Billet de Jean-Pierre Rosenczveig, Magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), publié le 19 octobre sur son blog.
Une nouvelle fois avec un reportage télévisé choc diffusé ce dimanche sur M6 la protection de l‘enfance, spécialement l’aide sociale à l’enfance (ASE), se retrouve sur la sellette, vouée à toutes les gémonies. Cette enquête suscite en retour l’ire de ceux qui dénoncent une presse à scandale, spécialiste du procès univoque et habile à surfer sur la douleur en maniant scientisme et images fortes. Elle a déclenché aussi des interpellations croisées entre les différents acteurs chacun étant porté à mettre l’autre en cause pour se défausser.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’ASE fait l’objet de procès publics plus ou moins intentionnés, plus ou moins bien étayés, parfois dépassés, souvent injustes, en tous cas fréquemment excessifs au point d’empêcher de s’attacher au fond des questions qu’elle recouvre. Ainsi jusqu’à la loi du 6 juin 1984 [relative aux droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de la famille et de l'enfance, et au statut des pupilles de l'Etat, ndlr], on pouvait l’accuser d’arbitraire dans la mesure où elle se faisait remettre des enfants qu’elle gardait ensuite par-devers elle. Aujourd’hui, on l’accuse régulièrement de maltraitances de tous genres : de mauvais traitements physiques infligés à des enfants souvent cassés, en souffrance et en grande difficulté relationnelle avec pour objectif de les calmer ou les encadrer, mais bien évidemment de mauvais traitements psychologiques. Mais que dire de ses mauvais choix, qui plus est quand l’orientation est prise par défaut faute de moyens disponibles au regard des besoins identifiés ? Que penser encore de ses négligences à l’égard des enfants prétendument suivis, mais délaissés, quand ce n’est pas de ces renoncements notamment devant la prostitution ou les toxicomanies ? Tout cela est réalité, contestable et condamnable, mais l’ASE ne réduit-elle qu’à cela ?
On reste sur des représentations surannées avec des familles d’accueil présentées comme des émules des Thénardier et de foyers de l’enfance peu éloignés de la Petite Roquette. Des professionnels de l’enfance, en souffrance ou non, n’hésitent pas à véhiculer une mauvaise image de leur institution au-delà les pratiques scandaleuses qu’ils dénoncent à juste titre. Ils ont le sentiment de ne servir à rien. Même des élus en responsabilité succombent à cet autodénigrement sans réaliser ce qu’ils relaient. Nombre en écho à l’opinion jugent le travail social inutile, inefficace et dispendieux.
Les critiques ne sont pas toujours totalement infondées. C’est le moins qu’on puisse dire. Ainsi on ne peut pas nier que 25% des jeunes clochardisés soient passés par l’ASE (ou la PJJ). Comment contester que beaucoup, que trop de décisions de justice ne sont pas exécutées comme le rappellent encore aujourd’hui les professionnels du Nord après les juges des enfants de Bobigny en 2018 suivis alors par quelques 250 collègues quand bien même que ces enfants ont été tenus pour être en danger par la justice que l’ASE a elle-même sollicitée ? On ne lui fait pas de cadeaux. On peut aussi être injuste : on l’accuse régulièrement quand c’est la justice qui devrait supporter le poids de la critique et qu’elle tente de pallier les carences des autres institutions comme d’accueillir nombre d’enfants porteurs de handicap qui ne relèvent pas de sa compétence. Comment une assistante familiale peut-elle accueillir correctement un enfant autiste avec deux ou trois autres enfants ? Que dire de l’impact du sinistre de la pédopsychiatrie qui rejaillit sur l’ASE ? Ajoutons qu’on la tient aujourd’hui pour seule responsable de l’état de santé dégradé et de scolarisation insuffisante des enfants accueillis.
On oublie que l'immensité des enfants de l'ASE trouveront leur place dans la société en rompant avec ce qui était tenu pour du déterminisme social.
Ses bonnes intentions sont souvent négligées ; ses efforts parfois mal compris par les intéressés comme le démontre cette enquête de l’INED de juillet 2021 où les jeunes disent mal vivre le fait qu’on leur assène dès le premier jour qu’on ne pourra pas s’occuper d’eux après leur majorité. Certes les travailleurs sociaux, en professionnels et en adultes responsables ont raison d’insister sur cette dimension temporelle essentielle, mais les jeunes ont le sentiment d’être rejetés dès leur accueil.
