« C’est papa qui a tué maman » dit l’enfant.
« Je sais que je n’ai pas tué sa mère » répond le père.
Ces échanges ont été entendus lors du procès d’un homme accusé de féminicide puis condamné à 25 ans de réclusion pour les faits, commis récemment en Seine-Saint-Denis.
Dans ce cadre précis, comme dans d’autres affaires telle que l’affaire dite d’Outreau, la déclaration de l’enfant a été prise comme une « vérité absolue ». Si les faits sont avérés, l’absence d’un avocat auprès de l’enfant lors d’un procès au pénal interroge. Car l’enfant, malgré son statut de mineur, participe aux décisions de justice autant qu’il peut les subir.
Celle-ci interroge d’autant plus en matière de protection de l’enfance, dans la mesure où la mission première du juge pour enfants consiste à protéger le mineur. Pour ce faire, le recueil de la parole de l’enfant en justice s’avère crucial, le juge pouvant ordonner le placement du mineur en vue de faire cesser la situation de risque ou de danger lorsque ceux-ci sont constatés.
L’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 ratifiée par la France en 1990 et le Canada en 1991, dispose que tout enfant capable de discernement a le droit de participer aux décisions (judiciaires ou administratives) qui le concernent selon son âge et son degré de maturité. Or, la parole de l’enfant en justice demeure un sujet complexe.
D’un objet de droit à un sujet de droit, le chemin a été long pour reconnaître à l’enfant un statut judiciaire à part entière dans les sociétés française et québécoise où j’ai mené mes recherches.
Plusieurs auteurs dressent un bilan critique de l’accès des enfants à la justice. Ils recommandent d’adapter la justice aux enfants qui sont les principaux concernés par la mesure de protection ordonnée par le juge pour enfants, conformément aux droits nationaux français et québécois.
En France, de nouvelles mesures en expérimentation
Le code civil français prévoit à l’article 388-1 le droit général de l’enfant d’être auditionné. Plus récemment, la loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfance dite « Loi Taquet », vise à améliorer la situation des enfants protégés. Elle constitue un début de réponse. En effet, cette loi prévoit la prise en compte de la parole de l’enfant via l’audition systématique, lorsqu’il est présenté devant le juge pour enfants, et ce en présence d’un avocat et (ou) la désignation d’un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts de l’enfant quand ceux-ci sont en opposition avec ceux de ses représentants légaux, de manière plus régulière.
Le 4 avril 2023, une proposition de loi visant à expérimenter la présence systématique de l’avocat auprès de l’enfant en protection de l’enfance a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale. La conférence des bâtonniers, une association d’avocats, est quant à elle favorable à l’expérimentation de la présence systématique de l’avocat auprès de l’enfant dont la situation nécessite une protection. Cette expérimentation pourrait définitivement induire la consécration d’un nouveau statut judiciaire pour l’enfance protégée.
La fragile question du discernement
Concernant les conditions de la participation de l’enfant protégé aux décisions qui le concernent, selon son âge, la pratique varie d’un tribunal à un autre, d’un juge à un autre, et il en va de même au sujet de l’évaluation du discernement du mineur qui relève de l’appréciation souveraine des magistrats.
Il est également à noter que le législateur confie au juge le pouvoir souverain d’apprécier le degré ou le poids de fiabilité à accorder à la parole de l’enfant.
À titre d’illustrations, dans un arrêt du 2 décembre 2020, le juge pour enfants avait décidé qu’il n’était pas de l’intérêt d’un enfant âgé de huit ans d’être entendu.
Sa tante avait pourtant indiqué que le mineur était capable de discernement, mais qu’il n’avait pas été entendu, ni par le juge pour enfants, ni par les juges d’appel. La Cour de cassation a ainsi cassé l’arrêt en question et elle a rappelé que le mineur doit être effectivement entendu et s’il ne l’est pas, le juge doit en motiver les raisons, à savoir son absence de discernement, ce qui n’était pas le cas ici.
