Estimer l’âge d’un mineur par radiographie peut se révéler discriminatoire
En termes généraux, la maturité peut se définir comme le processus de croissance et de développement biologique, psychologique et émotionnel qu’une personne connaît tout au long de sa vie. Mais existe-t-il un moyen objectif de la mesurer ?
La réponse est oui. Parmi les procédés utilisés pour déterminer la maturité d’un individu, on trouve principalement les radiographies, qui permettent d’estimer en toute sécurité (par exemple dans le cas des radiographies panoramiques dentaires, ndlr) l’âge biologique des enfants et des adolescents. D’autres radiographies analysent l’aspect des différents noyaux d’ossification des os de la main.
Grâce à cette méthode simple, les experts peuvent à la fois diagnostiquer et suivre les troubles endocriniens et génétiques affectant la population infantile et résoudre les questions juridiques et d’asile liées à l’immigration des enfants. Le fait que son utilisation soit répandue parmi les spécialistes en pédiatrie et en médecine légale est principalement due au rapport coût-bénéfice imbattable de la procédure par rapport à d’autres méthodes d’évaluation de la maturité du squelette chez les enfants.
La radiographie du poignet contient beaucoup d’informations
Mais que regarde-t-on exactement sur la radiographie ? Il existe deux catégories de méthodes radiologiques pour déterminer l’âge, les méthodes numériques et les méthodes qualitatives.
Les méthodes numériques se basent sur une radiographie du poignet et du carpe gauche. Elles attribuent un score en fonction du degré de maturité observé en différents points d’ossification qui se développent de manière séquentielle avec l’âge.
Si l’on compare trois radiographies de la main, d’un enfant, d’un jeune et d’un adulte, on constate d’emblée que, dans l’enfance, les os du carpe sont loin d’avoir atteints la taille et la forme définitives qu’ils auront à l’âge adulte.
Les méthodes qualitatives reposent sur la comparaison d’une radiographie du carpe ou d’une radiographie panoramique dentaire (orthopantomographie) et d’une image de référence disponible dans un atlas radiologique. Cet atlas est organisé en suivant, de manière chronologique, les différents stades de développement de l’os jusqu’à sa maturité.
Malgré leur généralisation dans la pratique professionnelle, une étude récente suggère que ces méthodes pourraient introduire des biais significatifs dans l’interprétation du résultat du test. Surtout parce qu’on génère d’importantes erreurs quand on tente d’estimer l’âge d’un enfant non caucasien en utilisant comme référence une radiographie prise sur des enfants caucasiens, une pratique qui est à la base de toutes les méthodes actuelles de détermination de l’âge osseux.
(En France, le dictionnaire de l’Académie de médecine indique que « l’âge osseux ne correspond pas forcément à l’âge civil du patient, ni à son âge statural. Le stade de développement osseux du sujet examiné est comparé à des références élaborées à partir de radiographies d’enfants d’âge, de sexe, d’ethnie et d’origine différents », ndlr).
De ce qui précède, on peut déduire que, si on ne tient pas compte de l’énorme diversité ethnique des mineurs qui sont présents dans notre zone géographique, le calcul de l’âge biologique des enfants qui appartiennent à des ethnies non caucasiennes pourrait se révéler inexact. Dans le cas particulier des enfants d’origines africaines, il a été observé que les méthodes radiologiques ont tendance à surestimer leur âge. Dans toutes les études publiées à ce jour, il leur est attribué un âge supérieur à leur âge chronologique.
Une mauvaise appréciation de leur âge peut entraîner des problèmes pour les migrants africains
Le problème est encore plus prononcé lorsque ces enfants arrivent sur le sol européen dans le cadre de la crise migratoire que connaît le continent africain depuis plusieurs décennies.
Les biais d’interprétation mentionnés ci-dessus peuvent conduire les pays qui accueillent des mineurs non accompagnés, comme c’est le cas en Espagne, à limiter l’inclusion des adolescents qui n’ont pas encore atteint leur majorité dans leurs systèmes de protection de l’enfance, en les considérant comme des adultes.
(En France, un examen radiologique ne peut constituer l’unique fondement de la détermination de l’âge d’une personne mineure. Le ministère de la Justice français rappelle le cadre strict dans lequel cet examen peut être pratiqué, ndlr).
Face à cette situation, les professionnels de santé impliqués à la fois dans les soins cliniques et dans la recherche doivent être clairs sur les principes éthiques qui régissent notre pratique professionnelle. Premièrement et avant tout, nous devons avertir sur le fait qu’utiliser une procédure biaisée peut conduire à une discrimination qui découlera de l’utilisation inappropriée d’informations cliniques. C’est le cas, en particulier, lorsque ces informations peuvent affecter l’accès aux politiques sociales d’accueil en lien avec la santé, l’éducation et la protection des enfants migrants.
De plus, nous ne pouvons ignorer que la prise de décision basée sur des tests diagnostiques qui n’ont pas encore été validés selon des critères ethniques pourrait accélérer les refus d’admission à la frontière, contrevenant ainsi au principe de non-refoulement promu par l’Union européenne.
Le respect des droits de l’homme est la base fondamentale pour tous les professionnels qui travaillent dans le réseau d’aide aux enfants migrants. Nous devons promouvoir, par le biais de la coopération technique, l’avancement des connaissances scientifiques visant à garantir, par des mesures de protection plus solides et plus fiables, l’intérêt des enfants migrants qui arrivent à nos frontières en fuyant la faim et la misère.
Sebastián Eustaquio Martín Pérez, docteur en sciences médicales et pharmaceutiques dans le domaine de la radiologie et de médecine physique à l'Université de la Laguna (Espagne). Isidro Miguel Martín Pérez, doctorant dans le même département Université de la Laguna.