Droits de l’enfant : histoire d’une lente reconnaissance

Comment est-on passé d’une première reconnaissance internationale des besoins de l’enfant dans les années 1920 à la signature de la Convention des droits de l’enfant ? Comment l’impératif de protection des plus jeunes s’est-il peu à peu articulé avec celui de leur émancipation, et la prise en compte donc de leurs opinions et capacités d’action ? Éclairage historique.

On commémore en cette année 2024 le centenaire de la première énonciation des droits de l’enfant, à travers la Déclaration de Genève, et le 35ᵉ anniversaire de la Convention des droits de l’enfant (1989).

De la réglementation du travail aux progrès de la scolarisation, du développement de la pédiatrie à l’« invention » de la petite enfance, en passant par l’intervention de l’État au sein de la cellule familiale en cas de besoin, il y eut certes de nombreuses avancées au XIXe siècle pour l’amélioration du sort des enfants en Europe. Mais c’est au XXe siècle, au lendemain de la Grande Guerre, que le mouvement transnational pour l’adoption d’une déclaration des droits de l’enfant atteint un résultat tangible.

Revenir sur cette histoire permet d’éclairer les enjeux contemporains autour de la parole des jeunes, à l’échelle internationale.

La déclaration de Genève et les besoins vitaux de l’enfant

Pour les promoteurs de la paix et d’un nouvel ordre international dans le cadre de la Société des Nations (SDN), l’enfant incarne les espoirs d’un avenir meilleur. Des associations transnationales dont le but est de secourir et de protéger les enfants deviennent des acteurs majeurs de cette « diplomatie de l’enfance ».

C’est notamment le cas de l’International Save the Children Union/Union Internationale de Secours aux Enfants (ISCU/UISE) créée en 1920 et basée à Genève, d’inspiration britannique (Save the Children Fund) et suisse (Comité international de la Croix-Rouge) et de l’Association Internationale de la Protection de l’Enfance (AIPE) créée en 1921 par des réformistes français et belges.

S’engagent dans cette cause de l’enfance des médecins, des politiques, des juges, des pédagogues qui promeuvent l’éducation nouvelle, etc. Les populations y participent par leurs dons – comme le parrainage d’enfants appelé improprement « adoption » – afin de faire sortir de la misère les enfants touchés par la guerre et l’après-guerre.

Eglantyne Jebb.Wikimedia

Dans ce contexte, il apparaît nécessaire de fixer des principes internationaux intangibles. Une première déclaration des droits de l’enfant, est élaborée en 1923 par Eglantyne Jebb (1876-1928), fondatrice de Save the Children Fund et présidente de l’International Save the Children Union.

Cette déclaration de Genève, approuvée par l’Assemblée générale de la SDN en 1924, affirme en cinq points très courts, les besoins vitaux des enfants que la société se doit de satisfaire :

  • « L’Enfant doit être mis en mesure de se développer d’une façon normale, matériellement et spirituellement » ;
  • « L’Enfant qui a faim doit être nourri, l’enfant malade doit être soigné, l’enfant arriéré, doit être encouragé, l’enfant dévoyé doit être ramené, l’orphelin et l’abandonné doivent être recueillis et secourus » ;
  • « L’Enfant doit être le premier à recevoir des secours en temps de détresse » ;
  • « L’Enfant doit être mis en mesure de gagner sa vie et doit être protégé contre toute exploitation » ;
  • « L’Enfant doit être élevé dans le sentiment que ses meilleures qualités devront être mises au service de ses frères ».
Déclaration de Genève, 1924, signée notamment par Gustave Ador (CICR) et Eglantyne Jebb.Archives de l’État de Genève

La déclaration eut le grand mérite de renvoyer vers des échelles inférieures la cause des enfants dans un mouvement de réappropriations nationales et locales d’une rhétorique universelle. Par exemple en France, le ministre de l’Instruction publique ordonne qu’elle soit affichée dans toutes les écoles.

Bien que très courte, cette déclaration consensuelle est le premier et seul grand texte de référence relatif à la protection de l’enfance durant tout l’entre-deux-guerres. Certains vont plus loin comme des pédagogies de l’éducation nouvelle, ou Janusz Korczak (1878-1942) qui expérimente l’émancipation des enfants par l’exercice de droits capacitaires. Ainsi, dans ses centres, les enfants prenaient part aux décisions de la collectivité.

Comment définir un « intérêt de l’enfant » universellement accepté ?

La déclaration de Genève survécut à la Seconde Guerre mondiale et fut votée dès 1946 par la toute jeune Organisation des Nations unies (ONU) qui s’attelait alors à un chantier plus vaste qui aboutit à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948.

