« Dyslexique », « hyperactif », « HPI »… Ces diagnostics qui se multiplient en milieu scolaire
« Dyslexique », « précoce », « troubles de l’attention » : nous avons tous déjà entendu au moins un de ces termes, le plus souvent pour qualifier un enfant rencontrant des difficultés dans le cadre scolaire.
Ces « diagnostics scolaires » sont décrits, explorés et soutenus par des chercheurs et praticiens de différentes disciplines (psychologie, neuropsychologie, psychiatrie, etc.) et bénéficient d’une variété de prises en charge à visée rééducative (psychomotricité, orthophonie, ergothérapie, etc.).
Au sein même du champ scientifique, ces diagnostics ne font pas consensus : l’approche principalement neurologique du TDAH (trouble du déficit de l’attention/Hyperactivité) y est critiquée, les effets et les limites des diagnostics de troubles dys- et de HPI (haut potentiel intellectuel) y sont interrogés.
Les troubles dys – ainsi que le TDAH sont considérés comme étant des troubles du neurodéveloppement, et font l’objet de recommandations par la Haute Autorité de Santé. Les politiques publiques insistent sur la nécessité d’un repérage précoce, puis de la mise en place de remédiations et rééducations pour ce type de troubles.
Un quadrillage de dispositifs
Malgré l’absence de consensus scientifique, le haut potentiel ainsi que les troubles dys – figurent dans le Code de l’éducation, ouvrant le droit à des aménagements des contenus et du rythme d’enseignement, ainsi qu’à des adaptations des examens terminaux pour les élèves diagnostiqués.
Ainsi, si ces troubles ne donnent pas systématiquement lieu à la reconnaissance d’un handicap, différentes formes de projets individualisés sont tout de même proposés dans le cadre scolaire. Ces différents dispositifs révèlent l’impact réel qu’ont ces diagnostics – qui concernent environ 5 % de la population d’âge scolaire – sur le parcours des élèves concernés.
Cette médicalisation des difficultés scolaires est paradoxale : en effet, tendre vers la réussite de tous les élèves passerait par un étiquetage de plus en plus exhaustif des difficultés rencontrées par chacun.
On peut difficilement critiquer un discours visant à aider les enfants en difficulté au nom de plus d’égalité, avec pour objectif de soutenir leur accroche à l’école et aux apprentissages. Cependant, il existe bien un paradoxe fort entre la volonté de faire réussir chaque élève et, en même temps, le découpage de plus en plus fin des catégories que l’on va attribuer à ces élèves.
Ce découpage va de pair avec un quadrillage de dispositifs de plus en plus serré : repérages précoces, prises en charge, adaptations pédagogiques allant jusqu’à l’adaptation des examens terminaux. Ces catégories ne sont donc pas sans effet sur ces élèves et les adultes qui les accompagnent.
Un dépistage accru
Quarante-sept acteurs de l’éducation et du soin nous ont répondu sur la définition qu’ils en donnent, et leur manière de faire avec, dans leur exercice quotidien.
Cet échantillon comprend des enseignants en milieu ordinaire ou spécialisé, des inspecteurs de l’éducation nationale, des médecins et des psychologues scolaires, ainsi que diverses professions impliquées auprès des enfants et adolescents en difficulté scolaire – AESH, éducateurs, infirmiers.
Ces personnes exercent dans différents établissements (école élémentaire, collège, centre d’information et d’orientation, hôpital de jour) qui se répartissent entre secteurs rural, semi-urbain et urbain, ainsi qu’entre réseau d’éducation prioritaire (REP) et milieu plus favorisé.
L’analyse qualitative de ces discours permet de révéler les représentations qui traversent le monde social : explorons ce que cette catégorisation produit comme effets, dans le réel des pratiques. Tous les acteurs s’accordent sur la forte augmentation de ces troubles comme explication aux difficultés scolaires, depuis une vingtaine d’années, accompagnée d’un dépistage accru et de plus en plus précoce.
Une enseignante souligne que « dès qu’il y a une difficulté on cherche un trouble », résumant l’idée aujourd’hui dominante qu’une certaine part des enfants relève de troubles (diagnostiqués ou non) depuis le début des années 2000.
Dépossession pédagogique ?
Nos entretiens ont mis en lumière des manières très disparates de repérer ces « troubles » dans les classes, avec par exemple une forme de « diagnostic autonome » de la part de certains enseignants, sans consultation médicale, et parfois même sans bilan orthophonique.
Une psychologue tente d’expliquer cette tendance :
« Ça passe rapidement dans le langage courant, et quand par exemple un élève va juste inverser deux lettres […] les enseignants, ou les parents vont avoir tendance à dire : c’est peut-être une dyslexie. »
Selon un inspecteur de l’éducation nationale, une part conséquente d’enfants sont envisagés comme étant porteurs de troubles dys – au sein de l’école, sans même avoir rencontré de médecin pour objectiver ce diagnostic.
Cette tendance à la désignation spontanée d’un enfant comme dyslexique, ou encore hyperactif va de pair avec un effet de dépossession pédagogique : la majorité des enseignants ont le sentiment de manquer de formation face à ces troubles spécifiques.
Ils cherchent pour la plupart à se former de manière autonome, et fabriquent ou financent eux-mêmes du matériel adapté aux enfants qu’ils accueillent dans leur classe. Ces constatations pourraient rester anecdotiques si ces troubles n’étaient pas décrits – par la littérature scientifique – comme « durables », notion que s’approprie une principale de collège REP : « C’est pas curable, la dyslexie, c’est vraiment un cheminement neurologique qui est différent », partageant avec la majorité des enquêtés l’idée que tant que l’enfant sera en apprentissage, il nécessitera compensations et rééducations.
Une individualisation des parcours ?
Sans prétendre résumer les multiples questions soulevées par ces « troubles des apprentissages », nos résultats interrogent l’intérêt que peuvent avoir les politiques publiques à systématiser le repérage de ces troubles au sein de l’école, et proposer une variété d’aménagements et d’orientations en regard.
Ce repérage précoce massifié peut en effet être mis en regard du caractère exceptionnel du redoublement depuis 2014, mais aussi des effectifs élevés dans chaque classe dès l’école élémentaire.
Les acteurs soulignent que l’individualisation pédagogique est ainsi rendue très difficile, alors même qu’elle est – avant toute mise en place d’un quelconque dispositif d’adaptation – la base du métier d’enseignant.
Le fait de reconnaître un enfant comme porteur de tel ou tel trouble produit déjà un effet, connu sous le nom d’étiquetage, selon la célèbre théorie de Becker, qui met en garde contre de potentiels effets de mise en conformité avec l’étiquette apposée.
L’enfant désigné dysgraphique ou hyperactif pourrait bien avoir du mal à se dégager de cette désignation, puisqu’il bénéficiera de prises en charge spécifiques, d’interactions pédagogiques et d’adaptation des enseignements qui marqueront incessamment l’existence de son « trouble », y compris au sein de l’école et de sa famille.
Il ne s’agit donc pas uniquement de controverses scientifiques ou éducatives, mais bien d’un phénomène de catégorisation ayant des implications et des effets dans la scolarité des enfants et des adolescents d’aujourd’hui.
La multiplication des diagnostics de plus en plus précoces conditionne l’accès aux savoirs des jeunes concernés, dans le contexte d’une école permettant de moins en moins l’individualisation spontanée du rythme d’apprentissage.
Cécile Charazas, Attachée temporaire enseignement-recherche, doctorante en Sciences de l’éducation, Université de Bordeaux
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.