Analyse de Jean-Pierre Rosenczveig : Autorité ! Autorité ! Autorité !

Jean-Pierre Rosenczveig dissèque, sur son blog, les propos d'Emmanuel Macron, qui prône "un retour de l'autorité à chaque niveau et d'abord dans la famille", suite aux violences urbaines de fin juin. Pour nourrir le débat et en amont du "chantier de l'autorité parentale" annoncé par le chef de l'État pour la fin de l'été, l'ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et membre du bureau du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) revient sur certaines propositions - toujours d'actualité - formulées dans son rapport "De nouveaux droits pour les enfants ? Oui...dans l'intérêt même des adultes et de la démocratie" rédigé avec Dominique Youf et Flore Capelier et remis en janvier 2014 à la ministre déléguée à la Famille.

Depuis Nouméa le président de la République a rendu son verdict : les échauffourées, pillages, émeutes et autres violences urbaines de ce début de juillet 2023 ont une explication : l’absence d’autorité dans la famille et dans la cité. On croirait réentendre le discours chiraquien de la grande époque. Déjà on soulignait avec un brin de mauvais humour que le président de la République n’avait plus autorité sur ses propres troupes !

Dès lors la posture présidentielle est simple : « L’ordre ! L’ordre ! L’ordre ! ». Les plus anciens y retrouveront encore une référence oratoire à Charles de Gaulle parlant de l’Europe lors d’une conférence de presse restée célèbre. Plus sérieusement il y a matière à s’interroger sur ce projet car l’ordre pour l’ordre ne peut pas être un objectif car nul n’ignore que l’appel à l’ordre signifie qu’on ne veut rien changer ; or, les mêmes causes produisent les mêmes effets !

Les émeutiers n’avaient pas de projet politique, mais on s’accorde à relever que nombre d’entre eux ont envoyé un message clair et fort : cette République n’est pas la leur ! Ils sont certes largement minoritaires, mais on ne peut pas, on ne doit pas les négliger.

"Quelle boulette déjà que de laisser à croire que les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance sont des émeutiers et leur mettre à charge les dégradations quand ce dispositif public se vit déjà comme abandonné de l’État et sinistré !"

Emmanuel Macron, reprenant l’analyse première faite à chaud, des enfants et des adolescents abandonnés à eux-mêmes ont été les bras armés de ces saccages. Il se fonde sur le fait qu’un tiers des interpellés auraient moins de 17 ans ; négligeant ipso facto que les 2/3 étaient des quasi adultes sinon majeurs !

« Ce sont de très jeunes, environ 16 ans de moyenne d’âge. On parle de jeunes pour une large majorité inconnus de la justice. On parle de jeunes qui pour une majorité écrasante ont un cadre familial qui est fragilisé soit parce qu’ils sont dans des familles monoparentales et sont élevés par un seul de leurs parents, soit parce qu’ils sont à l’aide sociale à l’enfance ».


Quelle boulette déjà que de laisser à croire que les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance sont des émeutiers et leur mettre à charge les dégradations quand ce dispositif public se vit déjà comme abandonné de l’État et sinistré !

Qui plus est, on retrouve en arrière fond dans le propos cette idée très XIX° siècle que les enfants en danger sont des enfants dangereux ! Difficile demain de mobiliser l’opinion sur cette enfance en souffrance susceptible de poignarder le sein qui l’a nourrie.

En réaction le président nous annonce que d’ici novembre il veut avoir bouclé le dossier de l’autorité parentale. Que ne l’a-t-il pas fait plus tôt ? Doit-on rappeler qu’il a fallu attendre des interpellations médiatiques sur l’ASE pour qu’il nomme en 2018 un secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance, puis de l’enfance ? L’enfance n’était pas une priorité politique de Macron I ! Donnons-lui acte qu’il a accepté que la France condamne les châtiments corporels en 2018 et que l’enfance ait été affichée comme une priorité pour Macron II.

Et pourquoi ces prédécesseurs n’ont-ils pas eux-mêmes entrepris de traiter ce sujet quand de longue date à quelques-uns nous démontrions qu’il fallait moderniser notre droit de la famille en identifiant au regard des nouvelles pratiques matrimoniales et du développement des sciences de la vie qui était responsable et en quoi sur les enfants.

Nous l’avions fait notamment dans le rapport remis avec Dominique Youf et Flore Capelier, en janvier 2014, à Mme Bertinotti [Ministre déléguée à la famille] qui nous avait mandaté pour préparer « la loi Famille « qui devait venir s’échouer sur les manifestations contre le mariage dit pour tous. (1) Ce document n’a même pas fait l’objet du moindre débat public.

Pourtant nous avancions alors deux préconisations essentielles.

