Parmi les dossiers abandonnés à son successeur par le Premier ministre démissionnaire expédiant les affaires courantes, un projet de loi portant sur les responsabilités parentales et à la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs.

Jean-Pierre Rosenczveig est magistrat honoraire, président d’Espoir-CFDJ et de LaVita, co-président de la commission « enfances familles jeunesses » de l’Uniopss, membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), et co-président de la commission Ultramarins - Expert UNICEF. Retrouvez toutes les analyses de Jean-Pierre Rosenczveig sur son blog.

Gabriel Attal répondait ainsi à la volonté exprimée dès l’été 2023 au lendemain des émeutes particulièrement graves qui avaient appelé à l’instauration de l’état d’urgence en France. On se souvient qu’avec le relais du garde des Sceaux le président avait rendu responsables de ces événements gravissimes des enfants – à savoir des mineurs de 18 ans – échappant à l’autorité de leurs parents.

Bien évidemment cette dénonciation des parents démissionnaires n’avait pour but que de servir d’écran de fumée et de faire l’économie de la recherche des vraies origines et des auteurs réels de ces émeutes. Elle permettait d’identifier une réponse rapide possible : il suffirait que les parents jouent leur rôle, notamment gardent mieux leur enfant au domicile ou leur interdisent de sortir en nocturne. Cette analyse a été renouvelée au printemps après une série d’actes particulièrement dramatiques – criminels même – mettant en cause des mineurs.

Qui a suivi cette période connait les limites de cette analyse politicienne. Passons ! 

Dans leurs expression ces responsables donnaient l’impression d’ignorer, s’agissant de ces enfants mis en cause en juillet, que généralement un seul parent – le plus souvent la mère – est au domicile.  Ces mères elles-mêmes sont fréquemment en difficulté pour tenir tous les bouts de la vie. Comme de « faire bouillir la marmite » en travaillant à des heures où il serait opportun que les enfants bénéficient de la présence d’adultes.

Adapter notre droit de la famille, mais pas que

Dépassant ces évènements pour le coup il est indispensable d’assurer d’adultes en responsabilité nombre d’enfants aujourd’hui privés de la protection de leurs deux parents et en tout état de cause. Pour cela il faut déjà adapter notre droit en identifiant notamment qui est responsable et en quoi entre parents et beaux-parents. (1) On pourrait même en profiter pour ne plus identifier les rapports parents-enfants en termes de pourvoir – l’autorité parentale –, mais en une mission. Les parents exercent des responsabilités : ils ont des missions – veiller à la protection et à l’éducation de l’enfant – et cet effet ils disposent de l’autorité (sans violence) sur lui.

Cette adaptation de notre droit pour nécessaire restera vaine si via les politiques publiques et l’action sociale on n’apporte pas un soutien aux parents en difficulté. Force est de constater que les services de proximités aux familles sont tous aujourd’hui en souffrance. Doux euphémisme.

Le premier ministre démissionnaire allait-il enclencher une dynamique vertueuse ?

Bien au contraire. Il persiste et signe dans une approche purement stigmatisante et coercitive à l’égard des parents. Même lorsqu’il s’attache à étendre le champ de la responsabilité civile pour mettre en cause le parent qui ne vit pas habituellement avec l’enfant il démontre qu’il n’a rien compris au film. Cerise sur le gâteau il introduit dans son texte une partie – il a dû en rabattre – des mesures annoncées par lui au printemps pour adapter le droit pénal des mineurs quand est à peine entré en vigueur le code de justice pénale des mineurs adopté sous l’égide de ce même président de République et qu’on n’a toujours pas pu évaluer sérieusement l’impact de nouveau dispositif adopté censé garantir une réponse pénale plus efficiente.

Une approche d’un autre temps et limitée de l’ordre familial

On regrettera déjà au regard de l’intitulé l’approche étriquée sur le terrain des responsabilités parentales. Non pas qu’on doive par angélisme se priver à demander des comptes du non-exercice ou du mauvais exercice des charges parentales. Mais on doit rendre des comptes des missions qu’on s’est vues confier. Quelles missions sont confiées aux adultes qui aujourd’hui environnent les enfants : les parents, biologiques ou non, les beaux-parents souvent nombreux, les grands parents notamment fréquemment dans l’environnement de leur descendance ?  Qui doit faire quoi ?

