Dans une tribune publiée, le 2 février, dans Marianne, François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne, qui accompagne 3600 enfants au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE) pointe du doigt « les contradictions de l'État concernant la protection de l'enfance ». En ligne de mire : les nouvelles dispositions relatives aux contrats jeunes majeurs.
Dans sa tribune*, François Durovray fait notamment référence à une récente condamnation du Conseil d’État à l’encontre de quatre conseils départementaux dont celui de l’Essonne, « au motif que notre collectivité a refusé d'accorder des contrats dits « jeune majeur » à des bénéficiaires potentiels frappés d’une obligation de quitter le territoire français (les fameuses OQTF…) [obligation de quitter le territoire français, ndlr] ». Pour rappel, par une décision rendue le 15 novembre 2022, le Conseil d'État a enjoint au département de l'Essonne de renouveler le contrat jeune majeur, d'héberger et répondre aux besoins essentiels d'une jeune de 19 ans en situation d'« extrême vulnérabilité » (lire notre article).
Dans plusieurs décisions, le Conseil d'État acte le fait qu'un jeune majeur faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) puisse toutefois bénéficier d’un contrat jeune majeur (lire notre article).
« Injonction ubuesque nous est ainsi faite de former et d’accompagner des mineurs sommés de quitter la France… Bienvenue en Absurdie ! Avant que le gouvernement ne sorte les muscles sur l’immigration à l’occasion de la présentation en conseil des ministres du projet de loi sur le sujet, encore faudrait-il d’abord penser à résoudre nos propres contradictions en la matière », juge François Durovray.
Depuis la loi du 7 février 2022 (dite loi Taquet), l’article L. 222-5 du CASF instaure un "droit à l’accompagnement" pour les jeunes majeurs de moins de vingt et un ans ayant été confiés à l’ASE durant leur minorité lorsqu’ils ne disposent pas de ressources ou d’un soutien familial suffisant. Un décret paru au Journal officiel du 6 août 2022 précise les modalités de mise en œuvre de cette prise en charge (lire notre article). « Dans l’Essonne, et j’en suis fier, nous allons au-delà de nos obligations légales en accompagnant ces jeunes jusqu'à 21 ans dans leur formation professionnelle avec ce dispositif. Toutefois, pour que ces contrats soient véritablement efficients, nous avons renforcé les exigences en les conditionnant à un projet professionnel construit et réfléchi », explique le président du conseil départemental de l’Essonne qui rappelle que l'aide sociale à l'enfance est le premier budget du Département, avec plus de 200 millions d'euros sur un total de 1,3 milliard.
"Ces actualités, jurisprudentielles comme législatives, viennent mettre à mal un système déjà affaibli par l’État"
Selon François Durovray, la loi Taquet vient « désormais ruiner une partie de nos efforts et de l’engagement des acteurs sociaux sur le terrain en imposant ce contrat jeune majeur à tous ». Et de poursuivre : « D’un dispositif incitatif, conditionné au mérite, le gouvernement en fait donc un dû, pour tous, nonobstant tout effort individuel. Les travailleurs sociaux en Essonne m’ont d’ores et déjà indiqué, à plusieurs reprises, les effets pervers de cette mesure qui affaiblissent considérablement notre action. Car, nous le savons, la réussite est aussi déterminée par les efforts de chacun, même dans l’accompagnement ».
De l'avis du président du Département de l'Essonne, « l’État ne joue pas pleinement son rôle ». Conséquences : « Les départements ont été confrontés à de nombreuses crises ces dernières années, notamment celle des migrants, et nous avons dû prendre en charge 40 000 mineurs étrangers isolés, sans quasiment aucun soutien. Nous avons également été confrontés à la défaillance – j’ose le mot – croissante des services de l'État, en assumant la responsabilité d’enfants nécessitant avant tout des soins médicaux (relevant de l’Autorité Régionale de Santé – ARS) ou une réponse pénale (relevant de la Protection judiciaire de la jeunesse – PJJ) et non une prise en charge par le département ».
« Ces actualités, jurisprudentielles comme législatives, viennent mettre à mal un système déjà affaibli par l’État », fustige François Durovray.
*Tribune publiée le 2 février 2023 sur le site de Marianne, marianne.net