Si les politiques des drogues restent très clivées, un point fait aujourd’hui consensus : la protection des mineurs. C’est notamment dû à leur vulnérabilité et aux dommages que ces substances peuvent causer à leur corps, plus particulièrement à leur cerveau, encore en maturation. C’est aussi lié au fait qu’à cet âge, on prend des habitudes qui peuvent se révéler problématiques, voire dangereuses, pour la santé toute la vie. On s’accorde donc à vouloir préserver les populations les plus jeunes des dégâts parfois irréversibles que peuvent causer ces produits.
Soulignons cependant qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant longtemps, la consommation de tabac et d’alcool n’était pas interdite aux mineurs, voire, dans certains milieux, familiaux et professionnels, encouragée. Ainsi, le vin Mariani, qui contenait de la cocaïne, conseillait sur son étiquette une dose d’un verre à Bordeaux pour les adultes, précisant que, pour les enfants, un verre à Madère est suffisant !
De nos jours, la consommation de substances psychoactives semble globalement en recul chez les plus jeunes.
À quoi cela est-il dû ? Les campagnes de prévention sont-elles efficaces ? Qu’est-ce qui influence les comportements des adolescents ? Ce questionnement est complexe car le lien de causalité peut difficilement être prouvé. Les différentes études réalisées montrent une pluralité de facteurs, en plus de considérations psychologiques (mal-être, dépassement des limites, recherche de sensations inédites, de plaisir, de performances, goût de l’interdit, etc.) qui varient selon les individus.
Un marketing des drogues qui cible les jeunes
Si l’environnement social et familial joue assurément un grand rôle, le marketing des drogues doit être pris en compte, et, depuis Mariani, il a beaucoup évolué. Il s’est non seulement appuyé sur une forme classique de publicité, mais a aussi utilisé les créations audiovisuelles. Hollywood et ses producteurs ont ainsi pu compter sur le soutien financier de l’industrie du tabac, parfois dans des dessins animés pour enfants comme les Flintstones (les Pierrafeu en français).
Comme la cigarette au bec des héros de westerns ou de films policiers, le verre d’alcool ou la bière prisés par les protagonistes de fictions ont probablement contribué à banaliser ces types de consommations auprès des jeunes publics ; il en fut de même pour les scènes « amusantes » d’ivresse dans les comédies, qui contournèrent les codes moraux alors en vigueur outre-Atlantique. Mais le marketing ne s’arrête pas là pour les producteurs d’alcool, les directives actuelles concernant le packaging des paquets de cigarettes présentant désormais des messages préventifs explicites ne s’appliquant pas aux bouteilles ou canettes, qui peuvent, par leur forme ou leurs couleurs, encore largement séduire.
Pour les drogues dites illégales, et en particulier le cannabis, une forme de marketing artistique en direction des jeunes existe également. En plus d’un ensemble de films et séries qui ont banalisé l’usage de joints, la scène musicale a extrêmement popularisé la « fumette », de nombreuses célébrités, depuis les années 1960-1970, exposant leur consommation. Un genre musical, le reggae, a même contribué à donner une sorte de dimension culturelle à toute une génération de fumeurs de ganja.
Plus récemment, sur un tout autre registre, on observe dans nos cités, où les dealers, c’est à noter, sont parfois mineurs, de véritables campagnes de publicité pour certains points de vente et des emballages coloriés, représentant parfois des personnages/visuels de la pop culture (dessins animés, jeux vidéos, marques de bonbons détournées).
Des campagnes de prévention efficaces ?
Pourtant, en dépit des efforts de tous ces marketeurs, l’usage de drogues semble reculer chez les jeunes. Dans sa dernière enquête Escapad, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) indique une baisse continue et générale des trois principales substances consommées par les adolescents – le tabac, l’alcool et le cannabis – même si certains groupes sociaux paraissent plus fragiles, comme les élèves en filière professionnelle ou les jeunes déscolarisés.