D’abord constatant que déjà 55% (2) des premiers enfants d’un couple naissaient hors le mariage entre eux de ses géniteurs et que chaque année environ 50 à 70000 enfants ne voyaient pas leur filiation paternelle établie, nous suggérions d’affirmer le droit de l’enfant à voir sa double filiation établie d’entrée de jeu. Si tel n’était pas le cas, le procureur de la République avait à se préoccuper de la situation dans l’intérêt de l’enfant. En ne retenant pas cette idée au nom de la liberté de chacun d’être parent quand et comme il l’entend, et dans les conditions où il le souhaite, il ne faut pas s’étonner que trop d’enfants vivent dans un foyer monoparental au point même où Président de la République en tête on parle de familles monoparentales prenant pour acquis la disparition de l’un des deux parents notamment le géniteur ! Si on a bien consacré la co-responsabilité sur tous ces enfants qui ont vu leurs parents mariés ou non se séparer on a toujours omis la première étape : consacrer l’existence juridique de deux parents. On continue à fabriquer des orphelins de pères dans notre intérêt d’adultes.

Par ailleurs, du fait des recompositions familiales qui voient environ 2 autres millions d’enfants sur 14 être élevés par un adulte qui n’est pas leur géniteur, sans adopter ce que certains appellent un statut des beaux parents présenté que comme une législation restreignant les droits des parents biologiques, nous proposions tout simplement que « celui qui vit habituellement avec l’enfant soit en droit et en devoir d’exercer à son égard les actes usuels de la vie ».
Le parent juridique ne serait pas désapproprié de ses responsabilités fondamentales, de ses droits et devoirs. On couperait ainsi court à ces attitudes d’enfants très jeunes, plus souvent d’adolescents, installés dans la toute-puissance, jouant le parent séparé contre le beau-parent et réciproquement. Là-encore cette idée de bon sens de nature au final à rassurer les parents juridiques, mais aussi les adultes qui vivent habituellement avec l’enfant souvent sur une très longue durée et bien sûr les enfants, n’a toujours pas été concrétisée. On a préféré dans la hiérarchie des problèmes faciliter à tout un chacun l’adoption ou l’accès à la PMA pour des raisons de convenance !

"Le gouvernement sans vergogne en appelle aux responsabilités parentales quand les pouvoirs publics n’ont pas pris les leurs"

A ces deux lacunes -  à ces deux fautes - on voit bien déjà combien notre société dont le gouvernement et le parlement sont l’expression a entendu jusqu’ici de privilégier le droit des adultes sur les droits de l’enfant notamment celui d’avoir des adultes exerçant pleinement leurs responsabilités en matière de protection et d’éducation.

Le gouvernement sans vergogne en appelle aux responsabilités parentales quand les pouvoirs publics n’ont pas pris les leurs. Plus grave, au final, l’hymne à la responsabilité des parents une nouvelle fois entonnée – J. Chirac et N. Sarkozy n’y avaient pas manqué en leur temps -, tombe à plat puisque l’enfant n’a trop souvent qu’un seul adulte de référence qui, dans tous les sens du terme, peut faire loi à ses yeux et aux yeux de la société. Sans compter qu’enfant on ne respecte la loi que si elle vous parait juste et utile !

Doit-on ajouter, là-encore à la charge de ceux qui aujourd’hui tentent de culpabiliser des parents défaillants, que sur les deux dernières décennies, parfois plus, tous les services sociaux de proximité sont entrés en crise ou en difficulté. Nous l’avons dénoncé mille et une fois à des oreilles parfois intéressées, mais sans réaction enclenchée à échelle du problème et des conséquences prévisibles.

La psychiatrie infantile est en crise de longue date ; les services de promotion de la santé de l’élève et le service social scolaire en rouge de longue date faute d’effectifs sont concentrés dans les collèges et les LEP ; récemment on a réalisé que la Protection maternelle et infantile (PMI) s’était singulièrement dégradée et que la pédiatrie était mal en point. En d’autres termes, les adultes en charge quotidiennement de l’enfant qui ne peuvent pas mobiliser la famille élargie se retrouvent fréquemment esseulés, abandonnés à leur sort, souvent plus préoccupés par leurs problèmes personnels sinon à survivre.

Ajoutons pour se rapprocher de la problématique des violences urbaines que les jeunes en carence d’encadrement parental - en situation de danger au sens de la loi -, susceptibles de basculer dans la délinquance ne trouvent plus aussi fréquemment à leurs côtés les éducateurs de rue des Clubs et Equipes de prévention. 19 départements soucieux de faire des économies ont supprimé ces services reconnus légaux au titre de la protection de l’enfance en 2016 sans pour autant être rendus obligatoires !

