Claude Roméo : « Inscrire la protection de l'enfance dans la Constitution »
Claude Roméo plaide pour une consolidation juridique des engagements internationaux de la France concernant les droits de l'enfant, notamment en inscrivant la protection de l'enfance dans la Constitution.
Le 8 avril restera une date importante avec la publication du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les manquements de la protection de l’enfance issu de 93 heures d’auditions et 126 personnes auditionnées et adopté à l’unanimité par l’ensemble des députés représentant les différents groupes politiques siégeant à l’Assemblée nationale.
La lecture des 500 pages montre le côté dérisoire des dernières propositions de la ministre Catherine Vautrin dans son interview à « Libération » du 7 avril, dont on peut s’interroger si cette démarche n’avait pas la tentation de passer sous silence la publication 24 heures plus tard du rapport de la commission d’enquête parlementaire.
D’emblée, la présentation par Isabelle Santiago, députée et rapporteure de la commission est accablante tant la crise est profonde dont « les premières victimes de cette situation, ce sont évidemment les enfants et les jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance ». Je rajouterai les professionnels épuisés par cette situation.
Les députés constatent que les compétences sont diluées, entremêlées avec un pilotage de l’État absent, faute de volonté politique et en raison de l’absence d’une vision globale de l’enfance en France comme l’a reconnu le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Ce qui faire dire à Isabelle Santiago que « l’État est le premier défaillant en France ». À cela s’ajoute l’implication très variable des Départements et des services déconcentrés de l’État dans les territoires qui conduit à des inégalités de chances très significatives en fonction des territoires. Je rajouterai à cela les pratiques professionnelles qui n’évaluent pas suffisamment face à la complexité des situations rencontrées.
De même, la rapporteure ne pense pas qu’une recentralisation à l’État puisse guérir « tous les maux de l’ASE ». C’est une appréciation qu’il convient de soutenir face à certaines déclarations ministérielles et présidentielles.
Il faut de toute urgence que l’État soit au cœur de cette politique publique pour renforcer et accompagner les Départements dans l’intérêt des enfants. Pour cela, le rapport propose, en cas de manquements du Département sur les missions de protection de l’enfance, de renforcer l’action du Préfet du Département. Cela doit s’accompagner par un seul interlocuteur identifié de l’État au niveau du corps préfectoral comme le préconise le rapport de la cour des Comptes de juillet 2022 et non la proposition de délégués du Préfet sans aucune autorité qui ne correspond pas à la situation de difficultés actuelles.
Face à ces manquements historiques de l’État avant et après les lois de décentralisation de l’action sociale en matière de protection de ses enfants, cela doit passer selon la rapporteure par la reconnaissance des victimes grâce à la création d’une Commission nationale de réparation pour les enfants placés qui ont étés victimes de maltraitances dans les institutions.
92 propositions pour une autre politique de protection de l'enfance
Face aux constats, la Commission d’enquête parlementaire fait 92 propositions dont la priorité doit être donné à la prévention primaire dans un plan de soutien à la périnatalité et à la parentalité jusqu’aux cinq ans de l’enfant et qui se complète avec la prévention des 1000 premiers jours de vie.
Il faut aller plus loin aussi avec la prévention secondaire en protection de l’enfance en amont des mesures éducatives pour éviter le recours à la protection de l’enfance. Je soutiens la proposition de la Commission à un investissement massif dans la prévention pour mettre fin à 75 % des mesures éducatives judiciarisées non négociées avec les parents.
À cela ajoutons ce que deviennent les différents rapports du CESE, de la mission d’information du Sénat, de la Cour des comptes qui alertent sur le recours massif à l’intérim comme réponse aux 30 000 postes vacants qui à terme risque l’introduction du secteur privé lucratif dans la protection de l’enfance. Cela nécessite un effort sans précédent de l’État, des Régions et des Départements en matière non seulement de formation, mais aussi par une augmentation significative de centres de formation. Il n’est plus possible d’admettre que face aux 30 000 postes vacants, il y ait seulement 4 300 diplômés chaque année. Dans ce domaine, un plan d’urgence exceptionnel se justifie.