Comme le notait Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (Mildeca), dans le deuxième numéro de la revue en ligne Politiques des drogues, cette nette tendance à la baisse est perceptible depuis une dizaine d’années. D’après lui, un ensemble de programmes et de campagnes de prévention, parfois dès le plus jeune âge, ont notamment contribué à donner aux jeunes les compétences psychosociales susceptibles de renforcer la prévention de conduites à risques. D’autres initiatives ont permis à des élèves d’échanger en classe avec des policiers formateurs anti-drogue, tandis que des méthodes plus pointues sont conçues, comme la fiche Ageven, qui questionne les parcours de consommation à l’adolescence.
Face à toutes ces actions, il convient cependant de rester prudent. Il faut tout d’abord mentionner que les chiffres qui montrent ces diminutions des usages, par définition, ne sont pas totalement fiables.
Quand on parle d’une population représentative de quelques milliers de jeunes (sollicités lors de la journée défense et citoyenneté pour l’enquête Escapad), on peut légitimement s’interroger sur les critères qui ont permis de constituer l’échantillon et d’affirmer cette représentativité, mais aussi sur la véracité des déclarations des adolescents, gênés ou au contraire parfois fiers de parler de leur consommation. Surtout, il serait extrêmement difficile de démontrer un lien de causalité entre ces politiques publiques de prévention et les baisses constatées, quand bien même on peut penser à une contribution – mais dans quelle proportion ?
Une consommation de nouveaux produits
En considérant cependant comme établi cette baisse pour les trois produits phares, le fait est que le secteur des drogues étant particulièrement dynamique, des produits originaux voient régulièrement le jour, parvenant à capter de nouveaux clients.
Ainsi, alors qu’aujourd’hui la consommation classique du tabac a nettement diminué chez les jeunes, les cigarettes électroniques connaissent au contraire une nette progression. Certains fabricants, jamais à court d’inventivité quand il s’agit de rechercher un profit à la fois rapide et pérenne grâce aux addictions induites, ont mis au point les « puffs », e-cigarettes avec ou sans nicotine, avec un prix compétitif, un emballage attractif, des saveurs sucrées et fruitées qu’apprécient les adolescents, et que l’Académie de médecine considère comme un piège pour les enfants. Le gouvernement français songe d’ailleurs à interdire les puffs.
Le recours à des produits complètement légaux, mais détournés de leur utilisation habituelle, menace aussi les jeunes publics. Colles, éther, eau écarlate, solvants, etc., qui peuvent détruire les cellules du cerveau, sévissent tout particulièrement auprès des enfants des rues, comme ce fut le cas en Roumanie ou encore en Tunisie. Récemment, c’est le protoxyde d’azote (gaz hilarant) qui a beaucoup fait parler de lui en France, avec une propagation de ses usages.
Illégale, mais également facilement accessible et peu onéreuse, une autre drogue paraît actuellement connaître un fort succès auprès des jeunes, le « buddha blue », cannabinoïde de synthèse qui s’avère bien plus dangereux que le cannabis naturel et marketé spécialement pour les adolescents, qui peuvent s’en procurer facilement sur Internet. Le cannabis naturel, qui est toujours consommé en masse en France, s’est ainsi un peu « ringardisé », ses utilisateurs étant de plus en plus vieux.
Finalement, si la drogue n’est donc plus nécessairement, comme ce fut le cas dans les années 1960-80, l’apanage d’une jeunesse contestataire, les nouveaux usages et produits semblent conserver quand même quelques invariants, en particulier leur faible coût et leur accessibilité. Or ce sont deux paramètres contre lesquels les politiques publiques ciblant les jeunes ont justement montré une certaine efficacité, en tout cas pour l’alcool et le tabac, c’est-à-dire les drogues dites légales…
Sonny Perseil, HDR en science politique et sc. de gestion, Lirsa EA4603, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)