Nadia Beddiar, Université de Lille
Où en sommes-nous aujourd’hui en matière de respect des droits de l’enfant placé ? La consécration des droits des mineurs délinquants faisant l’objet d’un placement ordonné par l’autorité judiciaire est un phénomène relativement récent.
Dans son ouvrage intitulé « Enfance placée et service public » publié fin 2021 aux Presses universitaires du Septentrion, Nadia Beddiar, professeure en droit public, analyse l’évolution de la prise en charge des mineurs au sein des établissements d’hébergement de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en se penchant sur le sens et le contenu des droits de l’usager au sein de la réglementation de cette administration. Extrait._
Les acteurs de la protection des droits de l’enfant
Conformément à ses engagements internationaux et conscient de l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, l’État français s’est doté d’un instrument particulier visant à protéger l’enfant de justice et l’enfant en danger, une administration publique spécifique : l’Éducation surveillée, devenue en 1990, la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Ainsi, la protection des enfants, la réponse à leurs besoins et, dans une dynamique juridique, la garantie de leurs droits fondamentaux sont inscrites dans l’essence de cette administration. Ces missions sont également celles des départements qui œuvrent en matière de protection des enfants en danger, à travers les services de l’aide sociale à l’enfance.
La PJJ est une administration jeune, placée sous l’égide du ministère de la Justice. Elle occupe une place majeure dans les dispositifs juridiques concernant les mineurs délinquants et, dans une moindre mesure, les mineurs en danger en tant qu’actrice de la protection de l’enfance. Ses missions sont énoncées à l’article 7 du décret du 9 juillet 2008 relatif à l’organisation du ministère de la Justice et le décret n°2013-977 du 30 octobre 2013 relatif aux établissements et services du secteur public de la Protection judiciaire de la jeunesse. La PJJ assume des missions de diverses natures, qui consistent essentiellement, à la mise en œuvre d’une mesure éducative ou d’une peine. Ainsi, elle entretient une relation particulière avec les institutions judiciaires puisqu’elle est compétente pour mettre en œuvre les décisions émanant des magistrats, mais aussi par son aide à la prise de décision du juge en organisant des investigations dans le milieu naturel et familial de l’enfant. Dans le cadre du milieu fermé, la PJJ occupe à présent un rôle accru en matière d’aménagement des peines, dans la mesure où cette phase répond à la finalité de l’action éducative orientée vers la réinsertion du mineur détenu.
Selon la décision du magistrat, l’enfant peut être momentanément séparé de sa famille pour faire l’objet d’un placement dans une unité d’hébergement dans le but d’entamer ou de poursuivre un travail éducatif. Pour l’ensemble des axes d’intervention, c’est le milieu ouvert qui supervise la mise en œuvre de toute action éducative, y compris en détention.
Si le système français consacre une administration spécifique à cet objectif de protection et de rééducation des enfants en conflit avec la loi, la garantie des droits fondamentaux reste généralement insatisfaisante.
En premier lieu, la Cour européenne des droits de l’Homme exerce un contrôle utile sur le respect des droits de l’enfant par les États du Conseil de l’Europe. Si le contentieux de la minorité est réduit en raison notamment des voies d’accès à la Cour (épuisement des voies de recours interne), chaque arrêt rendu présente une part de symbolique forte. La Cour a eu l’occasion de condamner la France pour ne pas avoir mis en application son obligation de protection d’une enfant, victime de maltraitance de la part de ses parents. Elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention (interdiction de la torture, des traitements inhumains et dégradants).
Puis, le Comité des droits de l’enfant, organe de l’ONU garant de l’application de la CIDE, produit périodiquement des rapports sur la situation française qui témoignent d’importantes lacunes dans la protection des droits des enfants les plus vulnérables.
À ces rapports du Comité, s’ajoutent ceux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et ceux du Défenseur des droits.
Les observations finales du Comité des droits de l’enfant concernant le 5e rapport périodique de la France font état d’importantes inquiétudes concernant les enfants en situation de handicap soumis à des situations de maltraitances institutionnelles. Il souligne par exemple que « le personnel dénonçant les mauvais traitements aurait été accusé de diffamation et condamné, alors que les auteurs ont rarement été traduits en justice, alors qu’il existait des preuves sous forme d’enregistrements vidéo ». Ces situations de maltraitances, qui soulèvent la question de la surveillance et du contrôle de ces établissements par des autorités indépendantes, sont portées à la connaissance du Défenseur des enfants, par le biais des mécanismes de saisine. Globalement, il relève également des situations attentatoires aux droits de l’enfant comme la persistance des discriminations en matière d’éducation et un accès au droit difficile.
Plus récent, le rapport annuel du Défenseur des enfants, pour l’année 2019, est consacré aux violences commises à l’encontre des enfants au sein des institutions publiques.
Sans détour, le Défenseur des enfants dresse le constat que les violences institutionnelles (actions, omissions ou négligences) faites aux enfants sont peu prises en compte en raison d’une banalisation ou d’une minimisation de ces faits de violence. Elles font globalement l’objet d’une connaissance très lacunaire. Il reconnaît la responsabilité des certaines institutions qui, de par leur fonctionnement, engendrent de la violence mettant en danger les enfants et ne répondent pas à leur intérêt supérieur.
Parmi les nombreuses atteintes à leurs droits, le rapport note qu’aucun poids n’est donné à la parole de l’enfant, ce qui oriente la pratique des institutions qui continuent d’appréhender l’enfant comme un objet de droit et non un sujet de droit, et ce malgré le processus d’humanisation des prises en charge.
Dénotant un fort degré de gravité, le Défenseur des droits cite l’exemple de la situation d’une adolescente accueillie au sein d’un foyer relevant de la protection de l’enfance (compétence départementale). Elle indiquait avoir été victime d’agressions sexuelles de la part d’un veilleur de nuit, qui n’a pas été licencié par son employeur. Le traitement des saisines par le Défenseur des droits sur la problématique des violences commises à l’encontre des enfants soulève une difficulté récurrente : le traitement de la parole de l’enfant met en évidence la question de sa crédibilité, « notion controversée, révélatrice de l’ambivalence sociale et de la difficulté de l’exercice du doute ». Elle semble susciter le plus souvent de la défiance, en particulier lorsqu’elle est portée par les mineurs victimes.
Cette parole, lorsqu’elle est incitée à se libérer, est la condition indispensable à l’exercice des droits du mineur, pour tous ses statuts, y compris celui d’usager d’un établissement ou d’un service public.
Nadia Beddiar, Professeur des universités catholiques - Chercheur associé au CERAPS-CNRS, Université de Lille
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.