Analyse de Jean-Pierre Rosenczveig : Justice des mineurs : le plan Dupond-Moretti sans souffle
Billet de Jean-Pierre Rosenczveig, Magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), publié le 7 janvier sur son blog.
Comment ne pas saluer le programme ambitieux présenté par le ministre de la Justice le 5 janvier dernier ? (lire notre article)
On doit certes relever l’importante mobilisation financière annoncée pour rénover les conditions de fonctionnement de l’institution souvent dégradées et/ou sous-dimensionnées, mais aussi le renforcement sensible des effectifs de magistrats et de greffiers ou encore d’assistants de justice. Tout cela traduit indéniablement un acte effectivement historique, sans précédent, relativisant l’effort alors symbolique de 1981, qui doit indéniablement être mis à l’actif de l’avocat qui a su plaider avec conviction et monnayer au plus haut sa nomination comme ministre.
On doit aussi se réjouir de voir retenues nombre de préconisations avancées de longue date pour améliorer les réponses judiciaires. Comme d’affecter en détachement du grade et de la fonction les magistrats expérimentés à la justice quotidienne de proximité tout en leur permettant de poursuivre leur carrière personnelle ou encore la constitution d’équipes autour de magistrats, notamment de juristes, pour leur permettre d’aborder plus rapidement et en meilleure situation les cas dont ils auront à connaître.
On relèvera aussi que ce plan appelle la Justice à des mutations fondamentales. Certaines sont techniques à travers la numérisation des procédures avec le projet de voir disparaître les dossiers papier ; d’autres sont plus structurelles comme le souci de voir se développer la conciliation en matière civile.
Bien sûr l’expérience veut, sans mettre un instant en doute la bonne foi ministérielle, que l’on ne s’emballe pas et que l’on attende de voir petit à petit ces annonces se concrétiser sachant que la plupart ne peuvent pas ne pas prendre un certain temps pour se décliner sur le terrain et produire les effets attendus.
Ces satisfécits accordés le plus objectivement possible, on peut aussi s’attacher aux pages moins ambitieuses de ce projet avec le même crédit.
Ainsi c’est peu de dire que le chapitre "Justice des mineurs" est léger. On aurait souhaité le même souffle quand d’autres domaines. A la décharge – pro forma – du ministre qui se réfère pour son initiative au rapport Sauvé, ce dernier est lui-même très léger sur le sujet en y consacrant à peine 3 pages sur 300, qui plus avec une approche datée et des préconisations de nature, c’est le moins qu’on puisse dire, surprenantes ; de nature à semer la confusion. Ainsi entre les missions du juge des enfants et celle du juge aux affaires familiales (JAF) quand il est suggéré que ce dernier puisse disposer d’équipes éducatives quand le juge pour enfants pourrait désormais, mais uniquement pour les mineurs étrangers au risque de se voir taxer de discrimination, de déléguer l’exercice de l’autorité parentale, mission qui relève priori du JAF !
Certes sur un sujet désormais hyper-sensible le Garde des Sceaux s’attache aux enfants victimes de violence, notamment sexuelles ou intrafamiliales, avec le souci de faciliter la prise en compte de leur personne et de leurs droits en les assurant plus fréquemment de la présence d’un administrateur ad hoc – au passage sans s’attacher aux difficultés pour s’attacher aujourd’hui les services de ses administrateurs ad hoc – ou encore avec la préoccupation de faciliter l’expression de ces enfants en justice via l’assistance de chiens d’audience ou par un accompagnement spécifique pour se familiariser avec le lieu ils auront à témoigner.
Bien évidemment, ces rappels de mesures déjà annoncées vont dans le bon sens. Mais quid de l’avenir d’une juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales préconisée de plus en plus fréquemment notamment par des parlementaires ? Ne faut-il pas plutôt veiller au renforcement des services actuels (parquet, JAF, juges d’instruction, juges des enfants, juridictions pénales, etc.) et à une meilleure articulation entre eux ? Implicitement le ministre semble aller en ce sens. Ne fallait-il pas percer l’abcès en cette occasion ?
