Du chemsex aux fêtes… La 3-MMC, cette drogue de synthèse qui gagne du terrain chez les jeunes
La 3-MMC est une drogue de synthèse (ou research chemical) appartenant à la famille des cathinones, molécules ayant des propriétés stimulantes et empathogènes. Elle se présente sous la forme de poudre ou de cristaux, et est principalement consommée en sniff ou en injection.
La consommation de 3-MMC, associée à celle de GHB/GBL, est initialement rattachée au milieu du chemsex, pratique de consommation de drogues en contexte sexuel, qui est essentiellement le fait d’hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), dans des contextes de sexe à plusieurs. Les chemsexeurs attribuent souvent à la 3-MMC des propriétés aphrodisiaques facilitant les rapports sexuels (augmentation du désir, facilité à avoir une érection, retardement de l’éjaculation…).
Ces dernières années, une diffusion des usages de 3-MMC au-delà des contextes de chemsex est constatée par différents acteurs travaillant dans le champ de la réduction des risques. Cette substance est désormais consommée par des hommes et des femmes qui ne s’identifient pas toujours comme LGBTQI+, et en dehors de tout contexte sexuel.
Cette tendance est notamment rapportée en Nouvelle-Aquitaine par des usagers et usagères et par des professionnels de réduction des risques, interrogés dans le cadre de cette enquête. Cet article met en lumière, de manière sociologique, les motivations à la consommation de 3-MMC d’usagers qui ne sont pas chemsexeurs, les réseaux de vente de cette substance et les conséquences sanitaires rapportées.
Des motivations liées au coût et aux effets de la 3-MMC
Les usagers et usagères de 3-MMC semblent être le plus souvent des personnes jeunes, plutôt insérées socialement et polyconsommatrices, qui ont expérimenté d’autres drogues illicites (cannabis, cocaïne, MDMA/ecstasy…) avant d’essayer la 3-MMC. Certaines ont été initiées par des amis pratiquant le chemsex ou proches de ce milieu, d’autres par des personnes hétérosexuelles éloignées du chemsex. Les consommations ont presque systématiquement lieu en contexte festif, dans des clubs techno et des raves urbaines, parfois lors de soirées privées. D’après des intervenants en espace festif alternatif en Nouvelle-Aquitaine, les usages de 3-MMC semblent plus rares dans les free parties en espace rural, les usages étant davantage visibles en ville.
Les usagers rapportent apprécier les effets de ce produit, qui se situent entre ceux de la MDMA/ecstasy (amplification des ressentis sensoriels, effets entactogène et empathogène) et de la cocaïne (diminution de la sensation de fatigue, facilité à aller vers autrui et à échanger). Ils consomment principalement en sniff. Arthur a 22 ans, travaille dans le secteur de la restauration et consomme des substances diversifiées, notamment de la 3-MMC en contexte festif (essentiellement en club techno et dans des afters privées). Il apprécie les effets stimulants de la 3-MMC, qui lui donne « envie de faire des trucs » : « Tu prends une trace et tu cours un marathon ! » Contrairement à de nombreux chemsexeurs, Arthur ne lie pas ce produit à un effet aphrodisiaque, affirmant que cette consommation ne lui donne « pas envie de baiser ».
Autre élément central rapporté par les consommateurs, le coût : le prix au gramme de la 3-MMC en Nouvelle-Aquitaine est d’environ 40 euros (avec un prix bas de 30 euros et un prix haut de 50 euros), contre un prix courant de 60 euros le gramme pour la cocaïne.
Dans son mémoire de sociologie intitulé Les nouveaux produits de synthèse : entre politiques prohibitives et a priori. Étude des particularités des carrières de consommateurs de 3-MMC, réalisé à l’Université de Bordeaux, Mélina Lapeyronie-Soula a interrogé neufs consommateurs de 3-MMC, dont huit ne pratiquent pas le chemsex. La plupart des usagers interrogés présente le faible coût de ce produit, comparé à celui de la cocaïne, comme une motivation importante à l’usage. Selon Mélina Lapeyronie-Soula, le fait que la 3-MMC ait des effets proches de deux drogues bien connues et appréciées des usagers (la MDMA/ecstasy et la cocaïne) et que son prix soit assez faible contribue à sa diffusion en espaces festifs.