Gabriel Attal met la charrue avec les bœufs ; il ignore tout simplement le fait familial moderne. Il a personnellement investi sur le droit à être parent, mais pas sur les besoins et droits des enfants qui aujourd’hui les environnent.

Pour faire simple on ne trouve pas dans le texte avancé les dispositions qui s’imposent sur ceux qui vivent avec un enfant sans pour autant être leurs géniteurs – les beaux-parents – quand on attendait que, non seulement en reconnaissant leurs responsabilités, mais qu’on les articulent avec celles des parents biologiques.

On aurait pu avancer comme nous le proposions dans notre rapport de 2014 – déjà – que « Toute personne majeure qui vit habituellement avec un enfant exerce à son égard les actes de la vie courante ».

On focalise, par facilité, sur des postures censées garantir une plus grande mobilisation des parents et des incantations. On fait au passage preuve d’ignorance

Le président Macron appelait à punir les parents défaillants oubliant que d’ores et déjà la loi le prévoit que régulièrement des poursuites pénales sont engagées contre ceux qui négligent leurs responsabilités avec des peines réellement prononcées, mais aussi des stages parentaux proposés en alternative aux poursuites ?

Certes G. Attal a retrouvé l’article 227-17 du Code pénal déjà aggravé en 2011 et oublié par le président. Pour faire bonne mesure sur la boulette présidentielle il propose de faire de la délinquance de l’enfant une circonstance aggravante de la mise en cause pour on exerce des responsabilités parentales. Encore faudra-t-il qu’une condamnation définitive soit intervenue à l’égard de l’enfant. La peine alors encourue passe alors de 2 à 3 ans et l’amende de 30 000 à 45 000 euros. Et on pourra prononcer un TIG. Belle avancée !

Une avancée timorée sur le parent civilement responsable

Plus fondamentalement on envisage de faire peser sur celui des parents qui ne vit pas avec l’enfant mais a des devoirs à son égard, la charge de réparer les dégâts causés volontairement ou non à autrui. Il reprend la posture extensive adoptée en juin dernier par la Cour de cassation à l’initiative de son procureur général Remy Heitz  

Reste qu’on ne touche pas la cible : le vrai parent démissionnaire. L’évolution consacrée dans la Cour de cassation et demain la loi rend certes service à la victime mais ne change rien au quotidien l’enfant. En effet celui qui dispose de l’exercice conjoint de l’autorité parentale est généralement dans l’univers de l’enfant. En revanche il fallait s’attacher au parent qui n’a pas l’exercice de l’autorité parentale et abandonne son enfant. Notamment en négligeant d’exercer son droit de visite et d’hébergement et surtout d’exercer son droit et devoir de veiller à l‘éducation de l’enfant consacrés par la loi. Il est certes des cas où le parent qui à l’exercice à titre principal de l’autorité parentale met des obstacles, mais plus fréquemment on relève des situations ou le parent « non gardien » abandonner totalement l’enfant a l’autre parent le privant de cette double référence.

Avec un texte clair qui affirmerait que chaque parent juridique est responsable des actes posés par ses enfants indépendamment du statut matrimonial, aucun ne pourrait plus alors échapper à ses devoirs. Restera à veiller ce qu’il les respectent. On reste parent par-delà la séparation ou se voit retiré l’autorité parentale !

Certes le risque serait d’une moindre reconnaissance d’enfant dans les couples non mariés ou de procédures d’abandon explicites d’enfant. Mais au moins les choses seront claires.

Le projet de loi « Justice des mineurs » s’attache à modifier le droit pénal des mineurs quand l’encre du CJPM est à peine sèche.

D’autres mesurettes sont projetées dans le PLJ

Comme le fait pour le juge des enfants en assistance éducative de prononcer une peine d’amende contre les parents défaillants aux audiences. On sait ce qu’il est advenu de ce type de disposition s’agissant des parents d’enfants poursuivis pénalement en justice : elle est tombée littéralement en désuétude faute d’être adaptée à la situation. La peur d’une amende n’a jamais remobilisé des parents.

Autre disposition qui fait sourire : une contribution civique dite éducative versée une association de défense ou d’assistance de l’enfance. Toujours la même approche moraliste.

