La crèche collective est un mode de garde qui aide à prévenir les difficultés émotionnelles et de comportement des enfants. C’est ce qui ressort d’une analyse d’ampleur menée dans cinq pays européens, dont la France. C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent favoriser et subventionner ce type d’accueil des jeunes enfants.

Quel mode de garde choisir pour ses enfants ? C’est la question que tous les jeunes parents se posent sans trop savoir parfois quelle option privilégier. D’autant que nombre d’entre eux se retrouvent confrontés à une pénurie de places en crèches, même si celles-ci ont augmenté au cours des dernières années pour atteindre plus de 488 000 berceaux fin 2022.

Les dérives des crèches collectives privées font l’actualité. Cela nous rappelle à quel point le mode de garde des enfants avant l’entrée à l’école est un sujet de santé publique, car il peut avoir des répercussions sur le développement cognitif et affectif des enfants.

On rappellera qu’en France, un tiers (36 % exactement, en 2022) des jeunes enfants sont pris en charge dans des établissements collectifs. La majorité des enfants est accueillie soit dans des structures municipales (37 %), soit associatives (21 %)

Faire garder les enfants pour améliorer leurs capacités cognitives

En effet, des travaux scientifiques ont suggéré que, lorsque la structure d’accueil fonctionne correctement, faire garder les jeunes enfants autrement que par leurs parents, est associé sur le moyen terme à l’amélioration de leurs capacités cognitives, ainsi qu’à des interactions positives avec leurs pairs.

Plus spécifiquement, des études ont montré que les services de garde d’enfants, en particulier les crèches, peuvent contribuer à aider les enfants à acquérir des compétences cognitives et linguistiques et à préparer leur réussite scolaire ultérieure, ainsi qu’à réduire la fréquence de difficultés émotionnelles. Les crèches peuvent en effet offrir aux enfants un éventail de possibilités d’apprentissage dont ils ne disposent pas forcément à la maison.

Quel impact à long terme sur le développement émotionnel ?

Néanmoins, toutes ces données demeurent encore limitées. D’abord parce qu’elles ont principalement été produites aux États-Unis et au Canada, et que le contexte de ces pays diffère souvent du contexte européen. Ces résultats ne peuvent donc pas être parfaitement généralisés à d’autres pays.

Ensuite, parce que la qualité des études sur le sujet est variable. Le développement pendant l’enfance n’y est pas toujours défini de manière homogène. Enfin, les études évaluant le devenir des enfants à moyen et long terme sont rares.

Il est ainsi nécessaire de poursuivre les recherches dans le domaine et de continuer à produire des données solides. Celles-ci sont cruciales pour comprendre l’impact à long terme des modes de garde sur le développement émotionnel des enfants, le lien avec l’apparition de symptômes dits « internalisés » (des symptômes émotionnels de type anxiété, dépression, repli sur soi…) et « externalisés » (des difficultés de comportement de type agressivité, difficultés de concentration…), et les éventuels facteurs de protection.

En outre, de tels travaux peuvent fournir aux décideurs politiques des informations précieuses afin d’adapter l’offre de services de garde aux besoins des familles, de manière à accompagner non seulement au développement émotionnel et cognitif de l’enfant mais aussi à garantir l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée des parents.

Une analyse à partir de six cohortes, dans cinq pays européens

Pour répondre à ces enjeux, nous avons conduit une méta-analyse à partir de six cohortes d’enfants dans cinq pays européens (Grande-Bretagne, Espagne, Danemark, Pays-Bas et France), ce qui nous a permis de tester la relation entre les modes de garde des jeunes enfants et leurs symptômes internalisés et externalisés à mesure qu’ils grandissent.

Il s’agit de la première étude de cette ampleur menée en Europe, même si des résultats antérieurs basés sur les données de la cohorte française EDEN montraient déjà que les enfants ayant été accueillis en crèche avant l’entrée à l’école avaient ultérieurement des niveaux plus faibles de difficultés émotionnelles. D’autres recherches basées sur les données de la cohorte ELFE décrivent aussi un bénéfice en termes de développement cognitif et psychomoteur.

Comme les six pays considérés disposent de normes nationales en matière de garde en crèche, cela garantit une plus grande homogénéité des pratiques de garde dans ces structures que dans les études précédentes menées en Amérique du Nord.