Surtout pas un mot sur la procédure d’assistance éducative quand nombre continuent de dénoncer la double compétence des tribunaux pour enfants et de l’administration sociale en se méprenant : ils ne remplissent pas la même mission et leur interventions sont hiérarchisées. Plus prosaïquement, quand les magistrats comme les services sociaux, sur l’ensemble du territoire national, dénoncent plus que jamais les mesures judiciaires non exécutées quoique le diagnostic de danger ait été posé et confirmé, quid pour les assurer que dans l’avenir les mesures d’accompagnement parental décidées par les tribunaux pour enfants, a fortiori celles qui visent à faire accueillir l’enfant hors du milieu familial seront désormais mises en œuvre et sans attendre ? Quelles dispositions avance-t-on pour s’assurer que demain les orientations ne seront pas prises encore trop souvent par défaut, mais que les décideurs disposeront des moyens adaptés au diagnostic posé ?
Certes l’aide sociale à l’enfance doit rester prestataire de service par souci de cohérence pour les juridictions, mais celle-ci ne doivent-elles pas disposer de moyens financiers leur permettant de contribuer au développement et au financement des structures d’accompagnement ou d’accueil d’enfants. Le silence est ici assourdissant, trahissant un manque de prospective.
"Le CEF n’est pas une fin en soi ; il n’est qu’un moment d’un accompagnement qui s’écoule sur plusieurs, mois sinon plusieurs années. Créer 23 CEF n’est un plan en soi. "
Le ministre ne s’attache qu’à la délinquance juvénile avec un double projet loin d’être innovant et déjà plus ou moins énoncé : accroître le nombre de centres éducatifs fermés et faire appel aux anciens militaires pour encadrer les jeunes.
Le projet avancé est court, très court. Qu’on en juge !
« Le grand programme de construction des Centres éducatifs fermés se poursuit. Aujourd’hui, on compte 53 CEF en activité ; les travaux des 20 CEF « nouvelle génération » sont lancés » , est-il avancé.
Déjà la réponse institutionnelle est modeste si on veut bien observer qu’un centre éducatif fermé accueille en théorie une dizaine de jeunes, mais en pratique plutôt entre 6 et 8, soit une capacité globale en perspective de 700 places environ pour un instant T et 1500 ou 2000 sur l’année quand les tribunaux pour enfants ont à connaître de 50 à 60 000 jeunes sur la même période ! (1)
Qui plus est, pour justifier ces efforts renforcés pour se doter de CEF "nouvelle génération", le ministre avance des résultats dont on aimerait connaître les sources scientifiques quand il affirme que « ces CEF constituent des outils efficaces pour éviter la récidive des mineurs délinquants et les remettre dans le droit chemin. Car 75% des jeunes, qui sortent de CEF, ont un projet professionnel et 80% des mineurs, qui sont passés par le CEF, ne récidivent pas. La lutte contre la délinquance des mineurs mérite qu’on se donne tous les moyens et qu’on use de tous les outils disponibles ». On s’en réjouirait si tel était le cas. Après tout avec 27 ETP pour une dizaine de jeunes, sans parler d’un coût journalier par mineur de quelques 700 euros, on doit aspirer à quelques résultats ! Les derniers travaux menés sur ce sujet et rendus publics n’étaient pas si optimistes. On aurait aimé que le ministre source ses assertions.
Il ne s’agit pas, pas plus aujourd’hui que par le passé, de remettre en cause l’utilité et l’intérêt de ces structures contenantes, mais d’être lucide. En tout cas le CEF n’est pas une fin en soi ; il n’est qu’un moment d’un accompagnement qui s’écoule sur plusieurs, mois sinon plusieurs années. Créer 23 CEF n’est un plan en soi !
En tout état de cause, tous les jeunes en conflit avec la loi n’en relèvent pas. Le CEF ne peut pas être la réponse à tous les jeunes. Quand envisagera-t-on qu’un éducateur « de milieu ouvert « n’ait plus 25 jeunes à accompagner ?