Surtout ses réussites sont négligées. Force est pourtant de constater que l’institution Aide sociale à l’enfance moderne évite à nombre d’enfants qui auraient été délaissés par leur parents ou couper de leur famille avec tout le traumatisme de cette séparation le soient. Au temps jadis la machine à déchoir de l’autorité parentale fonctionnait à un plein telle une vraie guillotine sociale : 150 000 enfants pupilles de l’État en 1900 pour seulement 3 000 aujourd’hui alors que la population a triplé depuis. On ne voit que l’ASE qu’à travers les enfants accueillis négligeant qu’une grande partie des enfants suivis vivent chez eux chez leurs parents avec un soutien éducatif ou financier. On oublie aussi que l'immensité des enfants de l'ASE trouveront leur place dans la société en rompant avec ce qui était tenu pour du déterminisme social.
L' ASE moderne est pour quelque chose à la mauvaise image de l’Assistance publique ou la DDASS qui lui colle à la peau ou cette représentation déformée qu’elle donne quand, sous couvert du respect de la vie privée des parents et des enfants, elle refuse de rendre des comptes publics sur son fonctionnement et en ne laissant finalement voir que ses défauts sur des « affaires ».
On peut répondre à certaines critiques en adaptant la loi - encore faudrait-il déjà le plus souvent veiller à son application et en améliorant les pratiques professionnelles. Parfois la loi pousse à faire évoluer ces pratiques comme en 2007 en exigeant (enfin) que soit établi un projet personnalisé pour chaque enfant accueilli, projet préparé avec ses parents et lui-même. Une révolution pour un service centré jusque-là sur la mise à l’abri et l’immédiateté que de devoir se projeter dans l’avenir avec les intéressés. Mais les professionnels n’y avaient pas été préparés.
On pourrait argumenter des heures durant en attaque ou en défense à chaque fois avec une part de vérité. Avec quel effet positif ? Il est grand temps de quitter cette double posture des accusateurs injustes et des défenseurs zélés pour s’attacher aux vrais problèmes. On ne peut plus se contenter de réponses superficielles comme en 2017 de nommer un ministre pour éteindre le feu ou aujourd’hui d’annoncer la multiplication des contrôles comme vient de le faire la secrétaire d’État en charge de l’Enfance : l’enjeu premier n’est pas de mieux contrôler comme la récente loi du 7 février 2022 y invite, mais de prendre les mesures en temps utile pour d’éviter de trouver matière à critiquer !
En vérité le dossier "Protection de l’enfance" est bien plus complexe qu’il y paraît en premier intention.
Ses volets administratif et judiciaire sont certes essentiels, mais la protection familiale est première. Comment faire en sorte que tout enfant soit désiré et dès lors bien accueilli dans sa famille ? Comment soutenir autant que faire se peut ces responsabilités parentales pour protéger et éduquer comme il se doit au regard de nos standards communs modernes ? La place d’un enfant est d’abord dans sa famille. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité de mettre en œuvre cette réponse ou d’échec dans le soutien apporté qu’il faut envisager un départ, voire une rupture, y compris juridique.
Il est ainsi remarquable de voir légiférer (superficiellement parfois) trois fois en 15 ans (2007, 2016, 2022) sur la protection de l’enfance en tournant autour des mêmes sujets sans les aborder de front.
Observons, sans s’y arrêter au demeurant, que les pouvoirs publics demeurent toujours défaillants à identifier clairement les missions de chacun notamment dans les familles dites recomposées : qui et en quoi les adultes présents dans l’univers de l’enfant ont des responsabilités sur lui ? Quelles limites faut-il poser au pouvoir parental qui, pour demeurer arbitraire – liberté des familles oblige -, n’est pas plus absolu. Qui plus est quand on continue à identifier le rapport parents-enfant en termes d’autorité et toujours pas en termes de responsabilités (réciproques sur la durée qui plus est !) alors qu’en cette matière le pouvoir est au service d’une double mission (protéger et éduquer).