À partir de données issues de ces cohortes qui portaient sur le mode de vie et la santé des enfants, nous avons examiné l’impact de la fréquentation d’une crèche, d’un autre type de garde (grands-parents, nounou, assistante maternelle, etc.) ou de la garde parentale pendant la petite enfance sur les symptômes de difficultés émotionnelles et de comportement des enfants, aux âges de 5-6 ans, 7-9 ans et 10-13 ans.

Si notre étude n’a pas fait la distinction entre crèches publiques ou privées, on peut dire que la plupart des enfants considérés ont plutôt fréquenté une crèche publique ou associative sous contrat avec les autorités publiques. Notamment parce que dans certains pays européens inclus dans notre étude, dont le Danemark où vivaient une partie importante des participants, les crèches privées sont très peu nombreuses.

En outre, dans le contexte de notre article, lorsque nous nous intéressons aux crèches, nous réfléchissons plutôt à des paramètres comme l’importance de la qualité de la formation des professionnels, leur nombre, leurs conditions de travail, l’accueil, le programme pédagogique et le suivi des activités pour le bon développement des enfants.

La crèche, une protection contre les difficultés émotionnelles et de comportement ?

Nos analyses montrent que les enfants qui ont fréquenté une crèche entre l’âge de 0 et 4 ans présentaient par la suite des niveaux de difficultés émotionnelles moins importants que ceux qui étaient exclusivement gardés par leurs parents.

En revanche, la fréquentation d’un service de garde « informel » (par un proche par exemple) était associée à des niveaux plus élevés de difficultés émotionnelles et de comportement entre les âges de 7-9 ans et de 10-13 ans. De manière générale, la probabilité de développer ces symptômes était aussi plus élevée chez les enfants dont la mère avec un niveau de diplôme plus faible.

Nos résultats suggèrent que la fréquentation d’une crèche en bas âge peut protéger les enfants contre des difficultés cognitives et émotionnelles ultérieures. Cependant, nous soulignons aussi que la fréquentation de ce type de structure ne semble pas compenser les inégalités socio-économiques en matière de développement cognitif et émotionnel qui apparaissent tôt dans la vie.

En d’autres termes, les enfants qui viennent de milieux socio-économiques défavorisés ont des risques plus élevés de développer des symptômes émotionnels et de comportement, que les autres, et ce quel que soit le mode de garde.

Des structures que les pouvoirs publics doivent favoriser et subventionner

Les modes de garde proposés aux familles permettent aux femmes ayant des enfants en bas âge de mener une activité professionnelle si elles le souhaitent, et, comme le montrent les résultats de notre recherche, présentent des bénéfices pour les enfants en termes de développement psychologique et cognitif.

Les crèches collectives, où les enfants sont accueillis en groupe,sont liées à des bénéfices particulièrement marqués, si les enfants sont pris en charge par des professionnels de la petite enfance formés et présents en nombre suffisant.

Par rapport à d’autres modes de garde, les crèches collectives proposent généralement un accueil relativement standardisé, de qualité, ce qui implique selon nous que ces structures devraient être favorisées et subventionnées par les pouvoirs publics pour permettre aux familles ayant des enfants en bas âge d’avoir une activité professionnelle mais aussi pour favoriser un développement optimal des enfants.

Un accueil qui ne compense pas les inégalités sociales

Pour les enfants grandissant dans des familles ayant une situation sociale défavorisée, l’accueil en crèche est également bénéfique, mais ne permet pas de compenser l’impact de conditions de vie défavorables au développement psychologique et émotionnel.

Afin de réduire les inégalités sociales vis-à-vis des difficultés émotionnelles et de comportement chez les enfants, il pourrait aussi être nécessaire de développer des programmes qui proposent des formes de soutien et de stimulation supplémentaires aux groupes d’enfants qui en ont le plus besoin.

Ce type de programmes existe dans d’autres pays dont la Grande-Bretagne (programme Sure Start) et les États-Unis (programme Head Start) et a montré une certaine efficacité pour réduire les inégalités sociales de développement psychologique et de réussite scolaire chez les enfants.


Maria Melchior, épidémiologiste, Directeur de recherche, Inserm

The Conversation