs de l'étude.
Concernant notamment le public des jeunes, les réseaux sociaux se sont révélés être un moyen efficace de suivre et de les accompagner à distance. Des mises en réseau, des groupes de parole ont été ainsi initiés par des travailleurs sociaux en recherche de médias idoines pour garder le contact avec les publics. « La crise a ainsi accéléré les mutations d’un accompagnement dématérialisé par nécessité mais dont les limites transparaissent », souligne le Crédoc. L’échange direct demeure toutefois nécessaire pour dénouer les situations les plus complexes, surmonter les barrières de la langue. Lors des périodes de confinement, 39 % des 18-24 ans ont réalisé seuls des démarches administratives en ligne (impôts, CAF, assurance maladie ou Pôle Emploi) et sans rencontrer de difficulté particulière ; soit 16 points de moins que la moyenne de la population. Mais, 64 % seulement des 18-24 ans s’estiment "très" ou "assez" compétents pour réaliser des démarches.
En quarante ans, le taux de pauvreté des moins de 25 ans a été multiplié par deux
En mai 2020, 46 % des 18-24 ans en emploi ont été concernés par du chômage partiel ou technique versus 35 % des 25 ans ou plus. Les jeunes sont plus exposés au risque de pauvreté monétaire que leurs aînés. Ainsi, 12,6 % des 18-29 ans sont pauvres en 2017 contre 8 % en moyenne. « En quarante ans, le taux de pauvreté des moins de 25 ans a été multiplié par deux. Leur précarité économique témoigne de leurs difficultés d’insertion sur le marché du travail et d’accès à un logement autonome dans un contexte où les moins de 25 ans accèdent à l’aide publique dans des conditions restrictives. Ils ont ainsi plus fortement subi le ralentissement de l’activité économique induit par les périodes de confinement », développe l'enquête. Par ailleurs, 20% des 18-24 ans ont eu des difficultés à payer leur loyer en 2021 (vs 13% en moyenne)
Les étudiants ont été confrontés de manière brutale et prolongée au suivi des cours en distanciel. La crise sanitaire a complexifié les possibilités d’apprentissage et démultiplié les risques de décrochage scolaire pour de multiples raisons : absence ou insuffisance d’équipement adapté pour le suivi des cours ; difficultés pour financer des équipements numériques complémentaires ; échanges limités avec enseignants et professeurs ; difficultés accrues pour trouver un stage, une alternance ou un emploi, etc.
Le sentiment de solitude concerne un tiers des jeunes
La sociabilité des jeunes de fait a été très durement éprouvée, à une période de la vie particulièrement importante pour la construction personnelle et du réseau relationnel. Selon l’étude 2021 sur les solitudes, réalisée par le Crédoc pour la Fondation de France, 21 % des 15-30 ans sont en situation d’isolement relationnel (+9 points en un an) et le sentiment de solitude concerne un tiers d’entre eux, soit 12 points de plus qu’en moyenne générale. Durant la crise sanitaire, seuls 46 % des jeunes ont maintenu des contacts réguliers avec leur famille ou leurs amis. L’interruption prolongée de la sociabilité des jeunes a eu des répercussions directes sur leur santé mentale. En février 2021, 31,5 % des 18-24 ans ont déclaré des syndromes dépressifs (contre 12 % en juillet 2021).
Travailler différemment, au plus près des situations des familles
« Les vulnérabilités engendrées par la crise ont mis en lumière le rôle clé des acteurs sociaux dans la préservation des liens avec les plus fragiles et leur accès aux droits. L’investissement des travailleurs sociaux et leur capacité d’innovation plaident en premier lieu pour la reconnaissance de la valeur de cet engagement pour la cohésion sociale. Cette crise invite par ailleurs à repenser la manière de faire le social », considèrent les auteurs de l'étude. Et d'ajouter : « La crise a également été une occasion renouvelée pour ces professionnels de mettre en évidence leur volonté de travailler différemment, au plus près des situations des familles, à distance d’une logique gestionnaire et en collaboration plus étroite avec le sanitaire notamment. Dans la lignée du rapport Piveteau, le souhait est ainsi exprimé "d’un pouvoir d’agir" en lien étroit avec les personnes concernées ».
Les travailleurs sociaux, urgentistes de terrain, Elodie Alberola, Solen Berhuet, Consommation &Modes de vie n°CMV322, avril 2022.