Reste que le dispositif de protection l‘enfance, toutes cause confondues (services médico-sociaux, aide sociale à l’enfance, justice des enfants), souffre de dysfonctionnements majeurs ou en tout cas supporte encore des critiques incontournables auxquelles il faut s’attacher au plus tôt.
Cela suppose une démarche cartésienne et rationnelle. Il faut dépasser la réactionnite et le fonctionnement au doigt mouillé qui amènent à godiller au fil des scandales ou des bons sentiments ambiants. Il est ainsi remarquable de voir légiférer (superficiellement parfois) trois fois en 15 ans (2007, 2016, 2022) sur la protection de l’enfance en tournant autour des mêmes sujets sans les aborder de front. Ainsi pour le parcours du jeune en difficulté au sein et hors de l’aide sociale ; encore pour l’accompagnement jusqu’à ses 25-26 ans comme dans toutes les familles de France, âge autour duquel on parle plus de jeunes quand la référence aux 21 ans est désormais obsolète ; de même sur le sort à réserver aux mineurs étrangers isolés sur le territoire national, trop souvent tenus plus comme étrangers que comme enfants, etc.
Pour sourire sur un dossier infiniment sérieux qui concerne la frange la plus fragile de notre société, relevons que quand on tient une bonne disposition on la revote plusieurs fois (ex. le droit des fratries de n’être pas séparées ou la protection due aux salariés qui dénoncent des violences en institution). Parfois on vote le même jour deux textes contradictoires sur le même sujet (ex. le partage d’informations entre professionnels dans les lois du 5 mars 2007). Quand une mesure intéressante adoptée ne se met pas en place on la reprend dans une nouvelle loi pour la réaffirmer sans s’interroger sur les résistances lui ont fait un temps échouer (ex. le projet personnalisé pour l’enfant en 2007 et 2016).
On enfonce des portes ouvertes, sans s’interroger là-encore sur les blocages, comme d’exiger dans la loi du 7 février 2022 que les juges des enfants reçoivent l’enfant sur un projet d’accueil physique ou de reconduction quand cela devrait aller de soi s’agissant d’une mesure qui peut faire grief. Régulièrement on manque de recul – faute de réflexion en profondeur sur les enjeux – comme lorsque on condamne – à échéance deux ans - l’accueil hôtelier auquel ont été contraints les départements devant l’afflux de mesures de confiement émanant de la Justice – donc de l’État - pour des mineurs étrangers isolés qu’ils ne pouvaient pas laisser à la rue. Plutôt que de poser cet interdit sur ce qui somme toute n’est qu’un outil, il eut fallu dire que tout accueil d’un enfant hors du domicile familial et de son autorité devait faire l’objet d’un accompagnement éducatif et social.
Il faudrait aussi ne plus négliger de faire la pédagogie de la loi. Pour ne prendre que cet exemple, on l’a encore oublié en condamnant en 2019 le recours aux châtiments corporels, poliment qualifiés de « violences éducatives ordinaires ».
Certains n’hésitent pas à porter de fausses bonnes-réponses qui par leur ampleur même démontreraient à elles seules qu’elles vont révolutionner le dispositif.
On doit être inquiet de l’état dans lequel se trouvent les services de proximité (santé scolaire, service social scolaire, PMI, prévention spécialisée, voir aujourd’hui pédiatrie, etc.) qui ont pour mission d’étayer les parents dans l’exercice de leurs responsabilités.
Ainsi le projet de recentraliser l’ASE (conf la proposition de loi du Sénateur X. Iacovelli de janvier 2022 qui part de prémices fausses). Comme d’affirmer que par un propos global que les départements ont échoué depuis 1984. Certains peut être, pas tous et en tous points ! Ou encore de laisser à penser que l’État ferait mieux que les départements en négligeant qu’avant décentralisation les DDASS supportaient déjà nombreuses de critiques. Il n’y pas eu un âge d’or qu’il faudrait retrouver. Comment imaginer que l’État, incapable aujourd’hui de tenir les fonctions minimales qui sont les siennes, pourrait mieux gérer le tout demain ? L’erreur majeure porte sur la méconnaissance de ce qu’était en l’espèce le processus décentralisateur : il n’emportait pas démission de l’État. On met sur le dos de la décentralisation l’inégalité des politiques quand justement elle visait à des politiques enfin adaptées aux territoires donc par définition inégales, pour tendre au respect des droits fondamentaux de chacun. L’État devait ici jouer un rôle majeur de régulateur et d’incitateur qu’il a négligé d’entrée de jeu de tenir et qu’il ne fait que de redécouvrir après s’être privé entre-temps du bras administratif territorial qui lui était nécessaire.
