À Mayotte, changer le droit du sol ne fait pas forcément baisser le nombre de naissances issues de parents étrangers
En visite à Mayotte le 11 février dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fait part dès sa descente d’avion de la volonté du président de la République Emmanuel Macron d’inscrire la fin du droit du sol à Mayotte dans une révision constitutionnelle. Malgré de vives critiques, une semaine plus tard, Emmanuel Macron défendait son projet, déclarant : « Mayotte est la première maternité de France, avec des femmes qui viennent y accoucher pour faire de petits Français. Objectivement, il faut pouvoir répondre à cette situation ».
Si cette dynamique de restriction du droit du sol marque une rupture sans précédent depuis la période coloniale, il est important de noter qu’elle n’est pas entièrement nouvelle à Mayotte, où une réforme significative du droit du sol a déjà été opérée en 2018.
Quels sont les effets de cette réforme et comment éclairent-ils les débats actuels ?
La réforme du droit du sol de 2018
Le principe du droit du sol établit qu’un enfant né en France de parents étrangers acquiert automatiquement la nationalité française à sa majorité, ou par déclaration anticipée à ses 13 ans s’il peut justifier de cinq ans de résidence sur le territoire. Cependant, à Mayotte, depuis la loi du 10 septembre 2018, les enfants nés de parents étrangers ne peuvent devenir français que si à leur naissance au moins l’un de leurs parents résidait de manière régulière (sous couvert d’un titre de séjour) en France depuis au moins trois mois.
Introduite dans la loi Asile et immigration de 2018 sous la forme d’un amendement déposé par le sénateur de Mayotte Mohamed Soilihi, cette réforme du droit du sol avait pour objectif déclaré de répondre à « l’insoutenabilité de la pression migratoire pour les Mahorais ». Son auteur décrivait déjà « les milliers de femmes enceintes qui, souvent au péril de leur vie, abordent les rivages de Mayotte avec l’espoir de donner naissance à un enfant né sur le territoire national afin qu’il puisse y être élevé et ainsi bénéficier d’une naturalisation par le droit du sol. »
De fait, depuis le 1er mars 2019, en application de la loi du 10 septembre 2018, un nombre important d’enfants nés à Mayotte de parents étrangers n’a plus accès à la nationalité française. Selon les chiffres communiqués par le ministère, le nombre d’acquisitions de la nationalité française à Mayotte est passé de 2 900 en 2018 à 900 en 2022.
Toutefois, pour les professeurs de droit public Marie-Laure Basilien-Gainche, Jules Lepoutre et Serge Slama, signataires d’une tribune dans Le Monde, la réforme n’aurait pas eu le moindre effet sur les flux migratoires vers Mayotte, tandis que pour l’avocate Marjane Ghaem cette situation « ne fait que fabriquer de l’étranger ».
L’évolution des naissances à Mayotte et aux Comores depuis la réforme
En effet, si l’on s’intéresse aux statistiques d’état civil de l’Insee sur les naissances à Mayotte, un constat s’impose d’emblée : le nombre de naissances de mères étrangères n’a pas baissé suite à la réforme de 2018. En 2022, sur 10 773 nouveau-nés à Mayotte, 8 101 avaient une mère étrangère, un chiffre en hausse de 14 % par rapport à 2018.
Deux autres comparaisons permettent de renforcer ce constat.
Tout d’abord, si l’on regarde l’évolution du nombre de naissances à Mayotte en fonction de l’origine de la mère sur la période 2014-2022, il apparaît clairement qu’il n’y a pas eu de décrochage des naissances de mères étrangères par rapport aux naissances de mères françaises depuis la réforme (Figure 1). Cette part est restée stable (voire a augmenté), autour de 75 %.
De plus, une large majorité de mères étrangères était de nationalité comorienne sur la période (90 % en 2022). À partir de données d’enquête collectées en 2022 aux Comores sur un échantillon représentatif de plus de 6 000 ménages, il est possible d’estimer l’évolution du nombre de naissances sur le sol comorien pour s’assurer que l’absence de décrochage du nombre de naissances à Mayotte ne reflète pas une poussée démographique aux Comores. Cette comparaison est importante car une stagnation des naissances de mères comoriennes à Mayotte dans un contexte de forte augmentation des naissances aux Comores signifierait que la part des mères comoriennes migrant à Mayotte pour y accoucher a diminuée.
Comme on peut le voir sur la Figure 2 ci-dessous, l’absence de décrochage observé à Mayotte ne s’explique pas par une forte croissance démographique aux Comores. Le nombre de naissance y est resté relativement stable, avec 22 000 naissances environ chaque année, et des tendances très similaires à celles observées à Mayotte.
Cela suggère que la part des Comoriennes se rendant à Mayotte pour y donner naissance n’a pas baissée suite à la réforme du droit du sol de 2018, et ce alors même qu’elle prive déjà un nombre important d’enfants de l’accès à la nationalité française. En effet, il est extrêmement rare pour les Comoriens d’obtenir un visa ou un titre de séjour pour Mayotte. Ces derniers migrent typiquement « sans-papiers », via les fameux kwassa-kwassas, et ne bénéficient donc déjà plus du droit du sol puisque la réforme de 2018 requiert que l’un des deux parents réside de manière régulière (sous couvert d’un titre de séjour) sur le territoire mahorais au moins trois mois avant la naissance de l’enfant.
L’importance des facteurs sanitaires
Pour comprendre pourquoi tant de mères comoriennes continuent de migrer à Mayotte pour y donner naissance, il convient de s’intéresser aux données de santé publique. En 2021, le taux de mortalité infantile, c’est-à-dire la part des nouveau-nés qui décèdent avant l’âge de cinq ans, était près de 12 fois plus grand aux Comores qu’à Mayotte, tandis que le taux de mortalité maternelle pour des causes liées à la grossesse ou à l’accouchement était plus de quatre fois plus grand.
Seuls 70 kilomètres environ séparent les Comores de Mayotte. Cette proximité géographique, couplée à des différences abyssales en termes d’efficacité des systèmes de santé, peut expliquer pourquoi de nombreuses Comoriennes choisissent d’accoucher à Mayotte, et ce malgré les risques liés à la traversée.
Comme le soulignent de nombreux autres chercheurs en sciences sociales, il est peu probable que la remise en cause du droit du sol réduise le nombre de Comoriennes qui se rendent à Mayotte pour y donner naissance. En revanche, il serait urgent d’appuyer les Comores pour trouver des solutions aux graves problèmes de santé publique auxquels est confrontée sa population.
Jules Gazeaud, Chargé de recherche CNRS, Université Clermont Auvergne (UCA)