Manque l’essentiel à tout le moins dans l’exposé des motifs : la remobilisation des services sociaux de proximité dépendant de l’Etat ou des CD comme le service social scolaire, la PMI, la santé scolaire ou encore la Prevention spécialisée pour étayer les parents en difficulté. Certes on quitte là le registre de la loi et de l‘affichage pour celui de la démarche politique autour d’une table avec le souci d’une mobilisation des moyens humains et financiers adaptés aux situations concrètes rencontrées sur le terrain. Encore faudrait-il avoir une culture de la protection de l’enfance dont les auteurs du texte semblent manquer faute d’avoir exercé la moindre responsabilité sur ce sujet.                                                              §

Un volet radicalement répressif concernant les plus jeunes au risque de détricoter ce que soi-même on a fait.

Le projet de loi « Justice des mineurs » s’attache en effet à modifier le droit pénal des mineurs quand l’encre du CJPM est à peine sèche. On retrouve le mal sarkoziste : un problème et on change la loi sans désemparer au point de donner le tournis aux acteurs, de rendre les textes illisibles et de ne pas assumer la réforme précédente. Où sont les promesses d'Eric Dupont Moretti sur l’intérêt du CJPM qui en terminait avec l’ordonnance de 1945 quand trois ans plus tard on s’attaque des dispositions majeures de ce texte.

On se souvient des annonces tonitruantes du Premier ministre le 18 avril 2024 à Viry-Châtillon comme le recours à la comparution immédiate à l’instar des adultes, la suppression de l’excuse atténuante de minorité, placement en institution éducative sur ordre du parquet, etc. Force est constater que le matamore d’opérette a dû rabattre ne fut-ce, comme le lui signalait encore en aout 2024 son cabinet, pour des raisons d’inconstitutionnalité.

Dès lors exit la comparution immédiate, mais on facilitera le recours la procédure l‘audience unique devant tribunal pour enfants qui en est la réplique avec placement en détention provisoire jusqu’au jugement. A cet effet on supprimera l’exigence d’un rapport éducatif de moins d’un an analysant la situation du jeune et faisant état des démarches engagées, des difficultés rencontrées, des perspectives. Sous-entendu on entendait réserver cette procédure à des jeunes déjà connus – donc réitérants – pour lesquels on pouvait se dispenser d’une phase d’analyse sur la personnalité et la situation sociale.

Désormais un simple rapport éducatif d’actualisation dressé par la permanence du tribunal suffira. On se défend de viser les primodélinquants, mais on flirte avec. On trahit ainsi ce qu’est la délinquance juvénile : une séquence de vie avec nombre de passage à l’acte. La réitération n’est pas une circonstance aggravante mais le problème ! Nul doute que le débat parlementaire, si malheureusement on va jusque-là conduira à franchir le pas pour des jeunes inconnus ayant des passages à l’acte graves sans être criminels. (2) Comme pour les adultes ! Exit alors de la spécificité de la justice des mineurs qui entend transformer l’itinéraire de vie d‘un jeune en s’attaquant aux causes.

Quand les premiers bilans font déjà état d’un usage souvent singulier de cette procédure d’audience unique censée être subsidiaire, on entend en faire le droit commun pour certaines affaires. On oublie que s’agissant de faits graves il existe déjà une procédure qui via le juge d’instruction permet une détention provisoire mais garantit que le jeune sera jugé pas seulement sur ce qu’il a fait, mais sur qu’il était et surtout sur ce qu’il est devenu, sur le travail engagé ou non.

On envisage aussi d’étendre la procédure de composition pénale à l’américaine qui veut que le parquet propose au mis en cause une certaine peine. Cette composition pénale dont il nous   avait été promis en 2011 que jamais elle ne serait possible pour les mineurs le serait dès 13 ans, mais surtout hors de tout contrôle du juge. Un marchandage dans le bureau du procureur rappelant le rapport de force dans le quartier ! Reste à permettre le prononcer de peines d’emprisonnement. On s’en approche avec les amendes. Là-encore gare au débat parlementaire !

S’agissant de la possibilité de retrait du bénéfice de l‘excuse atténuante de minorité qui permet de prononcer la même peine qu’à un adulte, constatant la position retirée du Conseil constitutionnel sur ce pilier du droit pénal de mineurs, le PPJ ne va pas plus loin que de supprimer la référence explicite du législateur à ce que ce retrait possible à partir de 16 ans soit exceptionnel.

De quel poids pèsera le nouveau garde des Sceaux sur un sujet aussi délicat ?