Concernant les enfants, elle stipule seulement que « la maternité et l’enfance ont droit à une aide spéciale », sans précision. En marge de cette édification, la déclaration de Genève est amendée en 1948 par l’ajout de deux devoirs supplémentaires pour les nations :

  • « L’Enfant doit être protégé en dehors de toute considération de race, de nationalité et de croyance » ;
  • « L’Enfant doit être aidé en respectant l’intégrité de la famille ».

Au passage certains termes sont toilettés, par exemple « l’enfant arriéré » de 1924 devient « l’enfant déficient » en 1948 ; « l’enfant dévoyé » devient « l’enfant inadapté ». Mais cette déclaration de Genève actualisée n’a guère d’échos et les acteurs de l’espace de la cause des enfants se mobilisent pour un grand texte énonçant clairement des droits pour l’enfant.

Pendant une décennie, l’ONU et les organisations internationales concernées gravitant autour d’elle (UNICEF créée ne 1946, Unesco, etc.), des associations transnationales (Union internationale de protection de l’enfance, Bureau international catholique de l’enfance, etc.) se mobilisent et travaillent à la rédaction d’une Déclaration des Droits de l’Enfant, qui est adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1959.

Ce texte, reprend les « besoins » des enfants définis dans le texte 1923/1924 et les « devoirs » des nations à l’égard des enfants précisés dans le texte de 1948. Ainsi, sont énoncés en 1959 dix « principes », en ajoutant aux listes précédentes :

  • le droit à un nom et à une nationalité ;
  • le droit à l’amour de ses parents ;
  • le droit aux loisirs.

Pour la première fois apparaissent aussi dans une rédaction plus diserte les termes « sécurité morale », « fraternité universelle », « éducation », « épanouissement », « dignité », « liberté » et chapeautant le tout « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Si la déclaration de 1959 est signée par tous les États membres de l’ONU, elle ne les contraint en rien.

Comment définir un « intérêt de l’enfant » universellement accepté ?;

Afin d’inciter les États à réellement agir pour la protection et le développement des droits de l’enfant, l’ONU déclare 1979 « Année internationale de l’enfant ». La rédaction d’une Convention des Droits de l’enfant est confiée à un groupe de travail associant à la fois l’UNICEF, différentes organisations non-gouvernementales (ONG) dont certaines se créent tout exprès comme Défense des Enfants – International (DEI), et les 48 États membres de la Commission des Droits de l’Homme.

Cette grande entreprise nécessite dix ans de travail et de débats car se pose la question très aiguë de l’universalité des droits de l’enfant, ceux-ci étant considérés très différemment selon les aires culturelles : comment alors définir un « intérêt de l’enfant » universellement accepté ?

Afin d’aboutir à un texte qui puisse faire l’unanimité, sa logique d’élaboration a été celle du consensus et du compromis politique. Il est à noter que, pas plus que lors des épisodes précédents, les enfants n’ont été mobilisés dans la réflexion et la rédaction du texte.

Reconnaître les droits d’expression et d’association des enfants

Le 20 novembre 1989, dans sa résolution 44/25, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la Convention relative aux Droits de l’Enfant qui précise que toute mesure protectrice prise à l’égard d’un enfant doit être gouvernée par la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Convention fait la synthèse entre deux approches des droits de l’enfant : la protection et l’émancipation. Ainsi sont affirmés nettement, ce qui n’était pas le cas dans les textes antérieurs, les droits d’expression, d’opinion et d’association des enfants. Cette conception des droits des enfants passe par le respect de leur parole, sa prise en compte et la reconnaissance d’une agentivité des enfants.

Affiche des droits de l’enfant.Unicef

Entrée en vigueur le 7 septembre 1990 après sa ratification par 20 États membres de l’ONU, la convention s’est imposée comme un texte de référence majeur du droit international, contraignant pour les États parties. Cependant, sa longueur (54 articles) implique d’adapter le contenu pour les enfants.

En 1991, le Comité des droits de l’enfant a commencé à fonctionner, en tant qu’organe de contrôle de la mise en œuvre de la CIDE. Outre des remarques sur les mesures d’application générales de la convention, le Comité publie régulièrement des « Observations générales » qui portent sur des questions problématiques (VIH/sida, mise en œuvre des droits dans la petite enfance, droits des enfants handicapés, droits des enfants autochtones, etc.).

En 2000, deux protocoles additionnels facultatifs à la convention ont été adoptés par l’ONU : concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants ; et concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés.

En 2011, l’assemblée générale de l’ONU a adopté un troisième protocole facultatif qui permet à tout enfant de saisir le Comité des Droits de l’Enfant. C’est ce qui a permis à plusieurs groupes d’enfants d’alerter sur la responsabilité des États dans le dérèglement climatique qui met en danger l’avenir de la planète sur laquelle les enfants d’aujourd’hui vivront demain.


Yves Denéchère, professeur d'histoire contemporaine, Université d'Angers