« C'est l'avenir de quinze millions d'enfants qui se trouve suspendu au scrutin de ces élections législatives »

Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France, alerte dans une tribune publiée aujourd’hui sur le site du Monde, sur « les graves menaces » qui pèsent sur les droits des enfants en France.

Présidente de l'UNICEF France, organisation de défense des droits de l'enfant, j'ai consacré ma vie à la protection des droits et libertés, dans toutes mes fonctions qu'elles soient électives, professionnelles (comme magistrate) ou associatives, et plus particulièrement à ceux des enfants et des jeunes. Aujourd'hui, les conséquences de la dissolution de l'Assemblée nationale et les perspectives ouvertes par les résultats du premier tour des élections législatives me font craindre une régression inédite des droits des enfants en France. A l'aune des débats durant cette courte campagne et des annonces les affectant directement, il est de ma responsabilité aujourd'hui de prendre la parole pour exprimer ma vive inquiétude. La décision prise par le président de la République le 9 juin risque d'aboutir à une très forte régression de ces droits, consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France il y a trente-cinq ans. Car c'est l'avenir de quinze millions d'enfants qui se trouve suspendu au scrutin de ces élections législatives. La continuité de l'action publique avait déjà été compromise par les remaniements successifs. Des politiques publiques urgentes, telles que la santé de l'enfant, notamment sa santé mentale, la lutte contre la pauvreté et la protection de l'enfance, sont aujourd'hui dans un état très critique. La suspension de certaines initiatives et engagements pris par le gouvernement et le comité interministériel de l'enfance, comme le pacte des solidarités et l'observatoire de la non-scolarisation en sont de flagrants exemples.

La jeunesse stigmatisée

Durant cette campagne, l'enfance est totalement absente des débats, sauf pour annoncer des durcissements de la politique pénale traitant les mineurs comme des adultes, au mépris du principe fondateur de primauté du préventif sur le répressif. L'instauration de la procédure de comparution immédiate pour les mineurs, tout comme la suppression de l'excuse de minorité ne sont pas acceptables. Cette perspective représenterait une régression dangereuse, alors même que la dernière réforme en profondeur - l'élaboration d'un code de justice pénale des mineurs - date de 2021. Les mineurs, même lorsqu'ils commettent des erreurs, méritent une chance de réhabilitation et d'intégration sociale. J'ai rencontré tant de détenus broyés, lorsqu'ils étaient mineurs, par cette justice répressive qui n'a jusqu'à preuve du contraire produit aucun effet positif. Alourdir les peines, c'est risquer de briser des vies plutôt que de les reconstruire. Je mesure la facilité du toujours plus répressif. Peu importe d'ailleurs que de telles annonces soient en réalité limitées dans leurs effets sur les maux qu'elles sont censées combattre. On ne lutte pas contre l'insécurité en stigmatisant sa jeunesse. On ne résout pas les problèmes du pays en déséquilibrant l'édifice judiciaire. Ces remises en cause des droits humains risquent non seulement d'exacerber les inégalités, mais aussi de compromettre irrémédiablement l'avenir des enfants.

Imaginons un seul instant les dangers qu'engendrerait l'introduction de la « préférence nationale » dans l'accès aux services : suppression de l'aide médicale d'Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière et donc pour leurs enfants; discriminations dans l'accès aux cantines scolaires ou au logement, qui accroîtraient encore le nombre d'enfants sans domicile… Tout cela serait contraire aux principes d'égalité inscrits à la fois dans la Convention internationale des droits de l'enfant et dans notre Constitution.

Premières victimes des crises

Je suis alarmée à l'idée qu'une politique encore plus répressive envers les mineurs non accompagnés puisse être mise en place. En les associant directement à l'insécurité ou en sortant leur prise en charge du droit commun de la protection de l'enfance, on alimente la stigmatisation. En portant des propositions pour généraliser les tests osseux ou instaurer une « présomption de majorité », on leur refuse la protection dont ils ont désespérément besoin. Ce déni de protection est strictement contraire à la Convention. Force est de constater également que les enjeux internationaux ont été très largement absents des débats, notamment au regard de l'exigence de solidarité dans un monde où les enfants sont les premières victimes des conflits et des crises environnementale et économique.

Le comité des droits de l'enfant de l'Onu a lui-même rappelé en juin 2023 que les droits de l'enfant ne sont pas suffisamment respectés en France et a appelé le gouvernement à faire davantage. L'avenir que nous construisons pour eux doit être au cœur d'une société plus juste et durable. Ignorer cette vérité fondamentale, c'est compromettre notre propre futur collectif.

À l'UNICEF France, nous appelons à construire une stratégie pour l'enfance sur l'ensemble du territoire, dans l'Hexagone comme dans les territoires d'outre- mer et à l'international, avec des mesures concrètes à mettre en œuvre dans les trois prochaines années. C'est pourquoi j'appelle chaque citoyenne et citoyen, chaque candidat et candidate, à choisir le parti des enfants. Le 7 juillet, choisissons de vivre dans une société où l'égalité des droits pour tous les enfants n'est pas négociable.

Adeline Hazan, ancienne contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et magistrate honoraire, est présidente de l'Unicef France. Adeline Hazan (Présidente de l'Unicef France)

Tribune publiée sur le site du Monde le 3 juillet 2024


UNICEF France appelle à développer « une stratégie globale pour les droits de l’enfant, pilotée par un ministère de l’Enfance, et suivie par une délégation aux droits de l’enfant au Parlement ». L'agence onusienne en France formule aux candidats aux législatives 12 recommandations pour les trois prochaines années, « visant à renforcer la gouvernance des droits de l’enfant, lutter contre la pauvreté infantile, améliorer les conditions de vie dans les territoires ultra-marins, et investir davantage dans la prévention et la protection de l’enfance »

Les 12 recommandations de l’UNICEF France contre la dissolution des droits de l’enfant
1 - Développer une stratégie globale pour les droits de l’enfant, pilotée par un ministère de l’Enfance, et suivie par une Délégation aux droits de l’enfant au Parlement
2 - Faire de la lutte contre la pauvreté des enfants une priorité nationale
3 - Développer et mettre en œuvre une feuille de route triennale visant au respect des droits de l’enfant dans les territoires ultra-marins
4 - Investir urgemment et durablement dans la prévention et la protection des enfants pour garantir leurs droits fondamentaux, qu’ils soient français, étrangers et/ou non accompagnés
5 - Assurer la primauté des mesures éducatives en matière de justice des mineurs et garantir leur effectivité par des moyens suffisants
6 - Préserver les droits de l’enfant dans la mise en œuvre de la politique migratoire (notamment dans l’application de la loi immigration et du Pacte européen sur la migration et l’asile)
7 - Mettre en place une politique pluriannuelle et interministérielle en faveur de la santé mentale des enfants et des adolescents
8 - Développer une politique ambitieuse pour faire de la réussite éducative de tous les enfants vulnérables en France une priorité
9 - Associer les enfants et les adolescents à la vie démocratique, en développant des instances de participation et de prise en compte de la parole de l’enfant
10 - Prioriser les enfants dans la lutte contre la crise climatique, pour garantir leur droit à un environnement sain, propre et durable
11 - Réengager la hausse des montants dédiés à la coopération publique au développement et à la solidarité internationale
12 - Renforcer l’engagement diplomatique de la France en faveur des droits de l’enfant dans les contextes humanitaires