Dans l’esprit de la loi sarkozyste de 2007 la loi appellerait donc à ne pas hésiter à franchir le pas au regard, non pas de la personnalité du jeune, mais de la gravité (subjective) des faits commis. La négation du droit pénal des mineurs là encore. Reste qu’elle devra toujours être motivée. De l’affichage. Pour le coup à l’expérience es magistrats sauront maintenir le cap.

On introduirait une sorte de semi-liberté avec un accueil de nuit en structure éducative. Ce dispositif existe déjà avec des jeunes confiés des institutions, qui le jour vont suivre des cours ou travailler. Reste à trouver des structures d’accueil !

Autre mesure « aberrante « qui trahit un manque de connaissance du dispositif : le juge des enfants, le juge d’obstruction, le TPE en audience unique peuvent décider d’un accueil éducatif. Désormais le parquet pourrait le faire sur deferement ! Une mesure d’ordre public. Outre l’enjeu trouver la structure disponible, il convient d’avoir en tête qu’un accueil éducatif ne peut pas être une peine et surtout présentée comme telle ! Il doit se préparer afin qu’il y ait un minimum d’adhésion garantissant la réalité du déroulé de la mesure. 

Enfin, il prévoit que juge des enfants désormais habilité à prononcer de peines (TIG ou confiscation par exemple) dans son cabinet depuis 2021, pourra recourir à des peines d’amende. On s’avance petit à petit vers la possibilité proposée par le rapport Varinard de 2008 à la source du CJPM de prononcer jusqu’à 6 mois d’emprisonnement.

Là-encore l’enjeu n’est pas de changer la loi mais de la mettre en œuvre. La suppression de 500 contrats PJJ par le même PM démissionnaire dans le cadre de l’expédition des affaires courantes ne laisse pas à penser que les mesures non exercées ou mal mises en œuvre le seront mieux demain. 

La petite musique tenue par le projet Attal plait car elle est bien connue : si les enfants sont délinquants c’est que les parents ont défailli. De fait les jeunes réellement inscrits dans la d’enfance sont en carence éducative. 80% d’entre nous – enquête d’autocondensions du ministère de la justice – ont pu franchir la ligne blanche de la loi le temps de leur enfance, pour des raisons diverses. Généralement les parents auront su réagir rappeler l’interdit mais aussi son sens et faire en sorte de s’attacher aux causes. Certains parents dépassés ou disqualifiés n’y parviennent pas.

Pour autant c’est du scientisme que de croire qu’en menaçant les parents de les punir on obtiendra plus d’eux. On est dans l’incantation. Si on en est là ce qu’un parent ne soit pas plus en situation de se faire respecter par son enfant c’est bien que la situation soit dégradée et de longue date généralement. Il faut donc venir en soutien à cette autorité défaillante. Le plus souvent sur la durée et dans la confiance ; pas par la menace et la peur.

D’évidence le sujet va venir sur le tapis. Ne prenons pas ce texte Attal à la légère. Il y a gros à parier que le nouveau ministre de l’intérieur y adhérera totalement voire en rajoutera. Ne proposait-il pas dans une dynamique sarkozyste d’abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans négligeant la CIDE et le Conseil constitutionnel. Son discours sur l’ordre, l’ordre, l’ordre rappelle celui sur l’autorité, l’autorité, l’autorité. En observant qu’à défaut des révolutionnaires si tous les français sont pour l’ordre on sait depuis des siècles qu’un ordre n’est respecté que parce qu’il est respectable car vécu comme juste. Que nous propose-t-on sinon de contenir pour contenir ? Chacun qui a un peu de culture connait à moyen et long terme les limites de ce discours d’incantation

La nouvelle ministre de la Famille et de la Petite enfance, Agnès Canayer ne fera pas obstacle pour avoir approuvé comme sénatrice ce travail dont elle attendait l’échéance encore en avril dernier. L’ex Premier ministre devenu responsable de son groupe parlementaire lui-même portera son texte. De quel poids pèsera le nouveau garde des Sceaux sur un sujet aussi délicat ?

On voit d’ici l’alliance après une course à l’échalotte qui sera faite avec le RN sur ce sujet. Pourquoi pas de réintroduire les peines-plancher avec application aux mineurs. 

Oui il faut une loi sur les responsabilités parentales, mais d’une autre envergure et d’une autre tonalité.


1 – Conf. une dizaine de billets sur ce blog dont un portant proposition de loi

2- Est un crime une infraction punie de plus de 10 ans de prison. L’instruction est obligatoire sur les faits et la personne