Mylène Fernet, Université du Québec à Montréal (UQAM); Geneviève Brodeur, Université du Québec à Montréal (UQAM); Martine Hébert, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Roxanne Guyon, Université du Québec à Montréal (UQAM)
La technologie joue un rôle crucial dans les relations intimes des jeunes adultes. Elle facilite la rapidité avec laquelle ils peuvent entrer en contact avec leur partenaire et assure une accessibilité constante à leur vie privée.
Malheureusement, les technologies peuvent être aussi utilisées pour surveiller, contrôler, harceler et mettre de la pression sur un (ex)partenaire. Pour ce faire, différents dispositifs technologiques sont employés pour exercer ces formes de violence (ex. : géolocalisation, services de messagerie instantanée, chaîne de diffusion vidéo, réseaux sociaux). D’ailleurs, jusqu’à 78 % des femmes rapportent avoir déjà subi un geste de cyberviolence de la part d’un partenaire ou d’un ex-partenaire intime.
Tout comme les autres formes de violences dans les relations intimes, les cyberviolences se manifestent bien souvent dès les premières relations. Il est donc crucial d’intervenir rapidement afin d’éviter que certains comportements n’escaladent et ne se cristallisent.
Les initiatives de sensibilisation, bien qu’elles soient utiles et importantes, sont fréquemment développées par des experts (chercheurs et planificateurs de programmes), alors que ce sont les jeunes qui sont les mieux positionnées pour développer des initiatives auxquelles elles peuvent s’identifier.
C’est dans cette mouvance que notre équipe a mobilisé une démarche participative pour développer une nouvelle campagne de sensibilisation aux cyberviolences en contexte de relations intimes. Des contenus de recherche vulgarisés, ainsi que des capsules vidéos seront disponibles dès la Journée internationale des droits des femmes (8 mars), sur les réseaux sociaux du Laboratoire d’Études sur la Violence et la Sexualité (Facebook, Instagram et TikTok).
Ampleur des cyberviolences en contexte de relations intimes
Une recension systématique des écrits sur les cyberviolences en contexte de relations intimes conduite par notre équipe a révélé que celles-ci touchent majoritairement les jeunes femmes. Ces cyberviolences sont associées à une panoplie de conséquences délétères affectant leur santé mentale. Notamment, les victimes peuvent ressentir de l’anxiété, une moins bonne estime de soi et des idées suicidaires.
Des travaux de notre équipe montrent que 47,3 % des jeunes ont vécu de la cyberviolence en contexte de relation intime dans la dernière année, dont 75,2 % étaient des filles. Ces expériences étaient fortement associées à de la détresse psychologique.
Dès qu’il voyait que je n’étais pas chez moi, à l’école ou au travail sur la carte Snapchat, il me posait 15 000 questions ! Si j’étais en mode fantôme, il commençait à se fâcher et m’insulter parce que je lui cachais supposément chez qui j’étais.
Pour lui, j’ai l’impression que c’est plus qu’un droit, c’est une obligation que je partage mes codes. Un « pacte » de confiance… Si je ne lui donnais pas mes codes, c’est obligatoirement que j’avais quelque chose à cacher.
De plus, les cyberviolences sont souvent vécues en concurrence avec d’autres formes de violences dans les relations intimes, dites « traditionnelles » (psychologiques, physiques et sexuelles), ce qui peut exacerber leurs conséquences. Or, bien que les femmes âgées de 18 à 29 ans soient les plus à risque de subir des cyberviolences, leurs réalités et leurs besoins en termes d’intervention demeurent encore méconnus.
Mobiliser des jeunes femmes victimes de cyberviolences
Concernée par la situation des cyberviolences en contexte de relations intimes et dans un souci de reconnaître l’expertise des femmes qui en ont vécu, notre équipe a mobilisé des femmes âgées entre 18 et 29 ans pour développer une campagne de sensibilisation.
Ça fait vraiment du bien d’en parler avec vous et de se sentir comprise ! Ça faisait super longtemps que je ne m’étais pas replongée dans toute cette histoire, je croyais que ça allait être très difficile, mais c’est incroyable de voir à quel point ça fait du bien de se sentir véritablement comprise.
Nos nombreuses consultations avec elles ont mené au développement de 14 capsules vidéo portant sur des thèmes reconnus comme prioritaires : les différentes manifestations de la cyberviolence en contexte de relations intimes, les signes précurseurs (red flags), le partage des codes d’accès en relation, les façons de surmonter les obstacles liés à la recherche d’aide, les moyens de prévenir ou de mettre fin aux situations de cyberviolence, et le rôle clé des témoins, des proches et des intervenantes dans les parcours de recherche d’aide des victimes.
À titre d’exemple, la capsule vidéo sur les « red flags » illustre quelques signes qui devraient nous inciter à faire une introspection et à réfléchir sur notre relation afin d’éviter l’escalade de la cyberviolence. Des signes tels qu’un partenaire qui demande vos codes d’accès ou vous demande sans cesse à qui vous parlez sur les réseaux sociaux, qui remet en question votre malaise ou votre refus de répondre à ses questions, l’impression de marcher sur des œufs et le fait de ressentir plus souvent des émotions désagréables dans sa relation sont quelques « red flags » qui y sont abordés. La capsule vidéo se termine avec un message clair pour les victimes qui peuvent douter de leurs perceptions lorsqu’elles constatent certains signes dans leur relation : « Tu n’imagines pas des choses. Écoute-toi. »
Au terme de cette démarche, notre équipe a fait état d’un constat important : donner la parole aux populations concernées est incontournable pour orchestrer les actions de prévention des violences faites aux femmes et de promotion des relations intimes positives et égalitaires.
La prévention des cyberviolences en contexte de relations intimes
Engager les jeunes dans l’élaboration des initiatives de prévention et de sensibilisation leur étant destinées contribue non seulement à accroître leur sentiment d’autonomisation, mais assure que les messages véhiculés répondent adéquatement à leurs besoins. Par ailleurs, il importe de miser sur des approches qui font appel aux témoins et aux confidentes potentielles afin de les outiller à intervenir de manière adéquate et sécuritaire face aux cyberviolences.
Les garçons et les hommes ont aussi un rôle clé à jouer en matière de prévention des cyberviolences en contexte de relations intimes et devraient être interpellés par les messages de sensibilisation. Conjointement avec les initiatives de sensibilisation, des contenus d’éducation à la sexualité qui abordent les relations intimes positives et égalitaires et qui misent sur le développement d’un esprit critique face à l’utilisation des technologies dans les relations intimes, peuvent contribuer à réduire les cyberviolences, et par le fait même, à une société plus égalitaire pour les jeunes générations.
Mylène Fernet, Professeure titulaire, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM); Geneviève Brodeur, , Université du Québec à Montréal (UQAM); Martine Hébert, Professor, Department of Sexology, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Roxanne Guyon, Ph.D(c) sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.