On ne relève dans le plan gouvernemental aucune annonce pour faire en sorte que dès la sortie du tribunal et sur la durée parfois longue, une équipe éducative soit en charge du jeune prête à assumer les rebondissements de sa situation avec pourquoi pas de nombreux nouveaux passages à l’acte, quand aujourd’hui on en est fort loin et que nombre de mesures éducatives ne sont pas exercées.
L’éducateur de milieu ouvert devrait être le fil rouge de la prise en charge éducative comme le médecin de quartier l’est quand on a la chance d’en disposer sur le terrain de la santé. Quelles garanties que cet acteur soit réellement mobilisé et disponible sur la durée quand déjà trop de jeunes sont laissés à vau-l’eau par carence des responsables parentaux ?
On rappellera ici qu’un rapport sénatorial de la fin 2022 émettait les plus grands doutes sur l’efficacité des CEF au regard des moyens mobilisés. Ses critiques étaient certainement excessives. Pourtant elles ne peuvent pas être évacuées d’un revers de main sans un véritable débat.
Bref, comme magistrats et services éducatifs le développent à satiété depuis deux décennies, il est impossible de réduire l’offre de service éducative de la PJJ [protection judiciaire de la jeunesse] publique et privée aux seuls centres éducatifs fermés : la contrainte éducative, voir l’incarcération, pour utiles ne peuvent pas être une fin en soi. Pour faire ce sur-mesure judiciaire nécessaire pour ces jeunes souvent fracassés ou en passe de l’être c’est d’une boîte à outils riche et diversifiée, déployée sur l’ensemble du territoire dont les magistrats ont besoin. Qui plus est en un point il leur faut pouvoir mobiliser la société civile, et pas seulement l’armée.
Une nouvelle fois le ministre se réjouit de la mise en œuvre du code de justice pénale des mineurs à compter du 30 septembre 2021 en soulignant quitte à tordre la réalité que les délais de jugements ont été divisés par deux. Certes plus rapidement que par le passé on se prononce sur la culpabilité, mais la procédure judiciaire poursuit son cours, a minima pendant 6 à 9 mois le temps que se déroule la mise à l’épreuve qui aurait été prononcée et avant que n’intervienne la décision définitive. Toute cause confondue on reste dans les durées de procédure qui prévalaient jusqu’ici. Les mesures éducatives ordonnées sont-elles mises en œuvre à très court terme ?
Là encore on aimerait avoir le bilan officiel fondé sur des données objectives de la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions législatives dont on ne peut pas afficher comme cela est fait qu’elle révolutionne le cours de la justice. Le CNPE [Comité national pour la protection de l’enfance] l’a interpellé sur ce point et il attend sa réponse.
Quitte à être prospectif et à travailler sur les alternatives à la justice que propose-t-on pour réduire la judiciarisation des situations d’enfants en danger ou encore d’enfants délinquants en conflit avec la loi comme le recommande la Convention internationale sur les droits de l’enfant ? Rien. Pour ce faire il eut fallu travailler en amont avec des collectivités territoriales et le secteur associatif pour promouvoir ces alternatives et organiser leur mise en œuvre. Il ne semble pas que la démarche ait été menée.
Le propos sur les limites du volet « Justice des enfants » ne se veut pas polémique – on revisitera l’entame de ce billet – , mais il entend relever fermement et lucidement qu’il y a un fossé entre l’objectif affiché régulièrement sur un enjeu Justice des enfants présenté comme majeur pour la société et les mesures étriquées annoncées lorsque la justice entend se projeter avec ambition dans l’avenir.
Tout laisse à penser qu’on a voulu remplir la case pour éviter une critique trop abrupte, mais que le magasin demeure vide faute de réflexion prospective. On regrettera cette lacune dans ce qui était présenté comme un grand temps de l’histoire de la justice.
(1) Jacques Chirac et son ministre Dominique Perben en annonçaient 100 en 2004 avant de rabattre l’objectif. Puis successivement les candidats F Hollande et E. Macron ont promis d’en doubler le nombre.
Jean-Pierre Rosenczveig