Aide sociale à l’enfance : ces mineurs pris en charge qui entrent dans la prostitution
Associations et acteurs de la société civile manifestent ce mercredi 25 septembre pour la protection de l’enfance. Retour sur les résultats d’une enquête menée au sein des établissements de l’aide sociale à l’enfance alors que certains mineurs pris en charge se prostituent.
Le récent rapport de France Stratégie sur les ruptures de parcours de jeunes accompagnés par l’aide sociale à l’enfance met en exergue les carences au sein du système de protection de l’enfance en France. Certaines sont parfois sous-évaluées.
Suite à plusieurs faits, une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance a été créée en mai 2024. Son objectif était de « faire la lumière sur les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance ». Cependant, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, cette commission a été brutalement arrêtée. Nos recherches récentes dans le domaine de la prostitution soulignent toutes les fragilités de ce public et rappellent l’urgence de poursuivre la mise en lumière des fonctionnements et des manquements de l’aide sociale à l’enfance.
Les failles de la protection de l’enfance
Selon sa définition, la protection de l’enfance en France
« vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ».
Il s’agit donc pour l’État de prendre le relais et d’aider les familles en difficulté afin d’assurer la sécurité et le développement des enfants qui lui sont confiés.
Or, depuis plusieurs années, des voix s’élèvent pour dénoncer les failles de ce système puisque le devenir des enfants placés est plus sombre que celui des enfants qui grandissent dans leur environnement familial : (scolarité complexe, mais aussi risque plus élevé de vivre une période sans domicile fixe, ou passage à la vie adulte plus difficile et teinté d’obstacles, etc.).
Des mineurs pris en charge par l’ASE victimes de prostitution
En tant que chercheuses en sciences de l’éducation et de la formation et en psychologie, nous avons travaillé plusieurs années sur le public des mineurs placés en protection de l’enfance. Une partie de nos recherches porte sur la prise en charge de ces jeunes, notamment via une réflexion sur les dispositifs de prévention et de soutien des jeunes, de leurs parents et des professionnels qui les accompagnent.
Des dysfonctionnements particulièrement alarmant concernent le phénomène de la prostitution des mineurs, présent dans des établissements de la protection de l’enfance. La prostitution peut se définir comme le fait de « se prêter, contre rémunération ou avantage en nature ou la promesse de l’un d’eux, à des relations sexuelles physiques ou virtuelles ».
La prostitution juvénile est un sujet mal connu du grand public et de nombreux professionnels qui accompagnent des mineurs. Pourtant, ce phénomène semble prendre de l’ampleur ces dernières années. Comme le souligne ce dossier de presse, la fourchette de mineurs concernés par la prostitution mentionnée dans le document n’est qu’approximative et largement sous-estimée.
Concernant la protection de l’enfance, une estimation de 2021 met en avant un chiffre d’« environ 15 000 mineurs victimes de prostitution uniquement au sein de l’aide sociale à l’enfance ». Les mineurs confiés semblent donc particulièrement touchés par ce phénomène.
Ces jeunes sont vulnérables au niveau médico-psychologique et social. Leurs parcours sont souvent marqués par des ruptures, des traumatismes, des carences affectives et éducatives, de multiples violences, des phénomènes de brisures et des problématiques d’attachement qui peuvent conduire à des conduites à risques comme les scarifications, les crises suicidaires, les fugues, les addictions à divers objets ou encore la prostitution.
Pour les protéger, l’État dispose de plusieurs mesures, dont l’accueil en établissements de la protection de l’enfance. Dans ce cas, l’enfant est placé de manière provisoire dans un lieu d’hébergement comme un foyer de l’enfance, une maison d’enfants à caractère social ou encore un foyer d’action éducative.
Ces établissements ont pour mission d’assurer le maintien de la santé physique et psychique, la sécurité et la moralité des jeunes ainsi que leur structuration et insertion sociale, scolaire et professionnelle.
Cependant, force est de constater que la mesure de placement peut amener certains jeunes à entrer dans la prostitution.