L’important n’est pas de jouer à la patate chaude, mais de faire en sorte que chacun assume ses responsabilités, ce qui implique déjà qu’elles soient identifiées et rappelées. Si on partage l’enjeu, l’aide sociale à l’enfance n’est pas une fonction régalienne relevant de l’État comme on peut l’entendre affirmé. Pourquoi le handicap ou l’accompagnement de nos anciens ne seraient pas des missions régaliennes ? En revanche l’État à un rôle à tenir au nom de l’ordre public et de ses engagements internationaux. Et pour animer l’Etat se doit de redevenir crédible en exerçant ses propres missions.
Pour éviter ces affrontements stériles, ces incantations ou encore ces fausses bonnes idées une démarche rationnelle s’impose qui associe l’État, les départements et les associations gestionnaires. Il est grand temps de s’y engager.
D’abord faire un état des lieux le plus objectif possible – ce qu’amènera déjà à s’interroger sur les objectifs que l’on peut, que l’on doit s’assigner. Par exemple on doit être inquiet de l’état dans lequel se trouvent les services de proximité (santé scolaire, service social scolaire, PMI [protection Maternelle et infantile], prévention spécialisée, voir aujourd’hui pédiatrie, etc.) qui ont pour mission d’étayer les parents dans l’exercice de leurs responsabilités, de repérer ou de venir en aide en première intention aux enfants et aux jeunes en difficulté, et par-delà à toute la famille. Les départements et l’État ont chacun des responsabilités. Le point commun est que tous ces services sont actuellement au rouge par manque de moyens. État et départements ont pourtant intérêt – financier, sécuritaire, social - à ce que les situations ne se dégradent pas.
Ce diagnostic devra être rendu public pour couper court aux faux procès et identifier les grands sujets à traiter sur des bases objectives.
Il est déjà acquis qu’on fera le constat de mieux articuler les rôles dans chacune des sphères (entre parents, beaux-parents et grands-parents dans l’espace familial, entre État et collectivités territoriales dans l’espace public), mais entre elles tant au plan national que territorial.
Il va falloir redonner envie à nombre de professionnels aujourd’hui désabusés, surtout après le Grenelle qui les a ignorés, mais aussi envie à ceux qui entendaient s’investir, être acteurs d’une cause noble avec des résultats humains forts à la clé, mais y renoncent.
Se posent également des problèmes majeurs et transversaux. On ne peut se contenter de faire la loi en négligeant les conditions à réunir pour l’appliquer. Comment imaginer qu’un éducateur de la PJJ puisse suivre réellement 25 mesures judiciaires ou certains éducateurs de services de milieu ouvert 40 situations ? Tous le disent, la protection de l’enfance - et les métiers du lien - manque d’acteurs, qui plus est d’intervenants qualifiés. Devant ces carences actuellement on prend le risque d’une dégradation des prestations apportées en autorisant l’appel massif à des personnels non formés à hauteur et diplômés ! Politique à courte vue qui ne peut déboucher que sur une baisse de la qualité des prestations servies, donc d’alimenter encore les critiques.
On ne peut plus ignorer l’acuité de la crise actuelle des ressources humaines dans le social avec les départs et les difficultés à recruter. Le problème est budgétaire, mais pas seulement. Trop de postes ne sont pas pourvus. Il va falloir redonner envie à nombre de professionnels aujourd’hui désabusés, surtout après le Grenelle qui les a ignorés, mais aussi envie à ceux qui entendaient s’investir, être acteurs d’une cause noble avec des résultats humains forts à la clé, mais y renoncent. Il faut encore une démarche pro-active pour mobiliser de nouvelles compétences. Plus de prendre une profession il faut les convaincre que s’agit plus que jamais d’un engagement, mais cet engagement doit désormais être reconnu dans tous les sens du terme à défaut il s’épuisera. Il faut encore s’attacher à des formations initiales et complémentaires de qualité s’appuyant sur une démarche pluridisciplinaire. Ainsi il ne suffira pas de revaloriser le statut des assistants familiaux pour faire face aux départs actuels et à venir et aux difficultés de recrutement - quitte à ce que l’État assume l’impact de sa loi du 7 février 2022-, mais il faut les intégrer réellement dans les équipes sociales … ce qui était déjà visé en 1984.
