Arash Javanbakht, Wayne State University
Alors que la société prend conscience de l’importance de la santé mentale, et que la recherche en neurosciences et en psychiatrie progresse, on commence à accorder un peu plus d’attention aux traumatismes psychologiques, notamment à ceux qui se produisent dans l’enfance.
Le cerveau d’un enfant est une éponge qui lui permet d’apprendre comment le monde fonctionne et de mieux se connaître lui-même. En tant qu’êtres humains, nous avons cet avantage, hérité de l’évolution, de pouvoir faire confiance aux plus âgés et tirer profit de leur connaissance du monde. Cela nous permet de cumuler les savoirs pour nous protéger contre une adversité que seuls peuvent affronter les plus expérimentés. En se référant aux adultes, l’enfant s’imprègne de modèles de perception du monde, de relations aux autres et à soi.
Mais lorsque l’environnement initial dans lequel évolue l’enfant est particulièrement dur et hostile, sa vision des choses se construit autour de la violence, de la peur, de l’insécurité et de la tristesse. Les cerveaux des adultes qui ont connu l’adversité ou la pauvreté dans leur enfance sont plus enclins à détecter les dangers, au prix de passer à côté des signaux positifs.
Une perception du monde transformée
En traversant de telles difficultés, certaines personnes ont dû mûrir plus vite et apporter un soutien émotionnel à leurs frères et sœurs, ou à leurs parents, à un âge où eux-mêmes avaient encore besoin qu’on s’occupe d’eux. Ils peuvent finir par transposer ces modèles dans leurs comportements vis-à-vis des autres à l’âge adulte.
L’enfant traumatisé peut aussi se percevoir comme indigne d’être aimé, comme coupable ou mauvais. À ce stade de son développement, son cerveau peut penser : « si on me fait cela, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez moi, et que je le mérite ».
Le petit monde dans lequel nous vivons en tant qu’enfants façonne la manière dont nous percevrons le monde réel en tant qu’adultes. Et par là même, cela déterminera la façon dont le monde réagit à nos comportements.
Les traumatismes de l’enfance sont plus fréquents qu’on ne le pense : près de deux tiers des enfants ont vécu au moins un événement traumatique. Il peut s’agir d’une blessure ou d’une maladie grave, d’une expérience directe de violences ou d’abus sexuels, ou du fait d’en être témoin, de négligence, de harcèlement, ou encore du fait d’avoir été témoin d’une attaque terroriste, d’une fusillade de masse.
Dans le cas de maltraitances et d’abus sexuels, les violences sont souvent chroniques ce qui peut être encore plus préjudiciables à la santé mentale et physique de l’enfant.
Les guerres et les crises de réfugiés actuelles exposent également des millions d’enfants à des niveaux de traumatisme extrêmement élevés et qui sont souvent ignorés.
Sentiment de culpabilité
Pour comprendre la réaction de l’enfant, il faut garder à l’esprit son niveau de développement et de maturité émotionnelle et cognitive. La plupart du temps, c’est la confusion qui prévaut.
Mes patients adultes me disent souvent que, lorsqu’ils ont été molestés par un membre de leur famille à l’âge de cinq ans, ils n’ont pas compris pas ce qui se passait ni pourquoi un soignant censé être digne de confiance leur faisait subir cela. La peur et la terreur, associées à un sentiment de manque de contrôle, accompagnent souvent cette confusion.
Intervient aussi la culpabilité, car l’enfant peut croire qu’il a fait quelque chose de mal pour mériter l’abus et, souvent, les adultes auteurs de l’abus leur disent que c’est le cas. En cas de violences sexuelles, il arrive que les parents, lorsqu’ils en sont informés, choisissent de nier ou d’ignorer ce qui s’est passé. Cela aggrave les sentiments de culpabilité et d’impuissance.
Dans le cas de violences domestiques, par exemple lorsqu’une mère est fréquemment battue par un père alcoolique, les enfants se retrouvent coincés entre deux personnes qu’ils sont censés aimer. Ils peuvent en vouloir au père d’être violent, ou à la mère de ne pas avoir su se protéger.
Ils peuvent aussi essayer de protéger leur mère ou de la consoler. Ils peuvent se sentir coupables de ne pas avoir réussi à la sauver ou se retrouver à élever leurs frères et sœurs lorsque leurs parents ne le font pas. Ils en déduisent que le monde est un endroit brutal et sans sécurité, ou l’on est soit violent, soit maltraité.
Risques à long terme
De plus en plus de recherches suggèrent que les traumatismes de l’enfance ont un impact durable : ils modèlent non seulement la vision du monde et les réactions de la personne mais ils ont également des conséquences sur la santé à l’école, au travail, que ce soit sur le plan mental ou physique, tout au long de la vie. Ces enfants pourront avoir de moins bons résultats en classe, une anxiété plus forte, des risques de dépression, de toxicomanie, et divers problèmes physiques comme des maladies auto-immunes.
Les adultes qui ont subi un traumatisme pendant l’enfance ont plus de risques de développer un trouble de stress post-traumatique lorsqu’ils sont exposés à un nouveau traumatisme et présentent des taux plus élevés d’anxiété, de dépression, de toxicomanie et de suicide. Les conséquences des traumatismes de l’enfance sur la santé physique des adultes comprennent, entre autres, l’obésité, la fatigue chronique, les maladies cardiovasculaires, les maladies auto-immunes, le syndrome métabolique et la douleur.
Toutes les personnes qui vivent des événements traumatisants dans leur enfance ne seront pas marquées à vie et la recherche s’intéresse d’ailleurs aux prédicteurs de risque et de résilience. Il existe par exemple des variations génétiques qui peuvent rendre une personne plus ou moins vulnérable.
Chances de résilience
Je rencontre souvent des personnes qui ont su transformer leur traumatisme en un engagement qui a du sens, et prennent leur envol, gagnent en assurance grâce à un bon mentor, un thérapeute, un grand-parent ou des expériences positives.
Cela ne veut pas dire que ceux qui ressentent des conséquences à long terme sont plus faibles ou ont été moins persévérants. Outre la gravité et de la chronicité du traumatisme, il existe une multitude de facteurs génétiques, neurobiologiques, familiaux, de soutien, socio-économiques et environnementaux, qui peuvent faire s’écrouler les personnes les plus fortes lorsqu’elles sont exposées à un traumatisme.
Face à cela, la société a différents moyens d’action : réduire la pauvreté, assurer une éducation pour tous, fournir aux parents moins privilégiés le soutien nécessaire pour élever leurs enfants (même s’il faut rappeler que les traumatismes infantiles se produisent également dans les foyers privilégiés) ; prendre au sérieux les abus signalés par les enfants ; retirer l’enfant de l’environnement traumatique ; mettre en place des psychothérapies. Si nécessaire, des médicaments peuvent également aider. Les récentes avancées dans le domaine des neurosciences, de la psychothérapie et de la psychiatrie nous ont aussi fourni des outils puissants.
Arash Javanbakht, Associate Professor of Psychiatry, Wayne State University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.