L’urgence commande aussi le renforcement des moyens de la justice des mineurs pour mettre un terme à 600 jeunes suivis par juge des enfants au lieu de 300 selon les référentiels avec l’impossibilité de tenir l’objectif de décisions dans les 3 mois prévus par les textes en vigueur. À cela s'ajoutent les difficultés d’accueil qui aboutissent à plus de 3 000 mesures d’admission à l’ASE non exécutées et des délais de mise en œuvre des actions éducatives pouvant atteindre 12 mois après la décision du juge pour enfants, laissant l’enfant en risque de danger sans suivi éducatif dans le milieu familial.
L’autre sujet inquiétant soulevé dans le rapport est celui de la santé des enfants avec l’obligation des bilans de santé à l’admission à l’aide sociale à l’enfance que seuls 44 % des conseils départementaux l’ont mise en place et seulement 28 % l’ont rendu systématique. Nous pourrions rajouter la situation du tiers des enfants souffrant de troubles psychologiques importants admis à l’ASE faute de places en pédopsychiatrie et pour lesquels le délai d’attente pour une consultation peut atteindre 12 mois en moyenne. Je me réjouis que le rapport propose pour améliorer la prise en charge sanitaire de ses enfants à double vulnérabilité, de systématiser des conventions entre l’ASE, les MDPH et les ARS.
Bien d’autres questions sont évoquées particulièrement sur la situation des pouponnières qui connaissent de graves difficultés accueillant des bébés en sureffectif et en sous-effectif de personnel faisant dire au Pr Céline Greco que les traumatismes vécus peuvent se traduire par une espérance de vie réduite de vingt ans par rapport à la population générale.
« Conférer à la protection de l'enfance une pleine valeur constitutionnelle »
Cette commission d'enquête aboutira-t-elle à un nouveau rapport dont les recommandations resteront lettre morte, comme ce fut le cas pour tant d'autres dossiers ? Cette question souligne l'impératif d’aller au-delà du constat pour consolider juridiquement les engagements internationaux de la France en matière de droits de l’enfant et leur garantir une protection effective à hauteur de leurs vulnérabilités.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) incluant la protection de l’enfance énonce clairement dans son article 3 que « dans toutes décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
Cet article constitue une norme internationale contraignante, mais son application demeure inégale, notamment en raison de la dualité des ordres juridiques. En effet, selon l’article 55 de la Constitution, les traités ont une valeur supérieure à la loi, mais ils restent suivis d’une interprétation jurisprudentielle et ne bénéficie de la force normative directe d’un principe fondamental.
Inscrire la protection de l’enfance dans la constitution permettrait de lui conférer une pleine valeur constitutionnelle au même titre que les principes tels que la dignité de la personne humaine reconnue comme principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel (décision du 27 juillet 1994) où la liberté individuelle (article 66 de la Constitution).
Une telle réforme donnerait au Conseil constitutionnel le pouvoir d’exercer un pouvoir de constitutionnalité a priori et a posteriori sur les lois susceptibles de porter atteinte aux droits de l’enfant. De plus cette évolution contribuerait à une harmonisation des politiques publiques et à la réduction des inégalités territoriales dans le champ de la protection de l’enfance en imposant une exigence à toutes les collectivités publiques conformément à l’article 72.2 de la Constitution qui organise la libre administration des collectivités territoriales.
Enfin, l’inscription dans la Constitution d’un principe fondamental de protection de l’enfance fonde l’intérêt supérieur de l’enfant permettant de renforcer la hiérarchie des normes, de sécuriser les droits fondamentaux des mineurs et de rendre justiciable toute atteinte grave à ces droits. Elle consacrerait la place de l’enfant comme sujet de droit protégé au plus haut niveau normatif en complément avec l’évolution du droit international et les valeurs républicaines.
Certes, le chemin sera long pour parvenir à une telle décision dans un climat politique donnant la priorité au répressif plutôt qu’à l’accès aux droits. Mais ce droit ne pourra pas échapper à une décision du législatif. Il en va de l’avenir de notre société. Comme l’écrit Saint-Exupéry, « nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, mais nous l’empruntons à nos enfants ».
Claude ROMÉO
Directeur départemental honoraire Enfance-Famille Seine-Saint-Denis
Ancien Président de l’ANDASS