Après un an de travail, 11 400 témoignages recueillis, six rencontres publiques, 40 experts auditionnés, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) livre, le 31 mars, ses conclusions intermédiaires et formule une vingtaine de recommandations "réalisables sans attendre".
A mi-parcours de ses travaux, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) dévoile, le 31 mars, vingt premières préconisations construites autour de quatre axes fondamentaux : le repérage des enfants victimes, le traitement judiciaire des violences sexuelles, la réparation par l'indemnisation et le soin et la prévention.
« Certaines de ces préconisations appellent des modifications de nature législative. D'autres relèvent davantage de pratiques professionnelles plus protectrices », souligne le rapport.
Environ 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année en France. « Nous devons les trouver pour les protéger », insiste la Ciivise. L'instance appelle à changer en profondeur le fonctionnement des institutions pour construire une « culture de la protection ». Et de souligner l'urgence d'organiser le repérage systématique des violences sexuelles auprès de tous les enfants par tous les professionnels. « Une attention particulière doit être portée au repérage systématique des violences sexuelles commises contre les enfants handicapés d’autant plus que les signes du traumatisme sont souvent interprétés à tort comme une conséquence du handicap, augmentant le risque d’invisibiliser les violences », ajoute le rapport. Les enfants en situation de handicap représentent, en effet, 13% des victimes et ont un risque 2,9 fois plus élevé d'être victime de violences sexuelles.
Chaque professionnel (infirmiers, instituteurs, professeurs, médecins, avocats, éducateurs, assistants sociaux, puériculteurs) doit poser aux enfants la question de l’existence des violences sexuelles et notamment de l’inceste, affirme la commission. La Ciivise préconise également la création d'une cellule de conseil et de soutien pour les professionnels destinataires de révélations de violences sexuelles de la part d’enfants.
Dès le repérage de la situation d’un enfant victime de violences sexuelles, deux actions s’imposent en urgence : la mise en sécurité de l’enfant et la prise en charge médicale et psychothérapeutique, considère le rapport. Actuellement, le secteur médical n'est à l'origine que de 5 % des signalements pour maltraitance des enfants. La commission suggère de « clarifier l'obligation de signalement » des médecins. Conjointement, elle préconise la suspension de toute procédure disciplinaire pendant l’enquête pénale à la suite d’un signalement effectué par un "médecin protecteur". Pour mémoire, Eugénie Izard, pédopsychiatre toulousaine a été condamnée en décembre 2020 par le conseil de l'Ordre des médecins à une suspension d’activité après avoir signalé des maltraitances sur une enfant.
Le traitement judiciaire pénal et civil des agressions sexuelles et des viols infligés aux enfants est « l’un des aspects principaux des revendications des victimes », ainsi que « l’une des phases essentielles de la culture de la protection », poursuit la Ciivise. « La justice doit se mettre à hauteur d'enfant », souligne la commission, qui recommande que les auditions des enfants suivent un protocole spécifique [ NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) dans les années 1990 ], neutre et bienveillant, dans des dispositifs adaptés : uaped (unités d’accueil et d’écoute pédiatriques) ou salles Mélanie. Ces auditions, dont l'enregistrement est déjà obligatoire, devraient être systématiquement visionnées par tous les magistrats au cours de la procédure.« Car observer la peur et la sidération d’un enfant qui révèle des violences sexuelles n’a pas le même impact que de le lire. C’est également le cas pour les adultes ».
Alors que 70 % des plaintes pour violences sexuelles infligées aux enfants sont classées sans suite, la Ciivise souhaite que ces décisions soient « expliquées verbalement à la victime » par le procureur de la République. « Cette notification en personne est souhaitable même si la victime est encore mineure car un enfant a, tout autant qu’un adulte, besoin que les décisions qui le concernent lui soient expliquées dans des conditions qui lui permettent de les comprendre. »
L'instance demande également que la victime puisse faire appel de la décision pénale sur la culpabilité et la peine. Actuellement, en tant que partie civile, elle ne peut faire appel que sur les dommages et intérêts, pas sur la culpabilité.
La réparation passe également par le soin. Or, selon les données recueillies par la Ciivise, seule 1 victime sur 2 a bénéficié d’un suivi médical et seulement 8,5 % des victimes ont bénéficié de soins spécialisés en psychotrauma. De fait, la commission recommande de garantir aux enfants victimes de violences sexuelles et aux adultes des soins spécialisés.
« A la stratégie de l’agresseur, il faut opposer une stratégie de protection »
Dans le cas d'inceste parental, la Ciivise réitère deux préconisations déjà formulées en octobre dernier. La commission demande « la suspension de plein droit de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement » d'un parent poursuivi pour inceste sur son enfant. Elle demande également d'inscrire dans la loi, « le retrait systématique de l'autorité parentale » en cas de condamnation.
Enfin, concernant le volet prévention, la Ciivise qualifie la formation des professionnels de « nécessité permanente ». La commission appelle donc à renforcer la formation initiale et continue de tous les professionnels concernés par la protection de l’enfance et la lutte contre les violences sexuelles, avec un module spécifique validé dans les diplômes. Par ailleurs, tous les professionnels en contact avec les enfants devraient être formés au respect de l’intimité corporelle de l’enfant.
« La protection de l'enfant n'attend pas », insiste la commission, qui considère que les préconisations formulées sont « réalisables sans attendre ». Elle conclut : « Elles pourront être mises en pratique efficacement. Elles garantiront plus de protection pour les enfants car à la stratégie de l’agresseur, il faut opposer une stratégie de protection ».
Rapport CIIVISE : conclusions intermédiaires - mars 2022