Rappelons enfin que la notion de discernement chez l’enfant prend un autre contour en matière pénale (et non pas en matière de protection de l’enfance). En France, une loi de 2021 pose une présomption simple de non-discernement avant 13 ans mais qui peut être contre-balancée par les déclarations de différents acteurs (celles de l’enfant, ses proches, des éléments d’enquête, etc.).
Une recherche menée en 2021 par les professeures Caroline Siffrein-Blanc et Adeline Gouttenoire a permis d’observer des pratiques très variables des juges, « certains auditionnant systématiquement l’enfant sans les parents juste avant l’audience, d’autres uniquement si l’enfant en fait la demande, d’autres en fonction de son âge et de son degré de maturité ».
Les avocats et cadres de l’aide sociale témoignent « des difficultés que cela génère : insécurité, impossibilité de préparer l’enfant, stress de se retrouver en présence de ses parents, difficulté de libérer sa parole, ce qui le conduit parfois à garder le silence ».
Au Québec, une autre procédure de protection
Le code civil québécois prévoit en son article 34 les conditions générales de l’audition de l’enfant devant « être entendu si son âge et son discernement le permettent ». Or, de manière spécifique, la Loi sur la protection de la jeunesse ne prévoit pas la participation du mineur selon ces critères. En effet, en son article 6, la LPJ dispose que :
« Les personnes et les tribunaux appelés à prendre des décisions au sujet d’un enfant en vertu de la présente loi doivent donner à cet enfant l’occasion d’être entendu. »
Elle apparaît ainsi « plus respectueuse des droits de l’enfant dans la mesure où elle ne lie pas la participation de l’enfant à son âge ou sa capacité de discernement ». La particularité de cette procédure de protection de la jeunesse réside dans le fait que le mineur est parti à celle-ci, ce qui n’est pas le cas en France. Cela signifie que l’enfant bénéficie, comme les adultes, d’un statut judiciaire à part entière et qu’il peut, entre autres, faire appel de la décision de justice.
De plus, l’un de ses grands avantages consiste en « la désignation [systématique] d’un avocat indépendant auprès de l’enfant. C’est par conséquent une façon d’assurer la participation de l’enfant au tribunal, de manière indirecte (ou directe), selon les capacités du mineur qui lui sont propres et de sa situation familiale ».
Il existe aussi la possibilité pour l’enfant d’être accompagné d’un autre acteur : un chien d’assistance judiciaire au moment de l’audience pour être rassuré.
Ce dernier « accompagne et soutien moralement les personnes qui se disent victimes d’infractions pénales – en particulier les enfants – dans tous les actes de la procédure, de l’audition initiale au jugement. Le chien est spécifiquement formé pour cet objectif ». Cette innovation – qui n’est pas restreinte aux mineurs – remonte à 2016 au Québec et fait l’objet d’expérimentations en France depuis peu.
Des relations à tisser
La recherche empirique menée par la professeure Mona Paré dans quatre districts judiciaires au Québec nuance cependant ces résultats et montre que :
« [Si] la représentation juridique offre une excellente occasion aux enfants d’être entendus par le décideur […] une certaine pratique exclut les enfants les plus jeunes. Ceux-ci ne pouvant alors exprimer leur point de vue et être entendus. »
Enfin, bien que la participation de l’enfant constitue de manière générale un droit fondamental, il n’en demeure pas moins que par définition celle-ci ne constitue pas un devoir pour l’enfant. Le mineur qui refuse d’être auditionné n’a pas à motiver son refus, conformément au droit de l’enfant au respect de son silence dans le cadre des décisions qui le concernent, que ce soit en France comme au Québec.
Par conséquent, la relation entre l’enfant, l’avocat et le juge reste finalement à tisser. La participation de l’enfant en justice ne peut être effective qu’à la condition de lui apporter des garanties procédurales, d’outils et de moyens adaptés.
Amira Maameri, Doctorante en droit, Université de Bordeaux