Dans cet inventaire un regard très spécial devra porter sur le sort des enfants ultra-marins qui vivent dans des poudrières et ne pas se priver d’une approche internationale. Pourquoi, toutes proportions gardées, avons-nous plus d’enfants accueillis physiquement qu’en Allemagne ?
Un budget consolidé devrait être enfin dressé ne fusse que pour répondre au Comité des experts de l’ONU et évaluer la part du PIB que nous investissons.
La tâche proposée est certes délicate. D’autant qu’on ne doit pas négliger nos faiblesses sur le terrain du diagnostic. Nous disposons de peu de données chiffrées exploitables, les études et la recherche sont balbutiantes, on ne dispose guère d’études longitudinales qualitatives sur la durée. Pour autant au regard de notre développement social, de la longue histoire de nos institutions, de nos compétences, des moyens mobilisés comme 6ème puissance économique du monde, comment douter que nous disposions des outils nécessaires ?
La société civile devra être impliquée dans cette réflexion : la protection de l’enfance est un enjeu de justice sociale majeur.
Si l’intention politique est là nous avons des atouts institutionnels pour mener cette démarche à bon port avec une secrétaire d’État à l’Enfance placée auprès de la Première ministre - une première dans l’histoire de France -, une récente délégation parlementaire adoptée en consensus, des associations gestionnaires fortement impliquées sur cette mission de service public, un Conseil national de la protection de l’enfance rénové, un GIP France Enfance Protégée qui, à partir du 1erjanvier 2023 devrait contribuer à une dynamique vertueuse en suscitant des études, en appelant à plus de recherches, en apportant son soutien à l’État et aux collectivité territoriales dans leurs politiques.
Une commission ad hoc, un mandat parlementaire, pourquoi pas une initiative totalement privée et indépendante, etc., toutes les formules peuvent être utilisées si on le décide pour mener cette tâche d’inventaire honnête, objectif et critique.
Dans un deuxième temps une conférence de consensus s’imposera entre ces trois grands acteurs de la politique de protection de l’enfance avec certes la mobilisation d’expertises professionnelles, mais encore en associant les principaux intéressés, les parents et les enfants bénéficiaires actuels ou passés de l’ASE. La société civile devra aussi être impliquée dans cette réflexion : la protection de l’enfance est un enjeu de justice sociale majeur. Mais aussi parce que tout ne passe pas par la loi et les institutions : les mentalités doivent évoluer encore.
A preuve, le travail sur les violences sexuelles à enfants notamment l’inceste qui arrive à échéance. On a pris conscience récemment non pas du phénomène, mais de son ampleur et surtout de l’impact de ces violences sur l’itinéraire de vie des victimes. Il ne suffira pas d’énoncer des nouvelles mesures pour rendre justice aux victimes : l’enjeu est de faire que demain il n’y ait plus autant de victimes quand 5,5 millions de français revendiquent d’avoir été violentés sexuellement le temps de leur enfance. C’est donc bien avec le tréfond de notre société qu’un contrat de respect de la personne humaine devra être passé pour n’être plus tenté d’aller vers ce type de comportement ou de le cautionner plus ou moins implicitement.
Des engagements publics devront être pris. L’opinion sera juge de leur exécution si réellement elle s’intéresse à ce sujet en dehors des scandales et du sang. Et bien évidemment il faudra prendre date pour vérifier régulièrement s’ils ont été tenus et les adapter en conséquence. Avec une démarche politique de cette nature on devrait sortir des invectives et des procès d’intention faciles qui d’aucune manière ne servent la cause des enfants ; en tous cas ne plus être en défense.
Aura-t-on la maturité d’une telle posture exigeante et responsable ? Il est grand temps de se comporter en adultes responsables sans attendre d’autres dénonciations médiatiques. Saura-t-on au passage se doter d’un corpus réflexif partagé sur ce que doit être la protection de l’enfance et l’action sociale ? On en fait le pari.
Jean-Pierre Rosenczveig