Ce qui favorise l’entrée dans la prostitution
Suite aux résultats de nos recherches menées sur le terrain auprès d’adolescentes placées, nous proposons ici d’expliciter trois éléments qui nous semblent favoriser la mise en place d’une telle conduite.
D’abord, ces structures d’accueil peuvent être considérées par les riverains ou les personnes renseignées et mal intentionnées comme des « cibles » :
« les professionnels qui y travaillent mettent en avant le fait que des recruteurs, des proxénètes et des clients connaissent la localisation de la structure et savent que des mineures vulnérables y sont hébergées. Elles sont donc régulièrement abordées dans la rue aux alentours de la structure par ces individus afin d’avoir des rapports sexuels tarifiés », comme le montre notre recherche.
Ensuite, les jeunes placés en établissements vivent au quotidien dans un lieu d’hébergement collectif. Ce nouvel environnement de vie n’est pas sans conséquence sur leur quotidien. En effet, la mesure de placement en structure est un bouleversement important dans leur vie puisqu’elle induit la séparation avec leurs familles, leurs amis, la sphère scolaire et de manière plus globale leurs repères et habitudes.
Dans certaines situations, la mesure de placement renforce donc le besoin d’appartenance et de reconnaissance de ces jeunes à un groupe, souvent le groupe de pairs de l’établissement.
Les fréquentations des jeunes placées
Dans notre étude, suite à leur arrivée au foyer et via des relations nouées dans la structure, les adolescentes développent un sentiment d’appartenance important au groupe de paires de l’établissement. Par ce biais, elles sont rapidement mises en lien avec des conduites à risques comme les fugues, la consommation d’alcool, de produits psychotropes et l’initiation à certaines pratiques sexuelles, avant d’entrer dans la pratique prostitutionnelle.
Enfin, les jeunes placés sont souvent issus d’environnements familiaux défavorisés qui présentent des conditions de logements précaires, des situations économiques et d’emploi difficiles.
Ainsi, comme certaines d’entre elles nous l’ont indiqué lors de notre enquête, en se prostituant, les adolescentes souhaitent « "faire mieux" que leur environnement familial afin de gagner beaucoup d’argent ». « L’appât du gain immédiat » et la promesse d’une vie meilleure sont pour les jeunes placées des éléments favorisants la prostitution.
Des professionnels désarmés
Malgré ces facteurs de risques, les professionnels de la protection de l’enfance ne sont pas toujours armés pour répondre à ces situations de pratique prostitutionnelle.
Ils ont souvent un manque de formation, de connaissances sur cette thématique, et peuvent être sidérés face à certaines situations. Comme le souligne la chercheuse en droit Bénédicte Lavaud-Legendre, ils développent alors « un sentiment d’impuissance, d’inutilité et de découragement, voire d’une incapacité à se mobiliser ».
Par ailleurs, dans le système de la protection de l’enfance, il est complexe de prendre en charge les mineurs placés et prostitués puisque la problématique de prostitution du mineur est rarement le motif de son placement. Les professionnels doivent aussi faire face à des situations dans lesquelles les jeunes refusent d’être aidés et où ils ne se perçoivent pas comme des personnes prostituées, ce qui rend encore plus difficile leur prise en charge.
De ce fait, les questions concernant la prise en charge de ces jeunes, leur accompagnement et la prévention de la prostitution juvénile sont centrales.
Par ailleurs, il est nécessaire qu’au niveau sociétal et politique cette problématique d’utilité publique trouve un écho puisque la vocation première de la protection de l’enfance est de protéger ces jeunes particulièrement vulnérables et d’éviter qu’ils ne deviennent des victimes.
Héléna Frithmann, attachée temporaire d'enseignement et de recherche - Doctorante en Sciences de l’Éducation et de la Formation, Université de Strasbourg et Nathalie Gavens, maîtresse de conférences HDR en psychologie de l'éducation, Université de Haute-Alsace (UHA)