Un décret du 8 juillet 2024 sur le contrat d'engagement républicain, créé par l’article 46 de la loi immigration, donne un pouvoir sans précédent au préfet. Il est désormais le garant de la protection de l'enfance. Explications des enjeux par Christophe Daadouch, docteur en droit.
Christophe Daadouch est docteur en droit, formateur dans les institutions sociales et médico-sociales depuis plus d’une vingtaine d’années sur les thématiques du secret professionnel, du droit des étrangers, du droit de la famille, de la protection de l’enfance et du droit pénal des mineurs. Il est l'auteur, avec Pierre Verdier (docteur en droit, avocat au barreau de Paris, spécialisé en droit de la famille), de l'ouvrage « La protection de l'enfance, un droit en mouvement » aux Éditions Berger-Levrault (4e édition - mai 2023).
Le décret du 8 juillet 2024 relatif au contrat d'engagement au respect des principes de la République prévoit une série d’obligations auxquelles l’étranger doit désormais s’engager lorsqu’il sollicite un titre de séjour. Le non-respect de celles-ci peut aboutir au non renouvellement de son titre de séjour en application de l’article L. 412-9 du CESEDA (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) qui prévoit que « peut ne pas être renouvelé le document de séjour de l'étranger qui n'a pas respecté le contrat d'engagement au respect des principes de la République. Tout document de séjour détenu par un étranger dans une telle situation peut être retiré ».
Parmi ces engagements l’étranger s’engage « à n'entreprendre aucune action de nature à compromettre le développement physique, affectif, intellectuel et social des mineurs, ainsi que leur santé et leur sécurité ». Ce considérant reprend les critères de l’enfance en danger telle que définie dans le Code de l’action sociale et des familles (article 221.1) et dans le Code civil (article 375°).
Chaque année près de 400 000 situations de difficultés éducatives, plus ou moins graves, donnent lieu, en application des deux codes précités, à des réponses d’accompagnement parfois contractuelles, parfois contraintes pour des parents en difficulté. Parmi eux combien sont étrangers ? Aucun chiffre n’existe et le gouvernement n’en livre aucun mais distille ici l’idée que les parents étrangers seraient particulièrement sujets à de telles carences. Qu’extranéité et parentalité ferait finalement mauvais ménage. Ils devraient donc, de manière extrêmement humiliante, s’engager à bien traiter leurs enfants.
Quelles conséquences en cas de difficultés éducatives ?
Les réponses aux difficultés que les parents rencontrent sont de trois niveaux. Elles peuvent être contractuelles –demandées ou acceptées par les parents-, judiciaires civiles donc contraintes par le juge des enfants et parfois pénales. Le Code pénal prévoit à son chapitre VII (Des atteintes aux mineurs et à la famille) et aux articles 227-1 à 227-33 une série d’infractions liées à une fonction parentale gravement défaillante. Le CESEDA ne fait lui aucune distinction : des parents pourront ne pas se voir renouveler leur titre de séjour s’ils ont manqué à leurs obligations parentales quand bien même ces défaillances n’auront donné lieu à aucune condamnation pénale, voir même à des réponses du juge des enfants. Sur la seule volonté préfectorale, préfet devenu le garant, l’arbitre de la fonction parentale. En pratique cela peut avoir plusieurs effets pervers :
- empêcher les parents de demander un accompagnement à l’aide sociale à l’enfance (ASE) par peur des répercussions sur leur droit au séjour.
- dissuader les professionnels sociaux et médicaux à signaler les difficultés parentales dans le doute des conséquences de leurs écrits ;
- inciter les préfectures à solliciter des rapports éducatifs – quid du secret professionnel ? - pour apprécier le niveau de défaillance des parents ;
Et après la perte du droit au séjour ?
Imaginons que les parents se voient retirer leur titre de séjour du fait de leurs défaillances parentales seront-ils reconduits à la frontière sans leur enfant portant atteinte au droit de vivre en famille ou avec leur enfant laissant celui dans un contexte parental dégradé échapper avec la bénédiction du préfet aux radars de la protection de l’enfance ? En ce sens cette disposition du décret est en parfaite contradiction avec l’article 3 de la CIDE : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».
Sur ce point mais aussi sur bien d’autres, ce décret, dernier acte d’une macronie agonisante, est un triste baroud de déshonneur.