En d’autres termes, si des mineurs de 18 ans – dont des enfants de 13 ans – ont pu se retrouver dans les émeutes de juillet, c’est bien de longue date qu’ils sont en difficulté au regard de ce qui fait autorité. Depuis longtemps ils sont dans la toute-puissance. Ceux qui les ont à charge ont souvent perdu prise sur eux. Comme nous le prévoyions il fallait bien qu’ils se heurte à la société. Le rappel à l’ordre du président de la République est alors apparu incongru pour ces situations où les dés ont été lancés depuis bien longtemps.

On ne peut pas rattraper ces dégâts (prévisibles et prévus) aussi rapidement. D’autant, faut-il le rajouter ?, que fréquemment nombre d’enfants qui font l’objet de mesures éducatives en protection de l’enfance prononcées par la justice ont pu voir ces mesures ne pas être exercées, y compris alors qu’elles impliquaient un départ physique du domicile familial et du quartier de l’enfant pour protéger. Là-encore une carence majeure de la puissance publique !

Faute sur faute vaut !

Et puis il y a le poids des mots. On ne peut qu’être choqué et déçu qu’au quart de ce 21e siècle on en reste encore à définir le rapport entre les enfants et les adultes en termes d’autorité : les uns devant obéir aux autres. L’autorité parentale qui a succédé en 1970 à la puissance paternelle se veut comme un pouvoir exercé par les uns sur les autres, mais elle puise sa légitimité dans les missions de protection et d’éducation conférées à ceux qui ont un lien juridique avec l’enfant. Elle n’est pas une fin en soi, mais un moyen. Plus que jamais, les mots ayant un sens à l’égard de chacun il faut en arriver à définir les rapports entre adultes et enfants en termes de responsabilité comme nous le proposions officiellement en 2014. « J’ai du pouvoir parce que j’ai des missions, donc je suis responsable ».

On mesure combien les politiques ont régulièrement raté le coche sur ce sujet majeur. Ils improvisent quitte même à déraper comme de vouloir instaurer la responsabilité pénale du fait d’autrui en prévoyant des peines contre les parents dans les enfants serait en violation de la loi.

On forme pourtant le vœu que d’un mal sorte un bien et que de cet épisode violent. Quitte à rendre les parents défaillants injustement responsables de l’embrasement de nos villes, le droit de la famille doit enfin être mis à jour en garantissant les droits des enfants à des adultes responsables. Tous ont à gagner à ne pas s’enfermer ou être enfermés dans la démarche a priori facile de la toute-puissance, mais force est de reconnaître que la société elle-même a tout à y gagner. A la question qui nous était posée en 2014 – « Faut-il reconnaître de nouveaux droits aux enfants ?» – nous répondions ». Oui … dans l’intérêt des adultes et la société ! ».

Il est facile de mettre notre droit à jour – les évolutions juridiques qui s’imposent tiennent en quelques mots et sont d’ores et déjà rédigées. Nul doute qu’une démarche consensuelle minimale permettra de trouver une majorité politique au Parlement.

"Ce n’est pas d’autorité qu’ils manquent mais de lien de la famille et dans la cité !"

En revanche, il sera plus délicat de remonter la pente que les services sociaux ont pu descendre en étant laissés plus ou moins à vau-l’eau. Il ne s’agit pas seulement de trouver les budgets publics nécessaires, il faut encore trouver les femmes et les hommes soucieux de s’engager auprès de ces familles – parents et enfants en difficulté – pour les accompagner sur la durée. Or les métiers du lien social sont en déshérence.

Il faut encore ne pas négliger que nombre de ces jeunes presque majeurs ou d’ores et déjà adultes qui, par-delà le jeu des dégradations et des pillages, ont pu saccager et détruire des éléments de la République et du vivre ensemble, n’ont actuellement aucune autre perspective que de demeurer dans les ghettos territorialisés ou communautaires dans lesquelles ils se trouvent cloitrés.

Agés de 20, 25, 30 ans avec une espérance de vie autour de 80 ans quels projets de vie ont-ils que les choses puissent changer un jour ? Imagine-t-on un instant qu’ils se contenteront de tenir les murs ?

Ajoutons plus fondamentalement que l’enjeu est moins demain de reconstruire les bâtiments détruits à l’identique. Pour s’imposer cette démarche est insuffisante, mais il faut encore donner leur donner foi en eux-mêmes pour mobiliser positivement leurs compétences. Et là encore il faut aller physiquement et humainement vers eux. Plus que jamais : des hommes, plus que des murs !

Ce n’est pas d’autorité qu’ils manquent mais de lien de la famille et dans la cité !

(1) Rapport "De nouveaux droits pour les enfants ? Oui... Dans l'intérêt même des adultes et de la démocratie", Jean Pierre Rosenczveig, président - Dominique Youf, rapporteur - Flore Capelier, rapporteure adjoint, janvier 2014.

(2) Proportion à singulièrement crue depuis