Vente en ligne de drogues, livraison et achat en espaces festifs
La 3-MMC a toujours été commandée via Internet par les chemsexeurs, qui se procurent la substance sur le dark web et sur des sites illégaux sur le surface web. Du fait des changements législatifs autour des drogues de synthèse, notamment concernant les plateformes de vente aux Pays-Bas, les molécules vendues comme de la 3-MMC peuvent régulièrement s’avérer être des dérivés (notamment de la 3-CMC, aux propriétés similaires). Pour les chemsexeurs qui ne souhaitent pas acheter en ligne, il est possible de se fournir in real life (IRL) essentiellement via des réseaux d’usagers-revendeurs eux-mêmes chemsexeurs. On a donc depuis plusieurs années à faire à des réseaux de vente IRL très communautaires, assez fermés aux personnes ne pratiquant pas le chemsex.
Ce modèle a évolué, et il est désormais possible pour des personnes éloignées du milieu du chemsex d’acheter de la 3-MMC IRL. La substance est vendue en espaces festifs par des dealers et usagers-revendeurs, au même titre que la cocaïne ou la MDMA/ecstasy. Il est également possible de se faire livrer de la 3-MMC à son domicile par des réseaux de livraison opérant dans la ville de l’usager, la substance n’échappant pas à l’ubérisation du deal en cours depuis maintenant plusieurs années. Plusieurs usagers rapportent ainsi que la disponibilité de la 3-MMC s’est accrue en 2022 et 2023, et que la substance est désormais assez facile à trouver. Si Arthur estime que la 3-MMC reste moins disponible en espaces festifs que la cocaïne ou l’ecstasy, il rapporte que « la 3 » est bien plus facile à acheter aujourd’hui :_ « C’est répandu maintenant, tu peux trouver facilement _ ».
Les conséquences sanitaires de la consommation de 3-MMC
Les conséquences sanitaires ont bien été identifiées au sein du public chemsexeur, qui peut cumuler trouble de l’usage de drogues et addiction au sexe, et qui est régulièrement confronté à des problématiques liées au consentement, aux pratiques sexuelles à risque et à des problématiques générées par l’injection. Concernant les conséquences spécifiquement rattachées à la 3-MMC, elles sont similaires à celles liées à la cocaïne (craving, insomnies, perte d’appétit…) et à la MDMA/ecstasy (redescentes difficiles avec idées noires, regret d’avoir accepté certaines pratiques sexuelles ou de s’être rapproché de personnes vers lesquelles l’usager n’aurait pas été s’il avait été sobre…).
Les usagers de 3-MMC en espaces festifs échappent aux problématiques associées au chemsex, mais pas aux conséquences directes de l’usage de cette substance qui, lorsqu’elle est consommée en sniff, semble particulièrement nocive pour les cloisons nasales. Les usagers se plaignent en effet de douleurs intenses lors de la prise en trace : Antoine, un usager polyconsommateur de 25 ans, a ainsi testé la 3-MMC et n’a pas apprécié, « parce que ça arrache le nez ».
Les professionnels de réduction des risques commencent à voir arriver dans leurs structures des usagers de 3-MMC qui ne sont pas chemsexeurs, et qui se plaignent d’une perte de contrôle de l’usage et des conséquences sanitaires rapportées. Une association de réduction des risques intervenant en free et rave parties explique ainsi que des usagers de 3-MMC se plaignent par exemple d’insomnie, de nausées, de bad trip et de craving. Ces usagers étant souvent polyconsommateurs, le motif de prise en charge initial en addictologie n’est pas toujours la 3-MMC ; d’après les professionnels rencontrés, la plupart des usagers semblent consulter pour des problèmes de consommation de cocaïne ou d’alcool.
Une éducatrice spécialisée en CSAPA bordelais a ainsi rencontré un usager consommant « de la 3-MMC en dehors de tout contexte sexuel, pour expérimenter, pour faire la fête », qui venait demander de l’aide pour ses « usages de cocaïne ». Notons cependant que, comme pour les autres drogues, la plupart des usages de 3-MMC sont récréatifs et n’entraînent pas de conséquences sanitaires majeures.
Si la 3-MMC est, pour le moment, moins visible en espaces festifs que d’autres psychostimulants, il y a fort à parier que sa diffusion ne fait que commencer, et que les expérimentations se multiplieront dans les années à venir.
Sarah Perrin, Docteure en sociologie, Université de Bordeaux