INTERVIEW Dr Françoise Fericelli : « Si des professionnels formés au repérage des enfants en danger se font condamner, il y a quelque chose qui ne va pas »
Eugénie Izard et Françoise Fericelli, pédopsychiatres, sont convoquées ce 24 novembre devant la chambre disciplinaire nationale du Conseil national de l’Ordre des médecins à Paris. Leur tort ? Avoir effectué des signalements suite à des suspicions de maltraitance et de violences intrafamiliales sur des patients mineurs suivis en thérapie.
« Le Dr Eugénie Izard et le Dr Françoise Fericelli n’ont fait que leur travail et ont répondu à leurs obligations de médecins et de citoyens en signalant des enfants qu’elles avaient évalués en danger. Mais les réglementations ordinales et le système législatif actuel ne protègent ni les enfants ni les professionnels qui les signalent en autorisant les poursuites judiciaires et ordinales de ces médecins et bien souvent leurs condamnations, contribuant ainsi à apeurer toute la profession médicale qui devrait au contraire être en première ligne de la protection des enfants », dénonce, dans un communiqué, le collectif Médecins Stop Violences, constitué après les condamnations des Dr Fericelli et Izard. Ce collectif rassemble aujourd'hui plus de 60 médecins de toutes spécialités et a pour but « d’œuvrer contre les violences familiales, professionnelles et institutionnelles ». (lire notre article)
Hasard du calendrier, l'audience de ces deux médecins "protecteurs" se tient quelques jours après la journée internationale des droits de l'enfant du 20 novembre et du premier comité interministériel de l'enfance du 21 novembre à Matignon qui inscrit en objectif n°1 de l'action du gouvernement : la lutte contre les violences faites aux enfants (lire notre article). Invitée de BFMTV le 21 novembre, Charlotte Caubel a déclaré qu'elle sera « extrêmement attentive à la décision de l'Ordre des médecins qui est saisi à nouveau de sanctions possibles sur des médecins qui ont révélé des maltraitances ». La secrétaire d'État à l'Enfance a ajouté : «Tous les professionnels aujourd'hui doivent libérer leur parole sur ce qu'ils constatent (...). Ils ne le font pas assez ». Les Dr Izard et Fericelli l'ont fait et ont écopé de sanctions…
Rappel des faits. En décembre 2020, Eugénie Izard, pédopsychiatre à Toulouse [et présidente du REPPEA (réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et de l'adolescence) contre les maltraitances et violences sexuelles sur enfants] a été condamnée par l'Ordre des médecins à trois mois d’interdiction de pratique de la médecine après avoir signalé, en 2015, des soupçons de maltraitance sur une enfant de 8 ans. Le Conseil de l'Ordre arguait "la violation du secret professionnel" et "l'immixtion dans les affaires de famille". Le 30 mai dernier, le Conseil d’État a annulé cette sanction, considérant qu’il n’y avait pas violation du secret professionnel (lire notre article). Ce qui a conduit au renvoi de l’affaire d'Eugénie Izard, ce 24 novembre, devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins.)
"Les condamnations émanent du refus d’un principe simple : l’intérêt de l’enfant doit primer sur toute autre considération"
Le Dr Françoise Fericelli, médecin pédopsychiatre en Haute-Savoie depuis 30 ans a, elle-aussi, été sanctionnée par l'Ordre, début 2021, au motif d’"immixtion dans les affaires de famille" suite à un signalement de suspicion de maltraitance sur un enfant en danger âgé de 6 ans, ce qui a donné lieu à un dépôt de plainte du père. Le 22 avril dernier, elle a fait appel de cette décision. (voir interview ci-dessous).
« Les condamnations émanent du refus d’un principe simple : l’intérêt de l’enfant doit primer sur toute autre considération. Alors même qu’il est inscrit dans l’article 2 du code de déontologie que le médecin doit être le défenseur des plus vulnérables, l’application de cet article est trop souvent ignoré par l’ordre des médecins au profit d’autres principes comme celui du secret médical ou de l’interdiction d’immixtion dans les affaires de famille », critique le collectif Stop Violences Médecins.
Soumis au secret médical, risquant des dépôts de plaintes des parents agresseurs et des poursuites disciplinaires, les médecins ne sont à l'origine que de 5% des signalements de maltraitances sur mineurs, selon la Haute Autorité de santé. La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) recommandait, en mars dernier dans son rapport intermédiaire, qu’une obligation de signalement par les médecins soit inscrite dans la loi, et préconisait la protection des médecins contre des poursuites judiciaires ou ordinales. Une pétition a été lancée, le 20 février 2020, par deux médecins - les Dr Catherine Bonnet (lanceur d'alerte, sanctionnée 3 fois à trois ans d’exercice de la médecine en première instance le 5 décembre 1998 suite à des signalements d’agressions sexuelles sur mineurs) et Jean-Louis Chabernaud - qui demande une obligation inscrite dans la loi pour les médecins de signaler ces violences, sans risque de poursuites(modification de l’article 226-14 du code pénal).
(article publié le 24 novembre 2022, mis à jour le 24 novembre 2022)